Dernière mise à jour à 09h16 le 21/07
Un nouveau projet de loi antiterroriste a été adopté en première lecture par le Sénat français tôt mercredi en dépit des polémiques dont il fait l'objet. Au total, 229 sénateurs ont voté en faveur du texte et seulement 106 ont voté contre.
L'objectif de ce texte est de "garantir hors d'état d'urgence l'efficacité de la lutte antiterroriste tout en veillant à la préservation de la plénitude des libertés publiques", a indiqué le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb devant la commission des Lois du Sénat.
En clair, le gouvernement envisage de mettre fin à l'état d'urgence, une mesure d'exception en vigueur depuis les attentats de novembre 2015, en versant dans le droit commun certaines de ces mesures. Une décision qui suscite de vives critiques de la part de politiques, juristes, syndicats et organisations de défense des libertés depuis l'annonce de ce projet de loi.
Pour convaincre de la nécessité d'adapter les moyens de lutte antiterroriste au droit commun, le ministre de l'Intérieur a fait état du niveau élevé de la menace.
"Les signaux constatés sur notre sol avec l'attentat des Champs-Elysées qui a coûté la vie à un de nos policiers le 20 avril, la tentative d'attentat sur le parvis de Notre-Dame et celle récente qui visait un escadron de gendarmerie sur les Champs-Elysées montrent que la menace est toujours importante", a expliqué M. Collomb aux sénateurs, tout en leur précisant que désormais d'une "menace exogène on est passé à une menace endogène".
Mais les défenseurs des libertés publiques jugent qu'avec ce projet de loi, c'est désormais le ministère de l'Intérieur et les préfets qui décideront à la place du pouvoir judiciaire, notamment en ce qui concerne certaines mesures relatives à l'assignation à résidence, à la pose d'un bracelet électronique, la fouille systématique et la fermeture de lieux de cultes, etc.
"Si on transforme l'état d'exception en droit commun, que va-t-on expliquer aux Français si demain il y a une vague d'attentats terrible?", s'est interrogé l'avocat William Bourdon, qualifiant ce projet de "boîte de Pandore dangereuse".
Dans une tribune publiée lundi dans Libération, la célèbre juriste Mireille Delmas-Marty indique qu'il "est nécessaire de lever l'état d'urgence, mais il ne serait ni légitime ni d'ailleurs efficace de le remplacer par une contamination permanente du système pénal".
D'après cette ancienne professeur de droit, la prévention est certes nécessaire et doit être renforcée face aux menaces terroristes, mais "la séparer de la punition pour en faire un objectif répressif en soi marque une rupture, conduisant d'une société de responsabilité à une société de suspicion".
Les députés de l'opposition dénoncent aussi ce texte. "Ça me paraît bancal que de continuer à avoir cet état d'urgence permanent dans la loi avec des décisions administratives qui sont arbitraires au lieu des décisions d'un juge", a dit le député de La France insoumise, Ugos Benalicis.
Pour son collègue Sébatien Chenu du Front national (FN), l'état d'urgence n'a pas de vocation à entrer dans la loi. "Il faut un vrai état d'urgence qui doit être limité dans le temps avec de véritables résultats", a-t-il souhaité. Daniel Fasquelle (LR) a invité les autorités à "trouver le bon équilibre entre la lutte contre le terrorisme et la défense des libertés publiques. Car, dit-il, il faut que la France reste une démocratie".
Pour garantir cet équilibre entre impératif de préservation de l'ordre public et protection des libertés, la commission des Lois du Sénat a apporté des modifications au texte.
Elle a limité par exemple dans le temps, jusqu'au 31 décembre 2021, l'application des dispositions permettant de prendre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, et de procéder à des visites domiciliaires et des saisies, avec évaluation annuelle de leur unité. Le projet de loi sera débattu en octobre à l'Assemblée nationale.