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Les Etats restent la clef de voûte de la paix mondiale

le Quotidien du Peuple en ligne | 05.01.2017 09h54

On a cru trop longtemps que l'Etat était une idée dépassée. Le triomphe des démocraties libérales, au lendemain de la guerre froide, s'est accompagné du mythe erroné d'une « fin de l'histoire » et d'un discrédit de l'Etat-nation, considéré comme un foyer d'ambitions guerrières et identitaires. Pourtant, tout nous montre aujourd'hui que la guerre se propage là où l'Etat est vulnérable. Irak, Syrie, Libye, Mali, Ukraine, Venezuela : les crises disséminées sur les cinq continents nous prouvent à quel point les Etats s'affaiblissent sous le poids de failles récurrentes : administrations et services publics inefficaces, corruption, insécurité, explosion de la dette.

La volonté d'imposer la démocratie libérale et l'économie de marché depuis 1989 a conduit dans de nombreuses régions du monde à l'affaiblissement de l'Etat créant parmi les peuples un sentiment d'humiliation durable. Tandis que les interventions militaires ont déstabilisé l'Irak en 2003 ou la Libye en 2011, les crises économiques ont dévoilé la faiblesse structurelle d'Etats confrontés à la béance des dettes et des déficits. Face à cela, les institutions internationales n'ont su pas su réagir efficacement : nous l'avons vu quand le FMI paralysait l'Argentine ou la Grèce, nous le voyons aujourd'hui dans l'impasse où se trouve l'ONU face à la situation syro-irakienne. La communauté internationale n'a pas été capable de jouer son rôle de garde-fous.

Les Etats sont également mis au défi par le climat de peur et de colère qui s'est propagé depuis la crise de 2008. Ils se sont montrés dans bien des cas incapables de fournir à leurs peuples ce qui pourtant est le socle même de leur légitimité : la protection et le progrès. L'impact des crises financières globales, l'afflux massif de migrants en Europe, les délocalisations d'usines et d'emplois ont contribué à semer le doute. La fissuration de l'Union européenne, le renouveau des tensions régionales et l'expansion mondiale du terrorisme sont les symptômes d'un temps gouverné par des passions politiques devenues incontrôlables.

La montée du djihadisme symbolise la crise des Etats-Nations nés de la décolonisation. N'offrant plus les garanties fondamentales de sécurité, de reconnaissance et d'équité, les Etats ont d'eux-mêmes accentué la défiance des peuples à leur égard, favorisant l'essor d'idéologies radicales perçues comme une alternative.

La montée des populismes en Amérique du Nord et en Europe montre la fragilité du consensus entre le peuple et les élites. Au cours des derniers mois, le Brexit, l'élection de Donald Trump et le referendum en Italie, ont traduit une nostalgie commune d'un Etat du passé, largement idéalisé : un système clos, autoritaire et homogène, coupé de la mondialisation.

La maladie de l'Etat est source de pauvreté et de guerres. Voilà pourquoi la refondation des Etats demeure un objectif majeur de notre temps. Elle doit s'appuyer sur trois piliers.

Le premier pilier est de reconnaître la légitimité de l'aspiration à la souveraineté. C'est une demande commune de tous les peuples qui ont fait l'expérience de la domination étrangère dans leur histoire. Gardons-nous d'interférer en faveur des changements de régimes, source d'instabilité sociale et de ressentiment politique. Mais ayons à l'esprit que l'unité de l'Etat et l'intégrité territoriale demeurent les bases de l'ordre international. La question de la souveraineté se pose aujourd'hui d'une manière nouvelle dans bien des domaines. Comment faire valoir une souveraineté alimentaire par exemple, pour garantir l'approvisionnement de sa population ? Comment mettre en œuvre dans de nouveaux espaces comme l'Internet une souveraineté numérique, tout en s'insérant dans un cadre collectif avec des principes forts ? Comment réinventer une souveraineté monétaire dans un climat d'instabilité mondiale où les décisions d'une seule Banque Centrale peuvent affecter les économies du monde entier ? Nous pourrions pourtant partager la souveraineté pour mieux l'exercer, par exemple à travers un G3 permanent regroupant les Etats Unis, l'Europe et la Chine notamment pour harmoniser les politiques monétaires ainsi que la supervision et la régulation bancaires. Comment penser une souveraineté environnementale quand les enjeux du réchauffement climatique, de la biodiversité, de la pollution dépassent les frontières nationales ? Là aussi, la souveraineté partagée offre un chemin, comme l'a montré le traité de Paris, négocié lors de la COP21 qui montre qu'un consensus mondial en faveur de l'action est possible.

