Le début mouvementé du procès de l'ancien président tchadien, Hissène Habré au Palais de justice de Dakar, laisse planer des incertitudes quant à sa poursuite suite à son ajournement mardi jusqu'au septembre.
Devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) qui doivent la juger au nom de l'Afrique pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et tortures, Hissène Habré a bouleversé tout le programme du tribunal présidé par le juge burkinabé Gberdao Gustave Kam.
Lundi, une trentaine de minutes avant l'ouverture du procès qui est le premier organisé en Afrique contre un chef d'Etat africain, devant des juges africains, l'accusé a crié sa colère et contesté la légalité et la légitimité des CAE. Pour lui, son jugement est une "mascarade de justice" commandité par l'impérialisme occidental. "A bas l'impérialisme, à bas le néocolonialisme", a-t-il lancé avant d'être évacué de la salle.
A l'ouverture du procès, le procureur général des CAE, Mbacké Fall, l'invite à "briser le silence pour répondre devant l'histoire et les juges des crimes graves dont il est poursuivi", car son silence équivaut à "un acquiescement des nombreux crimes".
L'avocate tchadienne Jacqueline Moudeina, porte-parole des victimes du régime Habré, a souhaité également la comparution de l'ancien président tchadien qui a été, a-t-elle déclaré, "le bourreau de son propre peuple, le chef d'orchestre, le donneur d'ordre de cette machine répressive".
Mais ce vœu s'est heurté au silence de ce dernier qui a même refusé de comparaître, même après la sommation qui lui est servie par voie d'huissier et qu'il a refusé de signer, qualifiant, dans sa réponse, les CAE de "Comités administratifs extraordinaires".
"Les juges qui y siègent ne sont pas des juges mais de simples fonctionnaires remplissant une mission commandée. J'ai été illégalement emprisonné à la suite d'un acte de kidnapping", a affirmé M. Habré, dans le procès-verbal.
"Depuis lors, a-t-il poursuivi, j'ai été détenu illégalement. Je n'ai rien à répondre à aucune démarche de ce comité administratif dont l'existence et les accusations sont illégitimes", a-t-il conclu.
Conduit de force mardi au tribunal sur la décision de la Cour, Hissène Habré, dont les avocats boycottent l'audience, a gardé le silence.
Face à cette situation, trois avocats du barreau de Dakar ont été commis par le président des CAE pour défendre Habré. Pour leur permettre de s'imprégner du dossier, le juge a ordonné une suspension de 45 jours du procès qui devrait reprendre le 7 septembre.
Cette décision a été regrettée par les avocats des parties civiles et les organisations des droits de l'homme.
"C'est une déception. Mais que ça soit demain ou dans 45 jours, Hissène Habré sera face à ces victimes. Il sera face à la vérité, face au forfait commis par son gouvernement", a lancé Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de l'organisation Human Rights Watch.
De son côté, Me Georges-Henry Beauthier, un des porte-paroles des avocats de la partie civile, s'est offusqué du report du procès.
"Le moment est grave, vous avez pris une décision que nous ne déplorons pas mais que nous regrettons profondément", a-t-il dit.
Lui emboitant le pas, son collègue William Bourbon a dénoncé la stratégie de défense de "ruptures" du prévenu qui prend en otage le procès.
"Aux avocats désignés d'office, je leur dis de n'espérer de lui qu'il collabore. Vous êtes désignés par le tribunal car vous avez le droit de défendre l'intérêt de la justice (...) mais pas dans l'intérêt de Hissène Habré qui refuse d'être défendu", a relevé le procureur général des CAE, Mbacké Fall.
De son côté, le juge Gberdao Gustave Kam a rassuré tout le monde sur l'importance d'un procès "impartial et équitable où les règles de procédures seront respectées".
En attendant la reprise de son procès, l'ancien président tchadien semble avoir réussi son coup et s'est déjà proclamé vainqueur.
C'est les bras levés en signe de victoire, sous les acclamations de ses partisans qu' Hissène Habré a quitté le tribunal pour regagner sa cellule à la prison du Cap Manuel à Dakar.