Dernière mise à jour à 08h49 le 20/03
Comme des oiseaux picorant du grain, une douzaine de bras robotiques pressent des composants sur une machine POS, vérifient leurs fonctions et les emballent soigneusement sous la supervision d'un employé, humain, lui. Pour assembler le même appareil, utilisé pour les paiements par carte et mobile, il aurait fallu une chaîne de 60 travailleurs.
Les deux chaînes de montage juxtaposées dans l'usine Kingtronics offrent un aperçu de la révolution robotique dans la province chinoise du Fujian (est). Comme dans les autres régions côtières de la Chine, la hausse des coûts de main-d'œuvre et la réduction des commandes étrangères incitent les usines à forte intensité de main-d'œuvre à faire des changements.
Au lieu de réduire sa production, Kingtronics a choisi de déployer davantage de robots. Cette stratégie a non seulement permis d'augmenter les bénéfices, mais a aussi permis à cette entreprise à capitaux hongkongais d'élargir son activité en concevant et en vendant des équipements automatiques à des fabricants n'ayant pas accès aux robots importés.
"Nous anticipons un marché sans frontières, de nombreuses petites et moyennes entreprises souhaitant des solutions automatisées", explique Henry C. Tseng, président de la société dans la ville de Zhangzhou. "Nous ne nous inquiétons pas des suppressions d'emplois, car l'amélioration de la productivité entraînera une expansion de la production qui absorbera les travailleurs remplacés par des machines."
Face au ralentissement économique et aux incertitudes engendrées par les frictions commerciales avec les États-Unis, la Chine résiste à l'actuelle tendance à la baisse économique pour enregistrer une croissance robuste, une ténacité microéconomique soulignée par Kingtronics et de nombreuses autres entreprises privées.
Près de trois ans après le lancement par la Chine de la réforme du côté de l'offre visant à restructurer et à moderniser ses industries, les économistes déclarent qu'un nouvel élan est en train de naître de la transition de la main d'oeuvre, renforçant ainsi la confiance pour les "deux sessions", un évènement politique destiné à planifier le développement de la Chine en 2019, une "année clé" dans son objectif de construire une société de moyenne aisance dans tous les aspects.
Les sessions annuelles, tenues début mars, réunissent le corps législatif national et l'organe consultatif politique chinois, qui cherchent à identifier de nouveaux moteurs pour booster la seconde économie mondiale, mais aussi les moyens d'aider les entités du marché à faire face à la période de transition tumultueuse.
LES FRUITS DU CHANGEMENT
Lors d'une réunion du Conseil des Affaires d'Etat en janvier, le Premier ministre chinois Li Keqiang a déclaré que le développement du pays était confronté à un environnement plus complexe cette année, entre défis croissants et pression à la baisse sur l'économie.
Outre les menaces de la montée du protectionnisme à l'étranger, responsables et experts soulignent les faiblesses de l'économie nationale, notamment l'offre excédentaire de produits bas de gamme et le manque d'innovation. Les "deux sessions" de cette année, lors desquelles le rapport d'activité du gouvernement 2019 a été publié, devraient aboutir à l'approfondissement de la réforme du côté de l'offre.
"Les entreprises traditionnelles axées sur l'exportation ont rencontré des difficultés considérables lors de la transformation industrielle en 2018", a déclaré Huang Maoxing, professeur d'économie à l'Université normale du Fujian. "Mais après la stimulation, un rebond est presque certain en 2019, grâce au nouvel élan accumulé durant la transition."
La transition dont parle Huang Maoxing est maintenant à l'ordre du jour dans toute la Chine. Lors des "deux sessions" au niveau provincial qui ont précédé l'événement national, une majorité des provinces chinoises ont abaissé leurs objectifs de croissance du PIB pour 2019, et mis l'accent sur un développement de haute qualité, en promettant de développer de nouvelles industries et de moderniser les industries traditionnelles.
Le Fujian, connu pour ses industries électroniques et du vêtement en plein essor, a vu de plus en plus d'usines adopter l'automatisation, ce qui a multiplié par 16 le nombre de robots industriels importés au cours des dix premiers mois de 2018.
Dans la province du Shanxi (nord), pays riche en charbon, les entreprises du secteur se tournent vers les nouvelles énergies et de nouveaux matériaux, car les capacités redondantes ont été réduites. Au cours des trois dernières années, le Shanxi a éliminé 88,4 millions de tonnes de capacité de charbon mais a accéléré le développement de nouvelles énergies, comme l'extraction de méthane de houille, qui représente maintenant plus de 90% du total national.
Shanxi Uni-moon Green Paper a récolté les premiers fruits de la transition énergétique. Cette filiale d'une entreprise houillère a mis au point une technologie permettant de fabriquer du papier en gangue, un déchet de la production de charbon. En produisant chaque année 120.000 tonnes de "papier de pierre", la société estime qu'elle sauvera 2,4 millions d'arbres.
Malgré le ralentissement temporaire de la croissance du PIB, Yan Linhu, directeur général adjoint de la société, a salué le mouvement de l'industrie vers un modèle de développement plus sain, mettant en avant l'innovation. "L'industrie charbonnière subit de fortes contraintes, mais toutes les entreprises cherchent des changements et c'est un signe positif", a-t-il déclaré.