Le deuxième pilier, c'est la solidarité internationale. Les Etats plus forts doivent épauler et soutenir les Etats fragiles. Pour ce faire, nous avons besoin d'une vision commune appliquée à des projets concrets et mise en œuvre avec une conscience du temps long. La première tâche est de restaurer la légitimité de l'Etat en redressant les administrations et les services publics tels que l'éducation, la santé, la justice, le logement ou l'accès à l'eau. Je plaide pour cette raison pour la création d'une force de reconstruction administrative sous la houlette des Nations Unies, capable de mobiliser des experts pour former, guider et appuyer des administrations nationales en difficultés, sous mandat des Nations Unies. Plusieurs projets peuvent illustrer les bienfaits de la solidarité interétatique dans le respect mutuel des souverainetés. Parmi eux, la Nouvelle Route de la Soie, élaborée dans le cadre du programme « One Belt One Road », est une main tendue par la Chine à ses voisins plus ou moins lointains d'Asie du Sud Est, d'Asie centrale, d'Europe, et d'Afrique de l'Est. La multiplication des projets d'infrastructures dans plus de 60 pays, avec un total de près de 1 000 milliards de dollars d'investissements, est le fruit d'une vision globale mobilisant le plus grand nombre d'Etats en faveur du développement au travers de routes, d'autoroutes, de réseaux énergétiques, d'hôpitaux et d'écoles. Il est crucial que tous les pays impliqués développent leur vision propre de ce projet et formulent leurs propositions.

Le troisième pilier, c'est l'efficacité. L'Etat ne peut maintenir son unité et sa légitimité qu'en restant à l'écoute des besoins des peuples. Le défi est commun aux Etats industrialisés, émergents et en développement. Partout il s'agit aujourd'hui de moderniser, d'étendre et de renforcer des services publics qui sont autant de progrès du bien commun. Dans un temps de grands changements, liés aux progrès technologiques, aux évolutions démographiques et au changement des mentalités, l'Etat est à la fois le gardien d'un héritage et d'une stabilité et l'aiguillon du progrès et de la transformation intérieure, pour mieux affronter la compétition mondiale.

J'ai la conviction que les Etats ne peuvent prospérer qu'à condition d'instituer un ordre mondial qui vienne remplacer le désordre de la mondialisation actuelle. J'ai la conviction que les Etats ne pourront se redresser séparément les uns des autres. C'est pourquoi je plaide pour une gouvernance mondiale renforcée et collective, avec une réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies mais aussi du FMI offrant plus de représentativité du monde tel qu'il est. En agissant en vecteur de paix, les Etats ne peuvent que gagner le consentement des peuples. La stabilisation du Moyen-Orient pourrait ainsi tirer parti du rapprochement des deux Etats majeurs de la région, l'Iran et l'Arabie Saoudite, prenant leurs responsabilités dans la mise en place d'un projet inédit de coopération. Sur le modèle de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) initiée en 1951 par les ennemis d'hier, l'Allemagne et la France, ces deux Etats pourraient esquisser une structure commune de gestion du pétrole qui poserait les jalons de la paix de demain. Car s'il appartient à tous de porter l'idéal de paix, il n'y a que les Etats qui puissent entériner le changement nécessaire à son établissement.

Dominique de Villepin,

Ancien Premier Ministre de la République française 

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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