Julien avec Ding Guangquan, légende vivante du xiangsheng. |
Laurent Cassar, membre de la rédaction
Il a le regard intense de ceux qui vivent leurs passions à fond. Julien Gaudfroy, plus connu en Chine sous le nom de Zhu Li An (une transcription phonétique de son prénom), est probablement aujourd'hui le Français le plus connu du public chinois. Présentateur télé d'émissions à succès (entre autres sur CCTV), animateur radio, comédien, acteur, mannequin… Ce jeune homme au mandarin plus que parfait a déjà un CV à faire pâlir d'envie les milliers d'occidentaux venus en Chine à la recherche d'une hypothétique gloire. Néanmoins, il ne se gargarise pas de sa réussite. « Je suis plus reconnaissant de tout ce que m'a donné la Chine que fier de quoi que ce soit que j'ai fait jusqu'à maintenant, nous dit-il. Ce ne sont que des étapes vers quelque chose d'autre… » Et cette autre chose est sa plus grande passion : la musique.
Né à Paris en 1979 de parents lillois, tous deux musiciens de haut niveau, Julien commence à jouer de la musique dès l'âge de 5 ans. Piano, violon, mais c'est le violoncelle qu'il choisira finalement. Il travaille sa technique d'arrache-pied jusqu'à rentrer au Conservatoire de musique de Paris, où se concentre l'élite des musiciens français. Sa carrière semble toute tracée : il donne des concerts dans toute l'Europe, jusqu'à Hong Kong. Comme il le dit, « ma vie, c'était le violoncelle ». Puis, vient la grosse tuile : des blessures à répétition au poignet qui le forcent à arrêter de pratiquer pendant des dizaines de mois.
C'est à ce moment-là qu'il commence à apprendre le chinois. Par curiosité et parce qu'il s'ennuyait, orphelin de son instrument. C'est en 1999 qu'il découvre la Chine, Shanghai et la province du Fujian. Une première prise de contact qui décuple sa curiosité pour la langue.
De retour en France, il « bosse le chinois comme un fou », à raison de 10 ou 12 heures par jour, un rythme intense qu'il peut tenir grâce à la discipline acquise par sa pratique du violoncelle. « C'est beaucoup plus facile d'apprendre une langue que de travailler un instrument au plus haut niveau », dit-il. En avril 2002, il revient en Chine et s'y installe. Pour de bon cette fois-ci. Son excellente maîtrise de la langue, son dynamisme et son charisme lui permettent peu à peu de faire son trou dans le milieu du show-business, sans l'avoir vraiment recherché à la base. Shanghai étant devenu « trop petit » pour sa carrière dans les médias, il décide de s'installer à Beijing quelques années plus tard, d'où il enchaînera les émissions de télévision, les films, et voyagera dans tout le pays pour donner des spectacles de xiangsheng (la comédie traditionnelle chinoise), art où la maîtrise parfaite de la langue est impérative. C'est d'ailleurs ce qui revient le plus souvent dans la bouche des Chinois lorsqu'ils parlent de Zhu Li An : « Il parle comme un Chinois ! » Julien tient néanmoins à nuancer ces éloges : « C'est quelque chose d'assez naturel d'être perfectionniste quand on est artiste… Je suis juste proche d'un haut niveau, mais il y a toujours plus haut et surtout, en comparaison des locaux dont c'est la langue maternelle, on n'est rien ! »
Aujourd'hui, connu et reconnu par quelques centaines de millions de personnes (rien que ça !), Julien se sent chez lui en Chine, marié et père de deux jeunes enfants. « Il y a une chaleur qui se retrouve, dans le sens de l'hospitalité par exemple, qui n'existe pas ou plus chez nous, note-il. C'est très normal d'inviter quelqu'un à manger, de réunir des gens, d'accueillir à bras ouverts les amis des amis, même si on ne les a pas invités. En France, c'est impensable. J'aime ce principe du ''les amis de mes amis sont mes amis'' qui existe peu en France. » Il apprécie également beaucoup la tolérance et la politesse des Chinois. « Ce n'est pas une ''politesse de forme'' comme en France, mais quelque chose de différent, ne pas être agressif envers les autres, surtout en public. Autant j'aime la sincérité dans beaucoup d'aspects, mais je ne crois pas qu'être toujours franc et sincère soit une vertu parce que souvent, je trouve ce comportement très impoli, très incorrect. » Il trouve aussi les Chinois beaucoup plus optimistes que les Français quant à leur avenir, même si, note-il, « aujourd'hui c'est beaucoup plus difficile de monter une affaire qu'il y a 5 ou 10 ans ».
