Zhu Lin, âgée de 94 ans, a raconté sa vie en France à une journaliste de La Chine au présent. (YU JIE) |
ZHU LIN*
Après la publication du communiqué annonçant l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, le 27 janvier 1964, mon mari, Huang Zhen, fut nommé premier ambassadeur de Chine en France. La décision du président français Charles de Gaulle faisait l'objet du soutien des milieux du pouvoir et de l'opposition, et il y avait en ce temps-là un réel engouement pour la Chine en France.
Recevoir une femme portant un pantalon, événement sans précédent à l'Élysée
Nous étions, en tant que premier personnel diplomatique envoyé par la Chine nouvelle à Paris, chaleureusement accueillis partout. Mais les médias français ont également souligné ce qui différenciait les diplomates de la Chine socialiste de ceux des autres pays.
Mon mari et moi avions été invités par le milieu culturel français à une soirée organisée pour la projection du film antifasciste La Bataille du rail, qui montrait la résistance héroïque et ingénieuse des cheminots français sous l'occupation allemande. Le lendemain, un journal français a publié une grande photo de notre couple accompagnée d'un article qui disait : « Dans la rivière de perles et de pierres précieuses des milieux diplomatiques, le couple de l'ambassadeur chinois représente le style des diplomates de la Chine nouvelle, l'homme ne portant pas de décorations, et sa femme, pas de parures. »
Après l'établissement des relations diplomatiques, les échanges amicaux entre les deux pays ont connu un essor vigoureux. Les représentations données par les troupes d'artistes chinois, comme l'Opéra de Beijing ou des groupes d'acrobates, ainsi que le pavillon chinois lors de la Foire de Paris, ont fait sensation dans la capitale et soulevé une vague d'enthousiasme pour la Chine. Les représentations chinoises furent grandement admirées par les Français, amateurs d'art. En France, les hauts fonctionnaires ne sont généralement pas conviés aux spectacles artistiques, mais à l'occasion d'un spectacle d'acrobaties, j'ai adressé à titre personnel une invitation à la femme du ministre français des Affaires étrangères. Mais on ne s'attendait pas à la présence de son mari, Monsieur Couve de Murville, venu sans invitation. À la fin de chaque spectacle, les spectateurs enthousiastes se ruaient sur scène pour faire signer des autographes aux artistes.
L'explosion de la première bombe atomique chinoise, en octobre 1964, a attiré l'attention du monde entier et a aussi eu un grand retentissement à Paris. Le soir même, quand nous sommes passés par l'Arc de Triomphe pour une activité diplomatique, la voiture roulant très lentement du fait d'un grand bouchon, nous étions sans cesse félicités par des Français à travers la vitre. Dès lors, et pendant une longue période, l'ambassade recevait chaque jour des messages de félicitations, et une personne a dû être désignée pour s'en occuper.
Le 1er janvier 1967, notre couple a été invité à assister à la réception du Nouvel An donnée par le président Charles de Gaulle à l'Élysée. Comme la Révolution culturelle avait commencé en Chine, je portais des vêtements de « femme cadre chinoise » à l'Élysée. Le lendemain, une grande photo a été publiée dans le journal, avec la légende : « L'Élysée a reçu pour la première fois une femme portant un pantalon ».
Les cuisines française et chinoise sont les meilleures au monde
À l'ambassade, j'ai été nommée conseillère politique interne, sous la direction spécifique de Song Zhiguang, premier assistant de l'ambassadeur.
Song Zhiguang était arrivé à titre de chargé d'affaires par intérim à Paris en janvier 1964 et s'était occupé de la construction de l'ambassade. Une maison avait été achetée rue du Château de Neuilly pour la résidence de l'ambassadeur. Plus tard, un appartement des environs fut loué pour le bureau temporaire. Au début de l'été 1967, « l'ambassade du Kuomintang en France », rue George V, a été récupérée.
Au début, l'ambassade de Chine comptait un personnel de 80 employés, mais il passa rapidement à plus de 130, sans compter les quelque 200 stagiaires et étudiants. La construction de notre ambassade s'est effectuée avec diligence et souci d'économie. Nous faisions beaucoup de choses nous-mêmes : la maçonnerie, la peinture, la tonte de la pelouse et la taille des arbres, ainsi que la maintenance des véhicules. À cette époque, il aurait fallu débourser 2 000 francs pour que des jardiniers élaguent les chênes de la cour de l'ambassade. Nous avons plutôt acheté des outils et de la corde pour 300 francs et avons taillé nous-mêmes nos chênes pendant trois jours. Cela nous a permis d'économiser des sommes importantes durant notre séjour de neuf ans à Paris.
L'ambassade donnait chaque année plusieurs grandes réceptions. 500 à 600 invités ont assisté à la première réception donnée à l'occasion de la Fête nationale chinoise, mais leur nombre s'est rapidement élevé par la suite à 1 600. Pour économiser sur la location de salles, les réceptions étaient souvent organisées dans la résidence de l'ambassadeur ou dans le salon de l'ambassade. Deux ans après la première, cette réception a dû être étalée sur deux périodes, de 17h à 19h et de 19h à 21h. La préparation de la nourriture était un gros travail et nous devions nous y atteler une semaine à l'avance. Nous les femmes, préparions des pains farcis, des gâteaux de riz aux huit trésors, des galettes de sésame et des rouleaux de printemps.
