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Echanger des personnes contre la prospérité : "l'héritage honteux" des Etats-Unis perdure

Xinhua | 20.08.2021 08h15

Le département d'Etat américain a récemment publié son rapport annuel sur la traite des personnes, classant les pays du monde entier en plusieurs catégories en fonction de la façon dont les Etats-Unis pensent qu'ils ont combattu ce crime.

Ce rapport, qui fait preuve de deux poids deux mesures, dénonce les violations des droits de l'homme dans d'autres pays tout en minimisant les atrocités de l'esclavage moderne qui a cours aux Etats-Unis.

Les faits parlent d'eux-mêmes. Les Etats-Unis ont longtemps assuré leur prospérité en l'échangeant contre des personnes. Ce pays, qui s'autoproclame "défenseur des droits de l'homme", possède un "héritage honteux" qui perdure aujourd'hui.

UN SOMBRE HERITAGE NATIONAL

L'institution de l'esclavage est largement considérée comme un élément fondamental de la prospérité des Etats-Unis. Des plantations de tabac de l'intérieur du sud aux usines de construction navale de la côte de la Nouvelle-Angleterre, les industries américaines ont soutenu l'esclavage et se sont nourries de lui pendant des siècles.

"De l'esclavage (...) est né presque tout ce qui a véritablement rendu les Etats-Unis exceptionnels : leur puissance économique, leur puissance industrielle (...), leur étonnant penchant pour la violence", commentait le New York Times Magazine en 2019 dans un numéro commémorant l'arrivée des premiers Africains réduits en esclavage dans la colonie britannique de Virginie en 1619.

On estime que de 1525 à 1866, plus de 12,5 millions d'Africains ont été expédiés vers le Nouveau Monde, les treize colonies britanniques puis les Etats-Unis naissants constituant un marché clé, selon la Trans-Atlantic Slave Trade Database.

De nombreuses personnes sont mortes au cours de ce transport maritime brutal, tandis qu'environ 10,7 millions ont survécu et ont débarqué dans les Amériques, pour y être vendues comme esclaves.

Bien que les Etats-Unis aient interdit l'importation d'esclaves en 1808, la demande croissante de main-d'œuvre servile dans l'industrie du coton a alimenté le commerce intérieur des esclaves. Pendant ce temps, le commerce transatlantique se poursuivait en secret.

"Le système s'est avéré si lucratif que la loi et les précédents juridiques ont commencé à laisser aux futurs gouvernements la possibilité de donner la priorité à l'économie sur la morale", selon le site internet de James Madison Montpelier, un site historique national.

En 1850, 80% des exportations américaines étaient le produit du travail des esclaves. Dix ans plus tard, "les quelque 4 millions d'esclaves américains valaient quelque 3,5 milliards de dollars, ce qui en faisait l'actif financier le plus important de toute l'économie des Etats-Unis", a indiqué David Blight, historien à l'université de Yale, cité par The Atlantic.

La guerre civile américaine a mis fin à l'esclavage légal en 1865, mais le pays devait encore faire face à la présence généralisée de pratiques similaires.

Alors que les lois Jim Crow – des statuts locaux de ségrégation raciale – étaient promulguées dans les Etats du Sud, la répression et l'exploitation raciales se sont étendues au XXe siècle, réduisant toute la population noire à des décennies de citoyenneté de seconde zone.

"Tous les hommes sont créés égaux", affirmait pourtant la Déclaration d'indépendance en 1776, un document fondateur des valeurs américaines, une chose si "évidente" qu'il a fallu attendre les années 1960 pour que les systèmes juridiques accordent aux Noirs américains l'égalité des droits.

LA DEMANDE FORTE DES ETATS-UNIS

Cette année, les Etats-Unis ont appliqué la même vieille logique tordue en se classant en tête du rapport annuel sur la traite des êtres humains.

Selon Luis Cabeza deBaca, ancien ambassadeur itinérant des Etats-Unis pour la lutte contre la traite des êtres humains, les citoyens américains pensent souvent à tort que la traite des êtres humains n'est qu'un "problème dans d'autres pays", car ce terme donne l'impression que le modèle est basé sur le transport.

Cependant, des données massives, des cas et des témoignages attestent que les Etats-Unis sont depuis longtemps – pour reprendre les termes du département d'Etat américain – "un pays source, de transit et de destination" de victimes adultes et mineures, tant au sein de ses propres frontières qu'à l'étranger.

On estime que 403.000 personnes aux Etats-Unis ont été retenues en esclavage moderne en 2016, que ce soit dans le cadre du travail forcé ou de la traite sexuelle, selon l'indice mondial de l'esclavage publié en 2018 par la fondation australienne Walk Free.

Selon l'organisation à but non lucratif Polaris, le service d'assistance téléphonique national américain contre la traite des êtres humains a traité plus de 5.700 cas en 2015. Quatre ans plus tard, ce nombre a doublé pour atteindre 11.500.

De tels cas ont été signalés dans les restaurants, les services de nettoyage, la construction et les usines, dont beaucoup semblent être des entreprises légales.

En 2019, des procureurs fédéraux ont poursuivi 12 groupes hôteliers, dont Hilton Worldwide Holdings et Intercontinental Hotels & Resorts, affirmant qu'ils avaient sciemment ignoré les signes que des femmes avaient été vendues comme esclaves sexuelles. Certains ont même été signalés comme ayant profité du trafic sexuel.

L'organisation à but non lucratif DeliverFund a indiqué l'année dernière que 15.000 à 50.000 femmes et enfants sont contraints de se livrer au commerce du sexe chaque année aux Etats-Unis.

