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Le vide idéologique à gauche et la droitisation du curseur politique ont fait le jeu du Front national

Xinhua | 07.03.2017 16h33

Le parti aujourd'hui dirigé par Marine Le Pen, candidate à la présidentielle, a tiré profit de sa stratégie de normalisation dans un contexte de droitisation du paysage politique qui facilite le transfuge des militants et accroît la porosité des électorats, selon la chercheuse en science politique Magali Boumaza, auteur de la thèse "Le Front national et les jeunes de 1972 à nos jours".

Jamais une campagne présidentielle n'a à ce point secoué l'Hexagone. A quelque 50 jours d'un scrutin qui semblait acquis à la droite avant le déclenchement du PenelopeGate, plus personne ne se risque à faire le moindre pronostic.

Alors que les Français, dans leur grande majorité, sont déboussolés, les militants du FN, qui frappent souvent par leur jeunesse, occupent le devant de la scène médiatique et affichent une confiance totale en leur dirigeante, Marine Le Pen.

"Il existe bien une clé générationnelle qui explique en partie ce phénomène. Ces jeunes militants sont souvent des enfants de militants frontistes, mais pas seulement. Les militants viennent d'un peu partout. On peut parler d'un effet d'appel", explique Mme Boumaza, chercheuse associée au laboratoire SAGE (Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe), affilié au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), à l'Institut d'études politiques de Strasbourg.

Cet effet d'appel est notamment alimenté par "la personnalité de la présidente du Front national, son agenda politique et le discours accessible qu'elle cultive. C'est un discours, aussi réducteur puisse-t-il être, qui parle. On entend souvent dire: Marine Le Pen, on la comprend, elle, tandis que les autres, on ne comprend rien du tout à ce qu'ils disent!", poursuit l'universitaire.

Magali Boumaza relève également le rôle des médias. "Pas un jour ne passe sans qu'il y ait un article sur le FN. Avant la campagne, c'était déjà le cas. La couverture médiatique dont bénéficie Marine Le Pen est considérablement plus importante que celle à laquelle avait droit son père. Il y a dix ans, on notait beaucoup plus de stigmatisation", souligne la chercheuse.

La stratégie médiatique de provocation de Jean-Marie Le Pen, fondateur du FN qu'il a dirigé d'une main de fer pendant près de 40 ans, s'est traduite tout au long de sa carrière par des dérapages, propos racistes et antisémites qui lui ont valu d'être poursuivi à plusieurs reprises par la justice. Marine Le Pen, en mettant à l'écart son père, s'est efforcée au contraire de dédiaboliser le parti.

Cette stratégie de normalisation a-t-elle réussi? "Pas tout à fait", estime la chercheuse. "On ne peut pas dire que Marine Le Pen a complètement fait table rase du passé. Elle est toujours entourée de personnes sulfureuses, notamment issues du GUD (Groupe Union Défense), des copains de la fac avec qui elle a fait son droit, qui agissent plus ou moins en coulisses".

"Elle a certes exclu des personnes qui avaient le bras un peu trop tendu (...) Elle a réussi à contenir des catholiques intégristes et a plus ou moins neutralisé son père. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des alliances aussi à la droite de l'extrême droite", argumente Mme Boumaza.

Quoi qu'il en soit, cela n'empêche pas Marine Le Pen de grimper dans les sondages qui la donnent en tête du premier tour de la présidentielle. "Pour bien comprendre, il faut replacer l'ascension du Front national dans le temps long. La chute du mur de Berlin et la fin du système soviétique ont provoqué l'effondrement du Parti communiste et laissé un vide idéologique à gauche. S'est opéré alors un réalignement vers la droite. La gauche a notamment abandonné la grille de lecture en fonction des classes sociales. Le terme a même quasiment disparu dans le discours pour être remplacé par celui de classes populaires, de jeunes des cités", résume la chercheuse.

"Le curseur idéologique s'est droitisé d'une façon générale. Des passerelles se sont créées entre l'extrême droite et la Nouvelle droite, d'abord dans le champ intellectuel. On peut citer le GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne) d'Alain de Benoist, le Club de l'horloge de Bruno Mégret et sa politique de la main tendue vers la droite, qui va d'ailleurs provoquer une scission au sein du FN", explique Magali Boumaza.

"Cela a ensuite ouvert des portes entre une certaine droite parlementaire et l'extrême droite. En 1998, plusieurs présidences de région ont été co-gouvernées avec le FN", rappelle-t-elle.

"Cette porosité est aussi liée à la circulation des militants qui passent d'une structure à l'autre parce qu'il y a des coups à jouer, des places à prendre au FN. Le parti souffre encore d'un déficit de candidatures. Certains transfuges agissent par opportunisme", ajoute-t-elle.

Certains d'entre eux viennent également de la gauche à l'instar du maire de Hayange, en Lorraine, Fabien Engelmann, ancien syndicaliste CGT passé au FN. Mais "ce sont des parcours beaucoup plus sinueux", relativise la chercheuse. "Il ne faut pas tomber dans le piège et penser que les gens de gauche vont voter FN. Beaucoup d'entre eux pourraient s'abstenir. On observe cette tentation abstentionniste, y compris de la part de personnes très politisées qui ont conscience des enjeux", précise-t-elle.

Traditionnellement, l'élection présidentielle enregistre un très fort taux de participation. "Mais on n'est pas à l'abri (...) L'abstention reste une grande inconnue et elle est, sans doute, la clé du scrutin. De plus, c'est extrêmement compliqué de savoir comment vont se faire les reports de voix d'un tour à l'autre", estime Magali Boumaza.

"Les instituts de sondage ont construit leur légitimité à une époque où les électorats étaient très stabilisés, marqués par des attachements partisans très forts. Aujourd'hui, on n'est plus du tout dans ces schémas là. La volatilité de l'électorat est très forte", prévient-elle.

(Rédacteurs :Qian HE, Guangqi CUI)
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