Dernière mise à jour à 12h01 le 10/09
Kwong adore la pure montée d'adrénaline qu'il ressent lorsqu'il chevauche sa moto le week-end pour illuminer sa vie terne.
Le jeune homme de 35 ans vit avec ses parents dans un appartement ancien et étroit des Nouveaux Territoires de Hong Kong. Il a une petite amie mais hésite à se marier et à fonder une famille.
« Le loyer est si élevé et je ne peux absolument pas me permettre d'acheter un appartement », a déclaré Kwong, qui gagne 15 000 dollars HK (1 950 dollars) par mois. Louer un appartement d'une chambre de 30 mètres carrés lui coûterait environ les deux tiers de son salaire. « Le futur ? Je n'y pense pas beaucoup, je vis simplement au jour le jour », a-t-il déclaré.
Les paroles de Kwong reflètent les griefs de nombreuses personnes à Hong Kong, en particulier les jeunes. Beaucoup ont exprimé leur mécontentement lors des manifestations prolongées dans les rues qui secouent Hong Kong depuis le mois de juin. Les manifestations, qui ont débuté à la suite de deux amendements prévus aux ordonnances de Hong Kong relatives aux délinquants en fuite, se sont élargies et sont devenues violentes ces derniers mois.
« Après plus de deux mois de troubles sociaux, il est évident pour beaucoup que le mécontentement dépasse de loin le projet de loi », a déclaré Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong (RASHK), évoquant les amendements maintenant retirés.
Pour Mme Lam, le mécontentement couvre à la fois des problèmes politiques, économiques et sociaux, y compris ceux souvent mentionnés relatifs au logement et à l'offre de terrains, à la répartition des revenus, à la justice sociale, à la mobilité et aux opportunités, pour que le public soit pleinement impliqué dans les décisions du gouvernement de la RASHK. « Nous pouvons discuter de toutes ces questions dans notre nouvelle plate-forme de dialogue », a-t-elle déclaré.
Des logements inabordables
Pendant neuf années consécutives, le logement à Hong Kong a été classé comme le moins abordable du monde. Selon Demographia, un cabinet de conseil en politiques d'urbanisme, les logements de la ville sont devenues encore plus inaccessibles pour la plupart des habitants. Le prix immobilier médian de la ville a grimpé à 7,16 millions de dollars HK en 2019, soit 20,9 fois le revenu médian des ménages en 2018, contre 19,4 fois un an auparavant.
Dans le dernier cas de transaction immobilière, un appartement de 33 mètres carrés situé à Mong Kok, dans le centre de Kowloon, a été vendu pour 5,2 millions de dollars HK en septembre, selon les données enregistrées de Centaline Property Agency Limited.
Pour ceux qui ont la chance de pouvoir acheter un appartement, beaucoup doivent dépenser une grande partie de leur revenu mensuel en remboursement de prêts. Pour ceux qui n'ont pas encore acheté leur logement, il est courant de dépenser plus de 10 000 dollars HK en loyer, tout en économisant chaque sou pour un acompte de plusieurs millions de dollars HK.
De 2004 à 2018, les statistiques montrent que le prix de l'immobilier a été multiplié par 4,4, alors que les revenus ont stagné. Selon un rapport mondial sur les salaires publié par l'Organisation internationale du Travail, la croissance des salaires réels moyens à Hong Kong n'a été que de 0,1% entre 2008 et 2017. L'accession à la propriété est passée de 53% à 48,9% entre 2003 et 2018.
Les efforts du gouvernement de la RASHK visant à accroître l'offre de terrains pour endiguer la flambée des prix des maisons ont également échoué au milieu de querelles sans fin. Ainsi, selon les données du gouvernement de la RASHK, sur les 1 100 kilomètres carrés de terres occupées à Hong Kong, seuls 24,3% ont été aménagés, les terrains à usage résidentiel ne représentant que 6,9%, selon les données du gouvernement de la RASHK.
Jack Wong, travailleur social âgé de 29 ans, vit dans un appartement acheté par ses parents. « J'ai de la chance. La plupart de mes amis doivent encore partager un appartement avec leurs parents. Mon cousin est marié depuis sept ans, mais il épargne toujours pour son acompte, il doit donc habiter chez ses parents », a-t-il raconté.