Les villes chinoises élaborent également des politiques favorables pour faire face à la vague de transformation. Chongqing, grand centre de production d'automobiles et d'ordinateurs portables dans le sud-ouest de la Chine, attire les développeurs de mégadonnées, d'intelligence artificielle et de robots industriels pour revitaliser son secteur manufacturier.
En 2017, la croissance à deux chiffres de la municipalité a cessé, après 15 ans continus. La croissance de son PIB s'est établie à 9,3%, puis à 6% l'an dernier, le marché automobile saturé ayant affecté la production de la ville.
En 2018, l'économie chinoise a progressé de 6,6% en glissement annuel, un taux dépassant ainsi l'objectif officiel d'environ 6,5%, mais inférieur à la croissance de 6,8% enregistrée en 2017.
Le gouvernement de Chongqing a signé en 2018 un accord pour héberger le siège régional d'Alibaba, dans l'espoir de tirer parti de l'informatique en nuage et des services d'IA du géant de l'internet. Les autorités de la ville ont également établi un accord avec Tencent, un autre géant technologique, pour coopérer dans le domaine des mégadonnées et des technologies intelligentes.
Selon Yi Xiaoguang, directeur de l'Institut de recherche économique globale de Chongqing, les données révèlent que ces efforts portent leurs fruits, soulignant une augmentation de 400% de la contribution des industries de haute technologie à la production industrielle de Chongqing en 2018. "Cela montre que les nouveaux moteurs de croissance prennent de la vitesse et deviendront, en temps voulu, les nouveaux piliers économiques."
CONFIANCE DU MARCHÉ
Une autre bonne nouvelle pour l'économie chinoise est la loi unifiée sur les investissements étrangers, qui fait l'objet de discussions au cours des "deux sessions". Une fois adoptée, elle contribuera à créer un environnement commercial plus favorable et à attirer davantage d'investissements étrangers.
Le marché intérieur est en expansion et reste fort. En 2018, la consommation de marchandises en Chine a augmenté de 9% pour atteindre 38.000 milliards de yuans (5.660 milliards de dollars), continuant à être le principal moteur pour la croissance, selon le Bureau d'Etat des statistiques.
En outre, le boom des infrastructures le long de "la Ceinture et la Route" ces dernières années a rapproché de nombreux marchés émergents des producteurs intérieurs.
Panpan Foods, un important fournisseur de pâtisseries dans la province du Fujian, témoigne de la mise à niveau de la consommation en Chine, stimulée par le pouvoir d'achat croissant.
"Dans le passé, les consommateurs chinois préféraient les pâtisseries de plus grande taille vendues à des prix moins élevés, mais maintenant, ils n'hésitent plus à dépenser davantage pour des aliments de meilleure qualité", a déclaré Cai Jinchai, PDG de Panpan. "Les jeunes Chinois consomment désormais des snacks pour se sentir bien et rester en bonne santé."
Selon Cai Jinchai, la recherche par les consommateurs d'aliments de qualité pousse la société à diversifier ses produits, à lancer de nouvelles saveurs et à coopérer avec des experts japonais pour développer des snacks à courte durée de conservation. Il est également en train de pénétrer sur le marché lucratif des noix assorties, très recherchées par les consommateurs en col blanc pour leurs vertus.
Selon un rapport publié par Bain & Company et Kantar Worldpanel, les dépenses des familles chinoises sur les biens de consommation courante, ou biens non durables tels que les aliments sous emballage et les shampooings, devraient augmenter de 5% en 2018. Ce qui montre que les tensions commerciales ont eu un impact minimal sur le marché de la consommation en Chine.
De la même manière, le marché industriel se porte bien pour les fabricants chinois en quête d'innovation, a déclaré Deng Xiaojun, du groupe Datong Reciprocity, un fabricant de valves industrielles, qui fait une percée sur le marché mondial des valves cryogéniques.
"Le ralentissement économique de ces dernières années a eu un impact minime sur notre société. Tant que nous aurons des produits innovants, il y aura toujours une demande du marché", a déclaré Deng Xiaojun, dont la société vient de signer un contrat d'approvisionnement de 200 millions de dollars avec une entreprise pétrolière mexicaine.
Deng Xiaojun a également appelé les "deux sessions" à se concentrer sur les difficultés financières des entreprises privées dans leurs efforts de réforme et d'innovation. De fait, de nombreuses petites et moyennes entreprises ont du mal à obtenir des prêts bancaires, a-t-il noté.
Une série de politiques de soutien a été adoptée lors des "deux sessions" l'année dernière, appelant à réduire les impôts et d'autres charges pour les entreprises. On estime que la Chine aurait ainsi économisé 1.300 milliards de yuans (près de 200 milliards de dollars) pour les entités du marché en 2018. Henry C. Tseng estime que de telles politiques sont essentielles pour la prospérité de l'économie réelle de la Chine.
"Pousser l'innovation dans le secteur manufacturier comporte toujours beaucoup de risques. Les petites entreprises en particulier doivent surmonter de nombreux obstacles financiers et technologiques. Elles ont donc besoin d'un soutien gouvernemental fort", a ajouté Henry C. Tseng.