Avec des parts insuffisantes de budgets consacrées à l'investissement, le financement extérieur est « indispensable » pour permettre aux pays de la Communauté é conomique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) de résorber leur déficit criant en infrastructures, selon la directrice adjointe du département du Fonds monétaire international (FMI), Anne-Marie Gulde-Wolf.
Dans un entretien à Xinhua en marge d'une conférence régionale sur le financement des infrastructures en Afrique centrale lundi à Yaoundé, Mme Gulde-Wolf a jugé avantageuse pour une concurrence accrue entre les bailleurs de fonds, l'offre de financements des pays émergents dont les financements à taux préférentiel accordés par la Chine aux pays de cette région.
Question : Les différents pays de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) multiplient aujourd'hui les initiatives de mobilisation de ressources pour le financement des infrastructures nécessaires à leur développement socioé conomique. Comment jugez-vous la pertinence de ces opérations ?
Réponse : L'insuffisance des infrastructures est un obstacle majeur au développement de l'Afrique centrale. La région a un besoin pressant en infrastructures pour assurer une croissance soutenue afin de relever le niveau et la qualité de vie de ses populations et poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Dé veloppement. La Banque mondiale a estimé en 2009 que le déficit d' infrastructures coûte chaque année deux points de pourcentage en moins à la croissance économique de l'Afrique subsaharienne.
L'investissement dans les infrastructures coûte cher. Les budgets des Etats de la CEMAC consacrent tous une part importante des dépenses à l'investissement dans les infrastructures. Mais ces dépenses sont insuffisantes face aux besoins. Avec l'exigence de préserver l'équilibre budgétaire, ces pays doivent rechercher des sources de financement alternatives. Le problème est d'éviter de tomber dans une spirale de la dette publique. Ainsi, les Etats de la CEMAC doivent veiller à la qualité des projets d' infrastructures et à la soutenabilité de la dette pour justifier le recours aux financements extérieurs. Ils doivent également assurer une cohérence régionale des stratégies nationales de dé veloppement des infrastructures afin d'appuyer l'approfondissement de l'intégration régionale. Les institutions régionales, telles que la Commission de la CEMAC et la Banque de développement des Etats de l'Afrique centrale, peuvent contribuer à soutenir les efforts d'intégration.
Q : Faut-il privilégier les financements intérieurs aux financements internationaux ?
R : Le mode de financement des infrastructures doit être en harmonie avec la capacité d'endettement et l'absorption administrative d'un pays. Il n'existe pas une solution unique dans cette perspective. Le choix du financement intérieur ou international doit donc tenir compte de la situation particulière de chaque pays. Le choix peut varier, mais les exigences de cohé rence macroéconomique restent les mêmes, quelle que soit la source de financement. Le financement extérieur est indispensable dans la sous-région, car, les budgets nationaux seuls ne peuvent pas faire face aux besoins et les marchés intérieurs ne peuvent pas fournir tout le financement requis.
Cependant, le financement extérieur comporte des risques par rapport au financement intérieur et, a fortiori, par rapport au financement sur ressources propres (à savoir le budget de l'Etat). Sans devenir trop technique, il faut noter que l'appel à des financements extérieurs massifs a des conséquences sur la politique monétaire et les équilibres de la balance des paiements qu'il convient de maîtriser. L'endettement dans des monnaies é trangères pose aussi le problème du risque de change.
Q : Quelle appréciation faites-vous des financements offerts par les pays émergents, dont notamment les financements à taux pré férentiel accordés par la Chine ?
R : La coopération Sud-Sud est en plein essor dans la sous-ré gion et il faut s'en réjouir. Les pays émergents, dont l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine et l'Inde pour ne citer que ceux-là, sont devenus des partenaires importants dans le développement de l' Afrique subsaharienne. Ceci est illustré par l'explosion des liens commerciaux et des investissements ces dernières années entre l' Afrique subsaharienne et les pays émergents. N'oublions pas aussi que l'Afrique subsaharienne et la Chine ont enregistré une croissance économique plus rapide que les économies avancées durant la dernière décennie.
Une grande partie des investissements des pays émergents en Afrique subsaharienne est liée aux industries extractives et à l' infrastructure. L'émergence de ces nouveaux partenariats Sud-Sud augmente les choix qui s'offrent aux pays de la sous-région à la recherche de financements pour leurs projets d'infrastructures. Qui dit plus de choix, dit une concurrence accrue entre les bailleurs de fonds. Ce qui, en général, se traduit par des conditions plus avantageuses pour les pays emprunteurs. Dans ce contexte, les conditions d'emprunt à rechercher sont les prêts en dessous des taux du marché, encore appelés « prêts concessionnels ». C'est seulement quand de tels emprunts ne sont pas disponibles que les pays devraient se tourner vers les prêts aux taux du march é.
Enfin, nous notons l'importance croissante de propositions de montages intégrés, où le partenaire qui finance le projet est aussi celui qui le construit. Dans ces montages complexes, il est parfois difficile de faire la part des choses et d'évaluer la composante de financement de façon indépendante et objective. Nous recommandons de séparer le financement de l'exécution des projets et de procéder à l'attribution de ces deux parties de façon indé pendante. (par Raphaël MVOGO)