"Les Etats-Unis sont le premier consommateur de sexe au monde. Nous sommes donc à l'origine de la demande en tant que société", a témoigné à Fox News Geoff Rogers, cofondateur de l'Institut américain contre la traite des êtres humains.

"Nous alimentons également la demande avec notre propre population, avec nos propres enfants", a-t-il ajouté.

LE TRAVAIL FORCE GENERALISE

Le temps de l'esclavage légal aux Etats-Unis est révolu depuis longtemps, mais son sombre passé fait de menaces, de violence, de fraude et de coercition pour exploiter des personnes à des fins de travail ou sexuelles demeure.

L'esclavage n'est pas simplement une relique, mais un problème "bien vivant. Il a simplement pris une nouvelle forme", a estimé Laurel Fletcher, professeure de droit à l'université de Californie à Berkeley.

En 2007, le citoyen américain Rory Mayberry a témoigné qu'un entrepreneur du gouvernement américain pour lequel il avait travaillé était impliqué dans l'utilisation de travailleurs forcés lors de la reconstruction de l'ambassade des Etats-Unis à Bagdad.

M. Mayberry a affirmé que l'employeur lui avait demandé un jour d'amener 51 ouvriers philippins dans la capitale irakienne via un vol de transit.

Mais l'avion a atterri ailleurs. "Tous nos billets disaient que nous allions à Dubaï", a-t-il ajouté, cité par le Washington Post.

A l'arrivée, un responsable lui a dit de ne pas divulguer la véritable destination. Il a également remarqué que les passeports des ouvriers leur avaient été confisqués.

A l'instar de ces Philippins, des légions de personnes des quatre coins du monde sont soit contraintes, soit attirées dans le travail forcé par de fausses promesses, rapportait VOX news en 2015.

Chrissey Buckley, diplômée de l'université de Denver, a constaté qu'un marché existant, combiné à des lois inefficaces, permet au problème de perdurer.

Les industries les plus répandues sont "les services sexuels, la servitude domestique, l'agriculture, les ateliers clandestins et le travail en usine", a-t-elle écrit dans un document de recherche sur l'esclavage contemporain publié en 2008.

Les chercheurs ont découvert qu'il y a des centaines de milliers de personnes travaillant contre leur gré dans le seul secteur de l'agriculture, et que certaines victimes avaient même une formation universitaire, a mentionné le rapport de VOX.

Anti-Slavery International les décrit comme "certains des travailleurs les plus mal payés et les plus exploités de l'économie américaine", qui sont privés de droits du travail tels que l'assurance maladie, les congés de maladie, les pensions ou la sécurité de l'emploi.

Un fait plus probant est que 71% des victimes du travail forcé et contraint entrent aux Etats-Unis avec des visas légaux, et que plus d'un tiers de l'ensemble des victimes travaillent en servitude domestique et vivent avec leurs employeurs, selon une étude réalisée en 2014 par l'Urban Institute et la Northeastern University.

DES MIGRANTS CLANDESTINS VULNERABLES

Les migrants et les réfugiés sont particulièrement vulnérables aux diverses formes de trafic de main-d'œuvre et aux traitements inhumains qui y sont associés.

Dans un contexte de durcissement croissant des politiques d'immigration des Etats-Unis et d'application maladroite de la loi, plus de 850.000 immigrants ont été détenus à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique au cours de l'exercice 2019, et un nombre sans précédent de 69.550 enfants migrants ont été placés sous la garde du gouvernement américain, loin de leurs tuteurs, selon les médias et les données officielles.

Les séparations ont atteint leur apogée après que le gouvernement américain a adopté une politique de tolérance zéro pour les entrées illégales en 2018, suscitant une préoccupation humanitaire urgente.

Soulignant que les enfants ne devraient jamais être placés en détention par les services d'immigration ou séparés de leur famille, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a déclaré en 2019 avoir été "profondément choquée" que les enfants soient contraints de dormir à même le sol dans des installations surpeuplées, sans soins de santé, nourriture et installations sanitaires adéquats.

L'année dernière, une quarantaine de femmes originaires d'Amérique latine et des Caraïbes, détenues dans un centre de détention de l'Etat de Géorgie, ont intenté un procès contre l'agence américaine de l'immigration et des douanes pour avoir subi des chirurgies gynécologiques inutiles et non consenties, notamment une ablation de l'utérus, qui, selon elles, leur ont causé de graves préjudices physiques et mentaux.

"L'esclavage moderne ne s'accompagne pas des chaînes de fer et des ventes aux enchères du passé. Les contraintes d'aujourd'hui prennent la forme de documents retenus, de la possibilité d'exposition et de la menace d'expulsion", a écrit en 2019 Aryn Baker, correspondante du magazine Times, demandant des politiques d'immigration américaines plus inclusives pour mettre fin à la crise humanitaire.

La pandémie de COVID-19 a ajouté une nouvelle couche de tragédie aux détenus médicalement vulnérables, car ils sont davantage susceptibles d'être infectés par le virus en raison des rassemblements denses et de la pénurie de fournitures de santé.

C'est une situation très inconfortable et très laide que j'ai vécue", a déploré le Guatémaltèque Heraldo Malumbrez, 38 ans, qui a été en détention pour immigration illégale dans l'Etat de l'Arizona depuis plus de trois mois avant d'être infecté par le coronavirus en juillet 2020.

"Nous parlons de cruauté systémique (avec) une culture déshumanisante qui les traite comme des animaux", a tweeté la représentante démocrate à la Chambre des représentants des Etats-Unis Alexandria Ocasio-Cortez en 2019.

(Rédacteurs :实习生2, Ying Xie)
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