« L'ancienne génération a changé, passant de rien à quelque chose. Nous, les jeunes générations, pensions avoir quelque chose, mais il s'avère que nous n'avons rien », a-t-il ajouté.
L'anxiété de la classe moyenne
Alors que les jeunes se plaignent d'avoir peu d'opportunités de mobilité ascendante, la classe moyenne de Hong Kong, qui aurait dû être longtemps le pilier de la société, subit une forte pression économique et craint de reculer.
A Hong Kong, l'une des villes les plus chères du monde, il n'est pas facile d'appartenir à classe moyenne. Selon Paul Yip Siu-fai, maître de conférences à l'Université de Hong Kong, pour accéder à ce rang, un ménage doit gagner au moins 55 000 dollars HK, soit 7 000 dollars par mois. Environ 10% des ménages de la ville y parviennent.
Dans de nombreuses régions du monde, gagner autant peut être considéré comme riche. Mais à Hong Kong, même avec cette somme, votre budget est serré si vous avez un enfant à élever et des personnes âgées à entretenir.
Le logement est le fardeau le plus lourd pour le résident moyen de la classe moyenne. Le coût pour avoir et élever un enfant est un autre casse-tête à Hong Kong, où les activités extra-scolaires coûteuses et les cours privés extra-scolaires sont jugés nécessaires pour gagner un avantage dans un contexte de concurrence acharnée.
Les craintes de tomber dans le groupe à faible revenu sont réelles pour la classe moyenne. Selon Anthony Cheung Bing-leung, ancien secrétaire aux transports et au logement du gouvernement de la RASHK, nombreux sont ceux qui pensent n'appartenir à la classe moyenne que par leur identité culturelle et leur éducation, mais leurs conditions de vie ne sont guère meilleures que celles de ceux qui se sont appauvris.
Les fonctionnaires et les enseignants, qui gagnent beaucoup plus que le revenu moyen, sont traditionnellement considérés comme appartenant à la classe moyenne. Cependant, M. Cheung a découvert dans une enquête que beaucoup d'entre eux n'ont pas les moyens d'avoir leur propre appartement, certains vivant même dans les pièces étroites d'appartements cloisonnés.
« Nous n'appartenons pas au groupe à faible revenu, mais nous pourrions seulement louer un appartement maintenant », a ainsi déclaré Mme Lee, enseignante dans une école secondaire à Hong Kong. Mme Lee et son mari gagnent près d'1,3 million de dollars HK par an, mais, pour cette famille de cinq personnes, le mieux qu'ils peuvent louer actuellement, c'est un appartement de 50 mètres carrés. Elle a préféré ne pas donner son nom complet car elle se sentait gênée.
« Nous voulons économiser plus d'argent pour acheter un logement près d'écoles primaires prestigieuses pour nos enfants », a ajouté Mme Lee. « Si nos enfants ne peuvent pas aller dans une bonne école, ce sera très difficile à l'avenir ».
Un changement de structure économique
Dans les années 1970, près de la moitié de la main-d'œuvre de Hong Kong était constituée de travailleurs de l'industrie, alors que l'industrie manufacturière prospérait à Hong Kong. Au cours des années 1980, les secteurs de la finance, des transports maritimes, du commerce, de la logistique et des services de Hong Kong ont commencé à exploser.
Depuis lors, le paysage économique a commencé à changer avec la modernisation industrielle qui a suivi.
Du fait de la disparition du secteur manufacturier, l'écart de richesse à Hong Kong s'est creusé et la division par classe s'est aggravée. Malgré la prospérité des finances, du commerce et du tourisme ces dernières années, plus d'1,37 million de personnes vivent sous le seuil de pauvreté à Hong Kong, où habitent plus de 7 millions de personnes.
De plus, les possibilités de carrière sont maintenant limitées, ce qui laisse peu d'espoir aux jeunes de gravir les échelons sociaux.
En conséquence, la classe sociale de Hong Kong s'est en grande partie sclérosée au 21e siècle, les personnes les plus riches étant dominées par les promoteurs immobiliers et leurs familles.
Le coefficient de Gini, qui mesure l'inégalité de la répartition des revenus, a atteint un nouveau sommet de 0,539 en 2016, bien au-dessus du niveau d'alerte de 0,4, selon les données du département des recensements et des statistiques du gouvernement de la RASHK. Plus le chiffre est élevé, plus la répartition des revenus est inégale.