« Les cuisines française et chinoise sont les meilleures au monde », a déclaré le premier ministre Georges Pompidou à Huang Zhen, lors d'un dîner offert par Charles de Gaulle, peu après notre arrivée en France. Avant le départ définitif de mon mari, M. Pompidou, alors président, offrit un banquet en l'honneur de notre couple à l'Élysée. Il a dit : « La cuisine chinoise est vraiment très variée. Nous l'aimons et fréquentons les restaurants chinois. Mais le meilleur restaurant chinois est l'ambassade de Chine. »
Une amitié inoubliable
Ce qui fut le plus inoubliable durant mon séjour en France a été l'amitié que j'ai scellée avec Mme de Gaulle. Une fois arrivée à Paris, je lui ai rendu visite. Nous avons discuté longuement. Elle a bien aimé mon cadeau – une pièce de soie et un châle tricoté à la main – et m'a dit : « Vous avez une civilisation très ancienne. La soie française est venue de Chine par le passé. »
Quelques jours plus tard, le Palais de l'Élysée a informé l'ambassade de Chine que la femme du président allait faire une visite de retour. Un évènement sans précédent à Paris et même dans les milieux diplomatiques du reste du monde. J'ai préparé du thé vert chinois, des rouleaux de printemps, du jambon et un gâteau fourré d'un mélange de graines de sésame et de pâte de jujube, et j'ai aussi servi une coupe de vin d'osmanthe, inventé dans les palais impériaux de la Chine antique. Nous avons eu un entretien très agréable. « Nos maris sont tous deux généraux et ils s'entendent bien », a indiqué Mme de Gaulle. Au moment de son départ, je lui ai donné un paquet de litchis séchés, un autre de fruits confits et deux bouteilles de vin d'osmanthe, en expliquant que le dernier présent était pour le couple du général, et les fruits, pour leurs petits-fils. Au début de l'année 1966, quand le premier ministre Zhou Enlai nous a reçus au Grand Palais du peuple, il a dit : « Zhu Lin, tu es mondialement connue ! » J'en fus très étonnée. « Mme de Gaulle s'est rendue dans l'ambassade en réponse à ta visite. N'est-ce pas une nouvelle mondiale ? » m'a expliqué le premier ministre.
En mai 1966, j'ai invité Mme de Gaulle à visiter l'exposition des objets d'art artisanaux organisée par le ministère chinois de l'Industrie légère à Paris. Ayant appris que beaucoup d'objets avaient été fabriqués par des Chinoises, elle a clamé avec admiration : « Les femmes chinoises sont vraiment formidables. »
Durant le séjour de notre couple à Paris, Mme de Gaulle nous a beaucoup aidés. Plus tard, le couple présidentiel m'a appris un dicton français, selon lequel « les gens devraient aller visiter la Chine avant d'entrer au paradis ». Elle m'a fait part du désir de leur couple d'aller en Chine, et je leur ai immédiatement proposé de les accueillir chaleureusement. Malheureusement, en 1969, Charles de Gaulle a perdu l'élection présidentielle et s'est retiré de la vie politique pour aller vivre à Colombey-les-Deux-Églises. En 1970 et 1979, le général de Gaulle, puis son épouse, sont décédés l'un après l'autre. J'en fus très triste et j'ai aussi regretté qu'ils n'aient pas pu concrétiser leur désir de visiter la Chine.
Des ressortissants chinois chaleureux
Quand nous sommes arrivés en France, les Chinois y étaient peu nombreux, environ 2 000 personnes, divisées principalement en trois groupes : des travailleurs chinois qui étaient venus ici pendant la Première Guerre mondiale ; des intellectuels qui étaient venus étudier en France dans le cadre du mouvement Travail-Études ; des commerçants venus du Zhejiang et du Fujian.
Les anciens travailleurs chinois en France, originaires pour la plupart du Hebei et du Shandong, étaient sexagénaires et ont connu une vie plus tourmentée que les deux autres groupes. Bien qu'ils aient passé une bonne moitié de leur vie en France, ils ne connaissaient pas le français. Mais ils avaient formé une communauté, au sein de laquelle ils s'entraidaient. Certains d'entre eux s'étaient mariés avec des Françaises et avaient eu des enfants, mais la plupart menaient une vie solitaire. Ils vivaient de leur pension de retraite.
Une fois, un vieux travailleur chinois est venu à l'ambassade avec un sac de pièces d'argent de plusieurs kilos. Il voulait que l'ambassade transmette ces pièces au gouvernement populaire pour contribuer à l'édification de la patrie. Nous fûmes très émus de son patriotisme et nous les avons envoyées au pays. Ces anciens travailleurs voulaient toujours faire quelque chose pour l'ambassade. Durant la Foire de Paris, ils se sont spontanément organisés pour veiller avec le personnel de l'ambassade au pavillon chinois. Même s'il n'y avait rien à faire à l'ambassade, ils aimaient aussi y venir pour écouter le personnel parler de la situation de la patrie. Ils y restaient souvent plusieurs heures, avant de partir à contre-cœur.
Quant aux intellectuels ayant participé au mouvement Travail-Études, la plupart s'étaient installés en France. Certains d'entre eux travaillaient dans le domaine technologique, d'autres, dans l'éducation et l'art. À l'occasion d'une Fête nationale, un artiste chinois nous a offert une grande effigie de Mao Zedong qu'il avait peinte. Sur cette toile, Mao Zedong porte un manteau court, qui était très populaire à cette époque, et des bottes de cuir.
Les commerçants chinois géraient généralement des restaurants. À notre arrivée, Paris comptait quelque 300 restaurants chinois. En 1973, lorsque nous sommes partis, il y en avait plus de 500, et le nombre total de ressortissants chinois en France était compris entre 4 000 et 5 000.
En mars 1973, à la fin du mandat de mon mari en France, nous sommes rentrés au pays.
*ZHU LIN est la femme du premier ambassadeur de Chine en France.