Dernière mise à jour à 08h29 le 04/05
"Le Front National (FN) est à la croisée des chemins" car le résultat du 7 mai prochain va déterminer sa stratégie à venir, a expliqué Sylvain Crépon, docteur en sociologie, maître de conférences en science politique à l'université française de Tours, mercredi lors d'une conférence de presse organisée par la Fondation Jean Jaurès à Paris sur l'analyse de la campagne de Marine Le Pen.
Selon lui, le FN va adopter soit une stratégie de prise de pouvoir, auquel cas il va continuer à se situer "ni à droite ni à gauche", soit une stratégie de participation au pouvoir, et tenter de devenir une force d'appoint de la droite.
"La campagne de Marine Le Pen n'a pas été aussi bonne que prévu par le FN", a estimé Sylvain Crépon, ajoutant que la candidate d'extrême-droite "ne s'est pas donnée une stature présidentielle et a utilisé la rhétorique classique du FN à savoir dire 'pourquoi' il faut faire telle ou telle mesure mais ne dire pas 'comment' les concrétiser".
Concernant le rôle de Marine Le Pen dans l'évolution du FN, Sylvain Crépon a indiqué qu'elle s'était davantage impliquée que son père dans le développement d'un réseau d'élus locaux, "avec toutes les difficultés que cela pose ensuite puisque 28% d'entre eux ont démissionné depuis leur entrée en fonction en 2014".
"Il n'y a pas de symétrie entre le vote en faveur de Marine Le Pen et celui d'Emmanuel Macron". Pour Joël Gombin, politiste et spécialiste de sociologie électorale également invité à la conférence de presse de la Fondation Jean Jaurès, le vote FN lors du premier tour de l'élection présidentielle témoigne d'une "assez grande stabilité" avec une augmentation croissante du nombre de voix "qui se poursuit et un électorat plus marqué à l'est de la France".
Cependant, il n'y avait pas de symétrie entre le vote en faveur de Marine Le Pen et celui d'Emmanuel Macron car autant le vote FN est très différencié géographiquement, principalement à l'est du territoire français, autant celui en faveur d'Emmanuel Macron "est le plus homogène de tous les candidats, il recueille des voix au premier tour, aussi bien dans les périphéries que dans les centres", a indiqué l'expert français.
Autre différence évoquée par le politiste français, Marine Le Pen est parvenue à être majoritaire à elle seule dans plusieurs villes tandis qu'Emmanuel Macron n'y parvient qu'à Paris intra-muros.
"Entre 2012 et 2017, on note que le FN a peu progressé dans les zones où il était déjà élevé, tandis qu'il s'est renforcé dans les zones où il avait fait des scores plus faibles. En 2012, Marine Le Pen avait beaucoup progressé dans les 'bastions' du FN, ce qui montre un changement de dynamique", a-t-il ajouté.
Par ailleurs, sur le fait d'une mobilisation citoyenne moins marquée en 2017 face à la qualification du FN au second tour de l'élection présidentielle française qu'en 2002, un autre expert français invité, Nicolas Lebourg, a expliqué "qu'en 2002, Jean-Marie Le Pen avait comme thèmes, la préférence nationale et la peine de mort. Ces thèmes sont toujours présents dans le programme actuel de Marine Le Pen mais de façon moins explicite."
"Autre explication possible à cette mobilisation plus faible, l'état de la gauche. Les électeurs de gauche ont été très frustrés de voir perdre de si peu Lionel Jospin en 2002 alors que la défaite de Benoît Hamon est telle en 2017, que son électorat est moins en capacité d'être réactif", a analysé M. Lebourg, docteur en histoire, chercheur associé au Centre d'études politiques de l'Europe latine.
"Pour Marine Le Pen, la figure de l'immigré n'est pas uniquement incarnée par l'étranger, c'est aussi ceux qui sont tenus responsables de la dissolution supposée de l'identité française".
Interrogé par Xinhua sur le fait que la campagne de second tour de Marine Le Pen n'aborde pas explicitement les thèmes de l'immigration ou de l'identité, Jean-Yves Camus, politologue français et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques-Fondation Jean-Jaurès, a expliqué que selon lui, la figure de l'immigration est toujours présente mais elle s'est déplacée. "Pour Marine Le Pen, la figure de l'immigré n'est pas uniquement incarnée par l'étranger, c'est aussi ceux qui sont tenus responsables de la dissolution supposée de l'identité française. C'est la rhétorique qu'elle utilise lorsqu'elle s'attaque à Emmanuel Macron", a indiqué Jean-Yves Camus.
Le politologue français s'est dit "inquiet" de l'expression de ce refus du clivage gauche-droite, "avec une charge de haine de tout ce qui n'est pas soi, qui exclut toute tentative de synthèse".
"Cela se ressent à l'extrême-droite mais aussi dans la frange la plus radicale de la gauche, on a l'impression qu'il n'y a plus de devenir commun", a-t-il souligné, se disant "effaré" par le niveau de violence rhétorique de cet entre deux tours.
Selon lui, Marine Le Pen ne décrit pas "des adversaires politiques" mais "des gens qui devront faire l'objet d'une mise au pas : la rhétorique de la mise au pas des fonctionnaires et des agents de l'Etat, mais aussi une intimidation des journalistes".
La question de l'antisémitisme au FN a été également évoquée par les experts présents et notamment la déclaration récente de Marine Le Pen au sujet de la responsabilité de la France lors de la rafle du Vel d'Hiv survenue en 1942 à Paris.
Pour Jean-Yves Camus, "ce refus de reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d'Hiv, en contradiction avec le discours de Jacques Chirac en 1995 qui voyait la permanence de la France à Londres et considérait que le gouvernement de Vichy était une usurpation; rappelle que l'idée selon laquelle les Français sont pour quelque chose dans la déportation des juifs, est toujours délicate".
Pour lui, Marine Le Pen n'est "ni antisémite ni négationniste". En revanche, cela n'empêche pas la candidate d'extrême-droite d'avoir "une sorte d'indifférence par rapport au sort des juifs qui peut déboucher sur une insensibilité qui n'est pas liée à une idéologie antisémite".
"L'Histoire européenne, plus encore que celle des Etats-Unis, impose une vigilance particulière à l'égard des juifs. Or, Marine Le Pen aurait tendance à ne pas en tenir compte" a-t-il précisé.