Bien que le gouvernement de la RASHK ait tenté de réduire l'écart de richesse, de nombreux Hongkongais affirment qu'ils ne partagent pas les fruits de la prospérité économique, en particulier les jeunes et les groupes à faible revenu.
Des barrières politiques toujours inamovibles
Pourquoi les problèmes profonds que connaît Hong Kong sont-ils si difficiles à résoudre ? Selon des observateurs, la raison en est compliquée, en partie à cause de la limitation de la structure politique actuelle qui entraîne des difficultés de gouvernance, en partie à cause de la mise en œuvre doctrinaire du principe de « petit gouvernement, grand marché » ou laisser-faire, et plus important encore en raison la position de refus stérile de l'opposition qui attise la confrontation politique et plonge Hong Kong dans un dilemme de discussions sans décision, ou de décisions prises et non suivies d'exécution.
Au cours des 22 dernières années, les gouvernements successifs de la RASHK ont tenté à plusieurs reprises de s'attaquer à ces problèmes en mettant en place des programmes de logements abordables et en réduisant les écarts entre les riches et les pauvres.
Par exemple, pour rendre les logements plus abordables, Tung Chee-hwa, le premier chef de l'exécutif de la RASHK, a proposé en 1997 de construire au moins 85 000 appartements par an dans les secteurs public et privé, de porter le taux d'accession à la propriété à 70% en 10 ans et de réduire le temps d'attente moyen pour accéder à un logement locatif public à trois ans. Ces projets ont malheureusement échoué, les prix des logements ayant plongé à Hong Kong dans le contexte de la crise financière asiatique de 1998.
« Depuis le retour de Hong Kong à la Chine, de nombreux problèmes économiques et de moyens de subsistance n'auraient pas été aussi politisés qu'aujourd'hui, si le gouvernement de la RASHK avait introduit davantage de politiques et de meilleures dispositions en matière de sécurité sociale pour remédier à ces problèmes », a souligné Tian Feilong, expert en droit au Centre « Un pays, deux systèmes » de l'Université Beihang à Beijing.
Pour mener à bien des politiques importantes ou faire avancer des projets de loi importants, le gouvernement de la RASHK doit recueillir le soutien de la majorité des deux tiers au Conseil législatif (LegCo). Mais les motions précédentes du gouvernement de la RASHK, qu'il s'agisse de politiques économiques ou de crédits budgétaires, ont été bloquées par l'opposition au LegCo, quels que soient les intérêts de la majorité des résidents de Hong Kong et le développement à long terme de la société.
En 2012, le gouvernement de la RASHK a cherché à mettre en place le Bureau de l'innovation et de la technologie afin de surfer sur la vague mondiale de start-ups innovantes, de diversifier sa structure économique et d'offrir davantage d'opportunités aux jeunes. Mais ces efforts ont toutefois été bloqués par l'opposition au LegCo au mépris des appels répétés du public. Après trois ans, la proposition de créer le bureau a finalement été adoptée par le LegCo.
Dans une autre affaire, un résident de Hong Kong, poussé par l'opposition, a demandé en 2010 un contrôle juridictionnel du plan de construction du pont Hong Kong-Zhuhai-Macao. Bien que le gouvernement de la RASHK ait eu gain de cause après plus d'un an de procédures judiciaires, 6,5 milliards de dollars HK d'argent des contribuables ont été gaspillés pour faire face à l'augmentation des coûts de construction de la section de Hong Kong du pont en raison de ce retard.
Au fil du temps, des problèmes sont restés sans solution, suscitant le mécontentement du public.
Dans ce contexte de querelles, les chamailleries politiques répétées ont paralysé le progrès social de Hong Kong, et l'opposition a créé un faux responsable et a imputé à la partie continentale de la Chine ces problèmes profondément enracinés.
Lau Pui-King, économiste à Hong Kong, conteste cette résistance de l'opposition ou même l'antagonisme avec la partie continentale de la Chine. « L'isolement n'apporte aucune opportunité de développement pour Hong Kong », a-t-elle noté. « Certains jeunes ne comprennent pas que la situation à Hong Kong serait encore pire si elle était isolée de la partie continentale de la Chine ». « Pour sortir des difficultés économiques actuelles, Hong Kong doit être liée plus étroitement et plus efficacement avec la partie continentale de la Chine », a-t-elle affirmé.