Par TANG SHUBIAO, rédacteur en chef de La Chine au présent
Martin Joli, sociologue de Reims, France, nous adresse une question : « Récemment, la série télévisé De Concubine à Impératrice a été censurée et recadrée en raison des décolletés plongeants des actrices, considérés comme obscènes. Pourquoi la libération sexuelle n'a-t-elle pas suivi le développement socio-économique du pays ? »
Notre lecteur pose en fait trois questions. Voyons tout d'abord la première, relative à la série De Concubine à Impératrice.
Cette série retrace la vie de Wu Zetian (624-705). Elle a vécu il y a plus de 1 300 ans et aura été la seule impératrice de l'histoire de Chine. Son existence est largement représentée dans les arts en Chine, la série De Concubine à Impératrice n'en étant qu'un exemple parmi tant d'autres.
À l'époque qui nous intéresse, le port du ruqun (une sorte de vêtements pour femmes) était très en vogue auprès de la gent féminine. Les dames issues de la noblesse et les chanteuses le portaient parfois avec un décolleté. Sur les peintures anciennes tout comme sur les découvertes archéologiques de cette époque, on peut aussi voir le hufu (vêtements des ethnies minoritaires du Nord de la Chine) ou des images de femmes portant des vêtements masculins. Dans la série télévisée De Concubine à Impératrice, on ne voit que des décolletés plongeants, des poitrines saillantes et des intrigues de harem.
« La nouvelle la plus sensationnelle du moment, c'est la censure et le recadrage de la série De Concubine à Impératrice en raison des décolletés plongeants », annonce Reuters en citant les propos d'un blogueur certifié de sina.com et spécialiste des technologies de l'information, suivi par plus d'un million d'internautes.
Des internautes chinois qui se sont écharpés sur la Toile sur cette histoire de décolletés et de censure, sans pouvoir parvenir à un consensus. Sur le site toutiao.com, certains disent que c'est simplement un plaisir pour les yeux et qu'il n'y a rien de mal à cela. Pour d'autres, il s'agit d'une série en tenue d'époque relatant des intrigues de cour et cette affaire de décolletés relève de la frénésie médiatique. Pour ce qui est de la série elle-même, un internaute estime que « ce n'est pas parce qu'on a censuré les poitrines qu'une œuvre médiocre s'en trouvera rehaussée. Même sans cette censure, la série n'aurait pas marqué les esprits ».
Deuxièmement, notre lecteur nous dit que les décolletés plongeants sont obscènes en Chine. Ce n'est pas tout à fait exact.
L'attitude des Chinois vis-à-vis des seins est quelque peu différente du « fétichisme de la poitrine » que l'on constate en Occident. Les Chinois respectent les femmes et ne parleront pas ouvertement de ce thème. Les Chinois savent aussi apprécier une belle poitrine, mais on entre là dans la sphère du privé... C'est à mettre en relation avec la sagesse chinoise qui préconise la retenue et la modestie. Une femme ne montrera ainsi sa poitrine qu'à l'élu de son cœur, jamais en public. Il existe néanmoins en Chine des endroits, notamment dans les campagnes, où l'allaitement est considéré comme sacré et où les jeunes mères ouvrent naturellement leur vêtement pour allaiter leur enfant. Elles le feront sans pudeur et à ce spectacle, les hommes n'auront que du respect et n'y verront rien d'obscène.
Troisièmement, notre lecteur souhaite savoir si le développement socio-économique de la Chine est allé de pair avec la libération sexuelle. À différentes périodes, la libération sexuelle a été marquée par la recherche de la liberté et du progrès, mais aussi par la recherche du plaisir. Il me semble donc qu'il n'existe absolument pas de relation de causalité avec le développement socio-économique.
Dans le jardin d'Éden, Adam et Ève recouvraient leurs parties honteuses d'une feuille. Plusieurs milliers d'années plus tard, les conditions socio-économiques ont subi d'innombrables transformations. Si on avait mis sur le même plan le niveau de développement et la « libération », il y a alors longtemps que cette feuille mythique aurait dû disparaître. Dans les faits, même si dans certains pays, il existe une « Journée sans pantalon », ceux qui s'y adonnent conservent encore leur slip pour prendre le métro, ils n'y vont pas cul nu. De même, personne ne se balade les seins à l'air au vu et au su de tout le monde. Peu importe le niveau de développement économique et social, la « libération » ne doit pas être un acte impulsif, et certains faits doivent obéir à des coutumes et à la culture d'une société, aux modes de vie et aux contraintes de la vie sociale. Les hommes ne sont pas des bêtes, mais des êtres sociaux doués de raison.
La Chine au présent