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France : "On ne peut pas faire de politique d'asile sans faire de politique d'immigration"

Xinhua | 01.08.2017 09h08

Spécialiste des questions de migrations et de déplacements de populations liés aux changements de l'environnement à Science Po, François Gemenne, décrypte pour Xinhua la politique migratoire du président français Emmanuel Macron, notamment sa décision de créer des hotspots en Afrique afin d'y traiter directement les dossiers de demande d'asile.

M. Gemenne a qualifié cette décision de "bonne intention et d'idée nouvelle".

"Le point positif de cette annonce, c'est d'abord le fait que le président veuille s'occuper de l'hébergement d'urgence. Cela est très important quand on voit la situation à Paris, à Calais. Il y a donc beaucoup de bonnes intentions sur ce point", a indiqué le chercheur.

M. Gemenne note également des "idées nouvelles" dans la démarche de M. Macron, comme celle d'envoyer des missions ponctuelles de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OPFRA) en Afrique dans les pays voisins de la Libye afin d'identifier les personnes qui pourraient obtenir l'asile en France.

"Par rapport au drame et à la tragédie actuelle en Méditerranée, c'est une idée qui pourrait marcher et éventuellement sauver des vies", estime le spécialiste, tout en pointant les risques découlant d'une externalisation de la procédure d'asile ou de tri qui exclurait les migrants économiques.

"Le premier risque, c'est que cette mission soit une sorte de procédure de tri qui n'offre pas la possibilité aux migrants économiques de venir en France. Car les migrants doivent continuer, s'ils le souhaitent, de venir en France pour des raisons économiques ou pour y demander l'asile directement", a expliqué M. Gemenne.

La seconde crainte exprimée par le chercheur concerne l'externalisation de la procédure. "Il est important que cette procédure reste gérée par la France et permette l'accès au territoire français. Ce qui fait peur avec l'idée de hotspots en Afrique, notamment en Libye, c'est que le gouvernement libyen gère demain ces hotspots. Qu'on arrive donc à terme dans une logique d'externalisation ou de sous-traitance de la procédure d'asile", a-t-il indiqué.

Selon M. Gemenne, le risque d'une telle externalisation serait que la procédure ne soit plus un instrument humanitaire de protection mais "devienne un instrument diplomatique de négociation avec des pays tiers, ce qui serait catastrophique".

Un autre manquement grave que souligne le chercheur est le fait que l'on oppose les réfugiés politiques aux migrants économiques. Pour M. Gemenne, on ne peut pas faire de politique d'asile sans faire de politique d'immigration.

"Les [politiques d'asile et d'immigration] sont à la fois différentes et profondément liées entre elles parce qu'aujourd'hui, comme il n'y a pas de voies d'accès pour l'immigration économique, beaucoup de migrants économiques essaient de rentrer via la procédure d'asile. Et cela pose problème à la procédure d'asile", a-t-il indiqué.

Selon ce spécialiste des migrations, il faut à la fois une politique d'asile et une politique d'immigration qui soient "cohérentes l'une avec l'autre". Or, "on ne s'occupe que de l'asile et on considère les migrants économiques comme des indésirables", déplore-t-il.

Cela peut produire des résultats catastrophiques, notamment parce qu'il est "très difficile de distinguer précisément les réfugiés politiques des migrants économiques, car les tris sont de plus en plus complexes" et il n'y a pas de séparation nette entre les deux, souligne M. Gemenne.

Outre cet aspect technique, le chercheur estime qu'il est moralement inacceptable de dire que certaines migrations seraient "légitimes" tandis que d'autres ne le seraient pas. "Bien entendu ceux qui fuient la guerre et la violence doivent être protégés, mais ce n'est pas pour cela que ceux qui voudraient simplement une vie meilleure ou qui fuiraient la misère ou la famine n'auraient pas le droit de venir aussi", a-t-il indiqué.

Selon lui, la seule solution "rationnelle et pragmatique" reste la libre circulation des personnes, c'est-à-dire l'ouverture des frontières. "Les flux migratoires sont le reflet des inégalités dans le monde, et tant qu'il y aura des inégalités de droit, de développement, des inégalités économiques, de sécurité, réelles ou perçues, les migrations continueront à exister. Donc il faut qu'on considère les migrations comme un phénomène structurel qu'on ne pourra pas arrêter ou ralentir", a indiqué M. Gemenne.

Il propose de mieux les organiser et de faire en sorte qu'elles se passent dans de bonnes conditions. Pour ce faire, il faut d'abord rétablir les voies d'accès sûres et légales et harmoniser les politiques d'asile et de migration en Europe, a-t-il indiqué.

Pour M. Gemenne, la libre circulation des personnes n'est pas synonyme d'augmenter les flux migratoires : "les gens ne migrent pas parce qu'une frontière est ouverte ou fermée. Il faut arrêter d'imaginer que les frontières sont la variable d'ajustement des flux migratoires ou que les flux migratoires sont déterminés par les frontières", a déclaré le chercheur.

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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