Les médias chinois se sont enthousiasmés pour les articles de presse évoquant la possibilité pour certains fonctionnaires de quitter leur emploi et se lancer dans les affaires. Ils le feront, disent les articles, parce que le code en huit points du gouvernement central destiné réduire la bureaucratie et à maintenir des liens étroits avec le peuple a, dans une certaine mesure, réduit leur bien-être et leurs avantages.
Contrairement à la croyance populaire, la plupart des fonctionnaires ne vivent pas une vie de luxe et de loisirs, et certains d'entre eux font des heures supplémentaires, même pendant les week-ends. Le salaire moyen des jeunes fonctionnaires au niveau local est d'environ 2 000 Yuans (330 Dollars US) par mois, un montant relativement faible compte tenu de la hausse des prix. La vérité est que la plupart des fonctionnaires peuvent à peine réussir à joindre les deux bouts.
Cela a créé une situation particulière : certains jeunes fonctionnaires regrettent d'avoir canalisé tous leurs efforts pour obtenir un poste au gouvernement, tandis qu'un certain nombre de diplômés des universités, encouragés par leurs parents, font de leur mieux pour devenir fonctionnaires. La situation ressemble à celle d'une « ville assiégée », avec des gens qui sont dehors et qui font tout pour y entrer et de ceux de l'intérieur qui n'ont qu'une envie, en sortir.
Selon les données officielles, 9 763 nouveaux postes de fonctionnaires ont été offerts en 2011, 10 486 en 2012 et 12 927 en 2013. Mais le nombre de candidats qui ont passé l'examen de la fonction publique pour ces postes a été de 900 000 en 2011, 960 000 en 2012 et un chiffre énorme d'1,12 million en 2013. Pas étonnant dans ces conditions que le public parle de l'examen de la fonction publique comme un « examen national ».
Cette situation délicate peut être attribuée à certains facteurs sociaux. Les gens, en général, considèrent la fonction publique comme une activité oisive. La perception commune est que le travail d'un fonctionnaire du gouvernement consiste à « lire un journal avec une tasse de thé et des cigarettes ».
Cette conception erronée de la fonction publique ne se limite pas à la seule nature du travail, elle s'étend aussi au nombre de personnes travaillant en tant que fonctionnaires. Selon une croyance largement diffusée, « il y a un fonctionnaire pour 26 personnes » en Chine, un ratio beaucoup plus élevé que dans d'autres pays. Mais le fait est que sur les 30 millions de professionnels travaillant dans des établissements publics, 15 millions sont des enseignants et des responsables de l'administration, et plus de 8 millions sont employés dans les services médicaux, parce que la plupart des écoles et des hôpitaux en Chine sont des institutions publiques. Ces gens ne sont pas vraiment des fonctionnaires civils.
Le nombre réel de fonctionnaires en Chine serait, par conséquent, compris entre 7 et 8 millions, avec les membres des institutions affiliées au Gouvernement étant de 4 à 5 millions. Cela met le nombre total de fonctionnaires entre 11 et 13 millions, ce qui signifie que seule une personne sur 118 en Chine est fonctionnaire, un chiffre semblable à celui de la plupart des pays développés. Mais même avec ces chiffres, il n'est pas facile de changer une perception populaire, mais fausse.
Une des principales raisons de la popularité de la fonction publique est la situation économique actuelle tant en Chine qu'à l'étranger. Comme trouver un emploi convenable est de plus en plus difficile, un nombre croissant de gens font tout ce qu'ils peuvent pour décrocher un emploi public, car il offre la sécurité et de bons avantages sociaux. Cependant, seuls quelques-uns réussissent dans leurs efforts pour devenir fonctionnaires, laissant les autres exprimer leur colère sur la fonction publique.
C'est cette colère qui, dans une certaine mesure, fait que ceux qui échouent voient de la corruption dans presque tous les aspects de la fonction publique, même si la réalité est tout autre. Les fonctionnaires travaillent conformément à la loi, faute de quoi ils risquent des sanctions. Dans certaines régions, toutefois, certains responsables ont effectivement abusé de leur pouvoir pour gagner de l'argent, obligeant le Parti Communiste Chinois à sévir contre les « mouches » d'en bas et les « tigres » situés plus haut dans la hiérarchie pour éradiquer la corruption.
Le public est dégoûté par la corruption et diabolise les fonctionnaires parce que des « règles cachées » permettent aussi que quelques fonctionnaires corrompus en Chine ne reçoivent qu'une peine relativement clémente par rapport à leurs homologues dans les pays avancés. Le fait est, cependant, que seul un faible pourcentage des fonctionnaires qui exercent le pouvoir réel sont corrompus. Les fonctionnaires ordinaires n'ont pas d'occasion d'exercer le pouvoir, alors comment pourraient-ils se livrer à des abus ?
Dans le contexte mondial actuel, les experts et les entrepreneurs jouissent généralement d'une meilleure réputation que les fonctionnaires. Edmund Phelps, lauréat du prix Nobel d'économie, a peut-être dit que le fait que tant de jeunes chinois deviennent fonctionnaires est une « perte grave » de talents. Mais la réalité sur le terrain dans le pays est que, malgré tous leurs efforts, il est très difficile pour les jeunes ordinaires de grimper dans l'échelle sociale. Il est donc probable que la fonction publique en Chine va continuer à ressembler à une « ville assiégée » pendant un certain temps encore.
L'auteur est professeur au Centre d'études en politique sociale, affilié à l'Académie chinoise des sciences sociales.