Dernière mise à jour à 11h08 le 15/10
A l'issue d'une élection au scénario inédit, marquée par le départ des Etats-Unis et d'Israël, l'ex-ministre française de la Culture Audrey Azoulay a été choisie vendredi soir pour prendre les rênes d'une UNESCO fragilisée par ses dissensions et une crise financière interne. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture basée à Paris est confrontée à un défi de taille: renouer avec sa mission première, le respect de sa charte.
Le scrutin qui s'est déroulé cette semaine à Paris au siège de l'UNESCO a donné un coup de projecteur peu flatteur sur l'agence onusienne créée en 1946 sur les décombres de la Seconde guerre mondiale, dont la mission, très large et parfois mal connue, est largement entravée ces dernières années par des enjeux géopolitiques. L'annonce du retrait, jeudi, de Washington et de Tel Aviv dans la foulée, bien que prévisible, est une nouvelle épine dans le pied d'une institution menacée par une perte de crédibilité.
L'ancienne ministre française de la Culture Audrey Azoulay, 45 ans, s'est imposée sur le fil, à deux voix près, face à l'ancien vice-président de l'Assemblée générale de l'ONU, le Qatari Hamad al-Kawari, qui faisait la course en tête depuis le début du processus de sélection lundi.
Lors d'un vote intermédiaire vendredi en début d'après-midi, les 58 membres du conseil exécutif de l'UNESCO avaient préféré la Française à l'Egyptienne Mouchira Khattab, arrivées ex-aequo jeudi soir, derrière le Qatari. Un scénario inédit qui a rendu nécessaire un vote intermédiaire pour départager les deux candidates.
L'élection de Mme Azoulay doit encore être validée par la Conférence générale des 195 Etats membres de l'UNESCO, le 10 novembre, mais la socialiste française, ancienne élève de l'ENA, devrait prendre ses fonctions fin novembre.
Elle est originaire d'une famille juive marocaine. Son père est le banquier et homme politique André Azoulay, conseiller de l'actuel roi du Maroc comme il l'avait été de son père Hassan II. Sa mère est la femme de lettres Katia Brami.
Jeudi, sans attendre le résultat de l'élection, Washington avait justifié son départ de l'UNESCO en accusant l'agence de l'ONU d'être "anti-israélienne". Tel Aviv a immédiatement suivi, parlant de "théâtre de l'absurde où l'on déforme l'histoire au lieu de la préserver".
Les Etats-Unis - qui fournissaient près du quart du budget de l'agence - avaient déjà suspendu leur contribution financière régulière il y a six ans suite à l'admission en 2011 de la Palestine au sein de l'UNESCO. Ce retrait devrait être effectif à l'horizon 2018 et permettrait à l'administration Trump de ne pas payer un arriéré de près de 500 millions d'euros de cotisations impayées.
Une "triste nouvelle", un motif de "regret", une "déception", a-t-on commenté dans les chancelleries, de Paris à Moscou, en passant par les instances dirigeantes des Nations Unies et les milieux culturels et universitaires américains.
La directrice générale en exercice de l'UNESCO Irina Bokova, ancienne diplomate bulgare, a déploré sur franceinfo "un coup politique". "Je le regrette profondément. C'est l'universalité de l'organisation qui est aujourd'hui en jeu parce que nous sommes une plateforme large pour une coopération internationale dans le domaine de l'éducation, de la culture, de la communication, de la liberté d'expression,. Il nous faut tous les membres de la communauté internationale", a-t-elle plaidé.
"Dans un moment de crise, il faut plus que jamais s'impliquer, chercher à renforcer (l'UNESCO) et non pas la quitter", a déclaré, peu après son élection, Audrey Azoulay, indiquant que la "première chose à laquelle elle s'attachera" sera "de restaurer la crédibilité" de l'organisation "et la confiance des Etats membres".
Selon son Acte constitutif du 16 novembre 1945, l'UNESCO vise à "contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l'éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations afin d'assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples".
Dans son préambule, cet Acte proclame que "les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix".
L'UNESCO, qui regroupe aujourd'hui 195 Etats membres et huit membres associés, est surtout connue du grand public pour ses programmes éducatifs et ses classements au patrimoine mondial de biens culturels et de sites naturels remarquables.
Sa convention du patrimoine mondial a été adoptée en 1972. La liste compte actuellement 832 biens culturels classés (Grande muraille de Chine, vieille ville de Jérusalem, mont Saint-Michel, etc.) et 206 sites naturels (baie d'Halong au Vietnam, chutes Victoria entre la Zambie et le Zimbabwe...) répartis dans 167 Etats.
"Cette liste a fréquemment été instrumentalisée par les Etats, pour des enjeux économiques, de prestige, de politique et géopolitique. Le classement d'un site génère une action de lobbying intense", estime l'historienne Chloé Maurel, spécialiste des Nations unies.
Le champ d'action de l'UNESCO est en réalité beaucoup plus large, voire trop, considèrent certains observateurs de la nébuleuse onusienne. L'agence compte en effet plus de 50 bureaux, des instituts et des centres dans le monde entier, comme le Centre international de physique théorique Abdus Salam de Trieste (Italie), le Bureau international d'éducation à Genève, un institut statistique à Montréal. Elle pilote aussi des programmes internationaux consacrés à l'homme et la biosphère, aux océans ou aux géosciences et aux géoparcs, et dote différents prix.
Mais plus que la variété des activités de l'UNESCO, ce sont surtout les dissensions qui la secouent qui nuisent à son bon fonctionnement. Plusieurs épisodes conflictuels ont marqué l'histoire de l'agence, pendant la Guerre froide notamment, le processus de décolonisation, mais aussi durant les années 1980.
Autant dire que le mandat d'Audrey Azoulay à la tête de l'UNESCO ne s'annonce pas de tout repos pour faire advenir l'ambition qu'elle a défendue pendant sa campagne, en citant l'homme d'Etat français et figure du socialisme Léon Blum : faire en sorte que l'UNESCO soit "la conscience des Nations unies".