Il est aussi très admiratif du rôle joué par les grands-parents chinois qui, à l'image de sa belle-mère, s'occupent très souvent de leurs petits-enfants et préparent les repas pour soulager leur(s) enfant(s) qui travaillent.
En ce qui concerne les relations entre la Chine et la France (l'étranger en général), Internet a selon lui tout changé : « Il y a 10 ans quand une information sur la Chine était publiée dans un média français, presque personne ne le savait. Aujourd'hui, elle sera tout de suite traduite et mise sur Internet. Par contre, quand il y a des critiques envers la Chine, les gens ont souvent du mal à encaisser », dit-il. Internet a aussi et surtout influencé la scène artistique chinoise : « On a accès à tout, n'importe quand et n'importe où. Le bon côté, c'est qu'on a plus facilement accès à plein de types de culture, mais le côté négatif, c'est que cela donne aussi plus d'occasions aux entreprises ou aux médias qui ont de l'argent de diffuser leurs informations qui ne sont pas très intéressantes ». Selon lui, il y a également en Chine « une crise d'éducation artistique. À l'école, tout est basé sur les maths, la physique, l'économie, l'anglais… Et comme les gens veulent toujours entendre les mêmes rengaines, les artistes se contentent de tourner avec trois chansons dans l'année et ne voient pas l'intérêt de créer plus de nouveautés. Donc ils deviennent moins performants et font les mêmes choses à longueur de temps. C'est un cercle vicieux. »
Il prend comme contre-exemple les opéras folks des années 50, 60 ou 70, des œuvres de très haute qualité ayant parfois été travaillées pendant 5 ou 10 ans avant d'être achevées. Des pièces que la jeunesse chinoise ne connaît pas ou trouve « ringardes ». « Si tu juges la qualité d'un opéra à son contenu ou à son thème, tu n'as rien compris à l'art. L'art, ce n'est pas ça. Aujourd'hui, on a de la ''daube'' de sous-culture pop qui ne vaut absolument rien et un lavage de cerveau des jeunes générations qui n'ont eu accès à la culture musicale. » Selon lui, tant que le public n'exigera pas de la qualité et des nouveautés, il n'y aura pas d'évolution.
En ce qui concerne l'évolution des programmes de télévision, son jugement est assez nuancé : « Il y a de plus en plus d'émissions, de plus en plus d'essais aussi. Donc on peut dire que d'une certaine manière, il y a davantage de choses bien qui se font… tout simplement parce qu'il y a plus de choses. Mais le pourcentage de programmes de qualité est assez bas. Les télévisions du Sud de la Chine sont plus créatives et modernes, on observe une évolution dans le bon sens. Mais ici, à Beijing, rien ne change. »
De toutes ses activités, présenter des émissions de télévision et animer sa populaire émission de radio sont celles où il prend le plus de plaisir. Il aime particulièrement la radio où « on est plus libre », dit-il. « Dans le Guangdong, par exemple, les gens me connaissent plus par rapport à ma voix, à mes émissions de radio, que par rapport à mes émissions de télé. »
Quant au xiangsheng, discipline par le biais de laquelle il a bluffé les Chinois, il a décidé de le mettre un temps de côté. Il n'a plus assez de temps pour se perfectionner dans le domaine, car il veut s'occuper de ses enfants et s'est remis au violoncelle. Il garde néanmoins une énorme admiration pour son ancien « maître de xiangsheng », M. Ding, « une personne vraiment extraordinaire ».
Dans un futur proche, Julien veut se remettre très sérieusement à la musique et ambitionne de donner des concerts agrémentés de vidéos et de « mini-conférences » avec comme but de former un public : « J'ai vraiment envie d'apporter quelque chose à la scène musicale classique en Chine. Je serai très fier de moi si j'arrivais à faire passer un message d'amour et de culture par la musique et à influencer les gens par ce biais, dire aux gens pourquoi j'aime telle ou telle pièce, faire ressortir le côté humain. Si j'arrive à toucher 1 000 personnes grâce à mes vidéos et que, d'un coup, ces gens se mettent à apprécier Brahms ou Bach et veulent les écouter, je trouverai cela superbe. »
En attendant, Zhu Li An continue de sillonner la Chine, de Beijing (sa ville préférée) « pour tous les gens intéressants qu'on y rencontre », à Shenzhen « une ville très dynamique avec beaucoup d'artistes », en passant par le Yunnan « aux plus beaux paysages », le Sichuan et le Shaanxi « aux meilleures cuisines », pour y mener ses multiples activités. Il a aussi ouvert un restaurant de style parisien à Beijing, juste en face de l'ambassade de France, appelé « Chez Julien ». Mais comme il le dit lui-même : « Le meilleur reste à venir. »