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Entretien exclusif avec l'auteur du « Piège Américain » : la justice américaine m'a forcé à céder

le Quotidien du Peuple en ligne | 05.07.2019 15h25

En avril 2013, Frédéric Pierucci, responsable mondial de la division des chaudières du groupe Alstom à New York (États-Unis), a été arrêté par le Federal Bureau of Investigation américain. Le ministère de la Justice américain l’a accusé de corruption commerciale présumée et a condamné Alstom à une amende de plus de 700 millions de dollars.

En septembre 2018, Frédéric Pierucci a retrouvé sa liberté. En janvier de cette année, Pierucci a publié le livre « Le Piège américain » en France, dans lequel il raconte par le biais de sa propre expérience comment les États-Unis utilisent le « Foreign Corrupt Practices Act » pour réprimer leurs concurrents internationaux.

Le journaliste du Quotidien du Peuple en ligne a récemment interviewé Frédéric Pierucci à Paris. Emprisonné pendant 25 mois, séparé pendant trop longtemps de sa famille et sa carrière détruite, ce fut une période particulièrement difficile pour Frédéric Pierucci. Son expérience a également fait émerger plus de vérité à la surface, incitant plus d'entreprises internationales désireuses d’entrer sur le marché américain à ouvrir les yeux.

Qu'est-ce que le « piège américain » ?

En 1977, les États-Unis ont adopté la loi intitulée « Foreign Corrupt Practices Act », qui visait à l'origine à punir les entreprises américaines qui versaient des pots-de-vin à l'étranger. Le gouvernement américain a accordé au décret une compétence extra-territoriale, permettant à son appareil judiciaire d'imposer ce décret aux entreprises étrangères qui utilisent les services financiers et en ligne américains. Dans le même temps, le gouvernement des États-Unis a également fait pression sur l'OCDE pour l'inviter à imposer une loi anti-corruption aux entreprises des pays membres, à savoir la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption, qui a été introduite à la fin de 1997. En 2005, le gouvernement américain a adopté le « Patriot Act », autorisant le gouvernement américain à légaliser le contrôle exercé sur les sociétés multinationales. C'est cette série de mesures qui a créé le « piège américain » d'aujourd'hui.

Frédéric Pierucci a souligné que, depuis 2005, la loi anti-corruption des États-Unis a principalement visé des entreprises européennes. Depuis cette époque, 60% des dizaines de milliards d'euros d'amendes imposées par les États-Unis ont touché des entreprises européennes, tandis que 15% seulement ont concerné des entreprises américaines. Parmi elles, les entreprises françaises ont payé jusqu'à pas moins de 14 milliards de dollars d'amende.

La loi américaine sur les pratiques de corruption à l'étranger constitue également un piège pour les particuliers. Frédéric Pierucci a déclaré que dans l’affaire Alstom, le département américain de la Justice avait enquêté sur Alstom pendant trois ans et que la direction de la société n’avait pas réagi, ce qui a amené le département américain de la Justice à perdre patience et à réagir en arrêtant Frédéric Pierucci pour faire pression sur la direction de la société. « Cette situation est extrêmement rare », a-t-il dit.

Une expérience kafkaïenne

Frédéric Pierucci a travaillé pour Alstom en France pendant 22 ans et est un expert dans le domaine de l’énergie électrique et des équipements de transport ferroviaire. En avril 2013, il a été arrêté par le Federal Bureau of Investigation (FBI) américain alors qu'il arrivait à l'aéroport JFK de New York. Après avoir été arrêté, il a appris que le ministère de la Justice américain le poursuivait pour violation de la loi américaine sur les pratiques de corruption à l'étranger six mois auparavant, c'est-à-dire en novembre 2012, et l'accusait aussi d'avoir participé à une affaire de corruption impliquant Alstom en Indonésie en 2003.

Frédéric Pierucci a rappelé qu'après son arrestation, le procureur américain a déclaré que si le ministère américain de la Justice poursuivait publiquement Frédéric Pierucci, et qu’il demandait à retourner dans son pays pour s’y réfugier, le gouvernement américain ne pourrait rien faire. Le procureur américain lui avait même demandé de ne pas appeler l'ambassade de France, le consulat ou sa propre entreprise au motif qu'il voulait qu'il agisse en tant que traître au sein d'Alstom. En outre, il n'a pas été en mesure de demander sa libération au département de la Justice des États-Unis et a été placé dans une prison de haute sécurité abritant des personnes accusées de crimes professionnels.

Frédéric Pierucci a passé 14 mois et presque 1 an en prison aux États-Unis. Au cours de son emprisonnement, Alstom a limogé Frédéric Pierucci au motif qu'il avait « abandonné son poste » à la demande du ministère de la Justice américain. Durant ses deux séjours en prison, il n'a vu sa femme que deux fois, mais jamais ses enfants, pour les protéger...

La France « contre-attaque »

Dans le cas de l'acquisition d'Alstom par General Electric en France, les États-Unis ont obtenu par ce biais le pouvoir d'entretenir toutes les centrales nucléaires françaises, qui fournissent 75% de l'électricité française.

Après l'acquisition d'Alstom en 2014, la France a introduit en novembre 2016 la loi sur la transparence économique, la lutte contre la corruption et la modernisation (également connue sous le nom de loi Saban II), permettant aux entreprises françaises d'accepter des enquêtes anti-corruption chez elles, faisant qu’il n’était plus nécessaire d'accepter l'intervention directe du pouvoir judiciaire américain. Le rapport d’enquête 2018 de l’Assemblée nationale française a également révélé la complicité entre Alstom et General Electric dans l’acquisition et fait pression sur des sociétés françaises de relations publiques, des cabinets d’avocats et les banques avec des commissions de publicité d’un montant supérieur à 500 000 euros.

Il faut répondre aux États-Unis d'une manière organisée

Frédéric Pierucci a souligné que face à l'utilisation par le gouvernement américain de la loi sur les pratiques de corruption étrangères pour intervenir dans le développement industriel et économique d'autres pays, il est nécessaire d'adopter une « réponse organisée » et une action commune pour réagir dans les meilleurs délais.

Selon Frédéric Pierucci, les pays du monde dotés d'une certaine puissance industrielle et capables de rivaliser avec les États-Unis, tels que la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et le Brésil, devraient d'abord moderniser leurs propres systèmes judiciaires et adopter les lois et règlements pertinents pour protéger les sociétés multinationales de leurs pays. En outre, ces pays devraient renforcer le dialogue et essayer de prendre des mesures plus strictes, comme poursuivre les entreprises américaines qui se livrent à la corruption, afin de créer des freins et des contrepoids dans les relations économiques internationales.

Frédéric Pierucci estime qu'il s'agit de la meilleure stratégie d'intervention du gouvernement auprès des entreprises face à l'intervention judiciaire des États-Unis. « Si nous ne le faisons pas, nous ferons également face à la situation à laquelle nous nous sommes heurtés à maintes reprises au cours des 15 dernières années, à savoir que le gouvernement américain utilise son système judiciaire pour entraver le développement d'entreprises dans d'autres pays et que le monde entier est soumis à la législation américaine ».

Par He Qian, journaliste au Quotidien du Peuple en ligne

Voir aussi la vidéo : la justice américaine m'a forcé à céder

(Rédacteurs :Yishuang Liu, Gao Ke)
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