Au Tchad, le gouvernement veut privatiser la Société nationale des télécommunications, ce que contestent les députés et les employés qui jugent insignifiantes les mesures sociales proposées.
"Le secteur des télécommunications vient en deuxième position après les industries du pétrole en termes d'apport dans la croissance de l'économie du pays. Il a versé, au titre de diverses redevances d'impôts et taxes, 191 milliards F CFA (382 millions USD) entre 2009 et 2013", déclare Daoussa Déby Itno, ministre tchadien des Postes et Nouvelles technologies de l'information et de la communication (PNTIC).
Selon M. Daoussa Déby Itno, les télécommunications sont un secteur en pleine expansion qui pourrait booster l'économie si des moyens colossaux y avaient été injectés. Mais si le secteur se porte bien, grâce notamment aux deux géants privés Airtel et Millicom Tigo qui le dominent depuis une quinzaine d'années, la Société tchadienne des télécommunications (Sotel) était mal partie au moment de la libéralisation du secteur des télécoms au début des années 2000.
Il n'y a pas eu des moyens suffisants mis à sa disposition pour développer le mobile. Ce qui fait qu'aujourd'hui, la situation de la Sotel "est ridicule", comparativement aux deux autres opérateurs de la téléphonie.
"Depuis sa création en 1998, la Sotel n'a bénéficié que des faveurs de l'Etat pour son évolution. Toute sa difficulté réside au niveau des factures non payées par ses clients. Sur les 733 millions F CFA pour la facturation mensuelle, seulement 263 millions F CFA (526.000 USD, Ndlr) ont été recouvrés du fait de l'Etat tchadien qui est le grand client, ne paie pas la facture de ses consommations", indique le ministre des PNTIC. La seule alternative qui prévaut pour la survie de cette société est la privatisation, ajoute-t-il, "car elle absorbe plus d'argent qu'elle ne génère".
"Il y a aujourd'hui une amélioration dans les postes et télécommunications par rapport aux années 2011 et 2012", reconnaît Néatobeye Le-Nasseguengar, ancien journaliste et député du parti au pouvoir. Il a initié une question orale sur les télécommunications, débattue en plénière il y a une semaine.
"Si le secteur des télécommunications n'est pas en décrépitude, pourquoi vouloir absolument privatiser la Sotel?", s'interroge M. Néatobeye Le-Nasseguengar. Comme lui, la plupart des députés qui ont pris la parole lors de l'examen de la question orale, se sont prononcés contre la privatisation de la Sotel.
"Si le gouvernement tient à privatiser la Sotel, il faut élaborer un plan social acceptable pour la réinsertion des 556 employés", plaide M. Néatobeye Le-Nasseguengar.
Un pacte social, accepté par la direction générale de la Sotel et ses partenaires sociaux, mi-février 2014, prévoit en effet une prime incitative au départ aux agents ayant quinze ans ou plus d'ancienneté. Cette prime incitative, qui représente 60 mois de salaire, est calculée sur la moyenne des douze derniers salaires bruts, rehaussée du dixième de toutes les primes allouées à l'agent.
La prime de départ volontaire, accordée aux agents ayant dix à quatorze ans d'ancienneté, est composée du salaire brut mensuel moyen sur douze mois, d'indemnités pour services rendus, du nombre de mois restant avant la retraite et de la prime de départ pour motif personnel. Le pacte social prévoit également des mesures d'accompagnement particulières et d'aide à la reconversion professionnelle.
Mais pour le ministre des PNTIC, il est impossible de donner 60 mois de salaire à tous les employés. "Le personnel de la Sotel étant hybride, il est difficile de traiter les fonctionnaires en situation de détachement et les contractuels de la même façon", explique-t-il.
M. Daoussa Déby Itno propose que les 64 fonctionnaires regagnent leurs ministères d'origine, avec tous les avantages. Parmi les 478 contractuels, ceux qui seront maintenus bénéficieront du pacte social, et ceux qui seront licenciés pour motif économique seront désintéressés avec "quelque chose".
"Il est regrettable que l'on tente de remercier les 556 employés de la Sotel en monnaie de singe. Ces employés veulent qu'on les rétablisse dans leurs droits", déclare Eloi N'Dimandjingar, président du collège des délégués du personnel. Au siège de la Sotel (un imposant bâtiment neuf sur l'avenue Charles de Gaulle, la principale rue marchande de N'Djaména), le climat morose et plein de suspicion qui règne depuis plusieurs mois, est loin d'être terminé.
Peu de temps après sa création, fin 20 mai 2000, Sotel se dessaisit de ses recettes à hauteur de 57% au profit de la Société Tchadienne des Postes et de l'Epargne (STPE) et de l'Office Tchadien de Régulation des Télécommunications (OTRT) et se prépare à une privatisation appuyée par la Banque mondiale. Mais la société est reprise par Libertis, une entreprise privée étrangère, qui se contente de fonctionner avec l'ancienne licence. Ceci mécontente la Banque mondiale qui met fin à son accompagnement.
Seule face à son destin, la Sotel cumule les passifs. L'Etat tchadien décide alors de sauver son entreprise, éponge un passif de 55 milliards F CFA (110 millions USD) pour permettre au groupe de repartir sur de nouvelles bases et de faire face un tant soit peu à ses deux concurrents qui gagnent très vite du terrain.
La privatisation est à nouveau à l'ordre du jour; de potentiels repreneurs se signalent. En 2010, avec l'intervention de l'ancien Guide libyen, Mouammar Kadhafi, le rachat est attribué à une entreprise libyenne (Green Network) pour 45 milliards F CFA (90 millions USD). Une avance de 10 milliards F CFA (20 millions USD) est versée au Tchad. Mais les évènements de Libye et la chute du régime Kadhafi font à nouveau capoter cette deuxième tentative de privatisation. Et la Sotel replonge dans les dettes qui s'élèvent aujourd'hui à 23 milliards F CFA (46 millions USD).
"Privatiser la Sotel, c'est lui trouver une porte de sortie", conclut M. Daoussa Déby Itno.