Dernière mise à jour à 08h27 le 08/10
Moins de deux ans après la proposition de sa création, les attentes de voir la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII) injecter de la vigueur dans l'économie et la finance régionales sont élevées.
La BAII, dont l'idée a été proposée par le président chinois, Xi Jinping, en octobre 2013, a fait un grand pas en avant le 29 juin, lorsque les représentants de 57 pays fondateurs potentiels se sont réunis à Beijing pour la cérémonie de signature d'un accord fixant le cadre et la structure de gestion de la banque.
L'établissement devrait ouvrir ses portes d'ici la fin de l'année, à condition que l'accord soit adopté par les parlements de dix pays fondateurs potentiels, et que le capital souscrit initial s'élève au moins à 50% du capital autorisé.
En août, une réunion des négociateurs en chef a été organisée pour discuter de la nomination du président de la BAII. Jin Liqun, ancien vice-ministre chinois des Finances et secrétaire général du Secrétariat multilatéral par intérim de la BAII, a été sélectionné par consensus comme président désigné de la banque.
La création de la BAII traduit les impératifs de l'époque. "Cette banque est née au bon moment", estime Han Liqun, de l'Institut des relations internationales contemporaines de Chine.
COMBLER LES GRANDS BESOINS DE FINANCEMENT DE LA REGION
Etant donné l'important écart entre les besoins de l'Asie en infrastructures et les capacités des institutions financières régionales existantes, la BAII et les prêteurs multilatéraux actuels sont davantage complémentaires que concurrents.
Selon les estimations de la Banque asiatique de développement (BAD), l'Asie aura besoin chaque année d'environ 750 milliards de dollars d'investissements dans les infrastructures jusqu'en 2020. La Banque mondiale et la BAD ne disposent, respectivement, que de 220 milliards et 160 milliards de dollars de capitaux souscrits.
Malgré la croissance économique et commerciale rapides des dernières décennies, les pays asiatiques ont vu leurs économies ralentir, en raison d'une faible demande mondiale. Investir dans les ports, les chemins de fer et les routes -- des secteurs dans lesquels l'Asie a encore besoin d'améliorations -- est considéré comme un levier parfait pour stimuler la croissance.
Cependant, après la crise financière mondiale, les pays développés ont commencé à se serrer la ceinture quant à leur aide aux pays en développement, tandis que la Banque mondiale et la BAD font l'objet de critiques pour leur manque d'efficacité. Il est donc nécessaire de rechercher d'autres sources de financement, explique M. Han.
La BAII sera compatible avec les prêteurs internationaux existants plutôt que leur concurrente, souligne le ministre chinois des Finances, Lou Jiwei.
"Historiquement, l'établissement de banques d'investissements régionales, dont la BAD et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, n'a pas affaibli les institutions existantes. Au contraire, ces banques ont contribué à renforcer les organisations financières multilatérales et à promouvoir l'économie mondiale", explique-t-il.
M. Han est convaincu que la BAII stimulera un nouveau cycle de financement en provenance des pays développés vers les pays en développement.
La Banque mondiale comme la BAD ont annoncé être prêtes à travailler avec la BAII pour financer la construction d'infrastructures dans la région.
La BAII financera principalement la construction de routes, de ponts, de ports et de projets hydrauliques, ainsi que d'installations médicales et éducatives, selon le vice-ministre chinois des Finances Shi Yaobin.
La BAII sera dotée d'un capital autorisé de 100 milliards de dollars, et son capital souscrit initial devrait être d'environ 50 milliards de dollars.
Le capital initial est relativement faible, mais il devrait déboucher sur des fonds supplémentaires.
D'après Zong Liang, directeur adjoint de l'Institut de finance internationale de la Banque de Chine, les prêts de la BAII pourraient stimuler des investissements privés s'élevant à plus de dix fois son capital autorisé, soit environ 1.000 milliards de dollars de capitaux privés.
"Si les investissements dans la BAII fonctionnent bien, davantage d'investisseurs la rejoindront", indique M. Zong.
Par ailleurs, la banque stimulera également le marché des capitaux en Asie, car, outre son capital souscrit, elle financera des projets via l'émission d'obligations et des transactions interbancaires, note Liu Ligang, économiste chez ANZ Bank.
UNE BANQUE TRANSPARENTE ET OUVERTE
Les articles de l'accord établissant la BAII sont professionnels et similaires à ceux de la Banque mondiale et de la BAD, indique Ellen Frost, conseillère au sein de l'organisation américaine East-West Center, dans un entretien avec le magazine chinois Caijing.
En réponse aux inquiétudes selon lesquelles la Chine pourrait utiliser la banque pour ses propres intérêts diplomatiques, l'accord de la BAII rejette l'influence politique de tout membre.
La banque, son président, ses employés de haut rang et ses membres ne peuvent intervenir dans les affaires politiques d'un pays membre, ni prendre de décision sous l'influence politique de l'un d'eux.
Le président désigné de la BAII, Jin Liqun, assure que la banque maintiendra une "tolérance zéro" face à la corruption.
M. Lou s'engage à créer un mécanisme de surveillance pour assurer un processus ouvert et transparent dans l'élaboration des politiques, ajoutant que la BAII profitera de l'expérience des banques multilatérales existantes, en établissant une structure à trois niveaux, à savoir un conseil, un conseil d'administration et une administration.
La Chine est le premier actionnaire de la BAII, avec 30,34% des parts et 26,06% des voix, suivie par l'Inde et la Russie.
La Chine n'a pas cherché à obtenir de droit de veto, car ses actions et ses voix, durant la phase initiale, sont le résultat logique des règles actuelles et seront diluées au fur et à mesure que davantage de membres rejoindront la banque, explique M. Shi.
Les parts de la banque sont distribuées à 75% aux pays asiatiques et océaniens et à 25% aux pays situés hors de cette région.
Avec l'arrivée de nouveaux pays membres, ces derniers pourront voir leurs parts augmenter, mais la proportion ne pourra dépasser 30%.
Chaque membre se verra alloué des parts en fonction de la taille de son économie.
A l'égard des nouveaux membres, la Chine affirme que la BAII adoptera une attitude ouverte et tolérante. Elle souhaite d'ailleurs la bienvenue aux Etats-Unis et au Japon, ces deux pays - respectivement à la tête de la Banque mondiale et de la BAD - ont décidé pour l'heure de rester à l'écart de la BAII.
La BAII mènera des financements via des opérations d'open market et pourrait même fournir une aide aux pays non membres dans certains cas, indique M. Han.
"Avec un mécanisme si ouvert, même si la Chine voulait transformer la BAII en outil à des fins hégémoniques, cela serait plus difficile que prévu et ne servirait en rien les intérêts chinois", assure-t-il.