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Les tabous sur la mort en Chine, un obstacle au développement des maisons de retraite

le Quotidien du Peuple en ligne | 12.08.2016 15h09

Avec le vieillissement rapide de sa population, la Chine se dirige vers une crise de la vieillesse. En dépit d'une demande en flèche, les entreprises essayant d'ouvrir ou d'agrandir des maisons de retraite sont confrontées à des protestations du type « pas chez moi ». Les opposants estiment que ces maisons destinées aux personnes âgées vont faire baisser le prix des logements et même apporter la « malchance » dans le quartier. Les gestionnaires de soins à domicile ont donc demandé au gouvernement de faire quelque chose pour faire disparaitre ces superstitions et aider le secteur à se développer afin que les personnes âgées chinoises puissent recevoir les soins dont beaucoup d'entre elles ont besoin.

Un vieil homme se repose dans le couloir d'une maison de soins infirmiers à Xi'an, capitale de la Province du Shaanxi, dans le Nord-ouest de la Chine. Photo : CFP

La Chine a désespérément besoin de développer une plus grande capacité à prendre soin de ses personnes âgées. Cependant, si les gouvernements locaux et les entreprises essaient bien d'apporter ces services dans les quartiers, ils se heurtent souvent à des manifestations.

La Chine compte le plus grand nombre de personnes âgées dans le monde, avec 220 millions de personnes de plus de 60 ans à la fin de 2015. Ce chiffre devrait dépasser 300 millions d'ici 2025.

Malgré cette demande, les travaux sur un centre de soins pour personnes âgées dans une résidence de Haikou, capitale de la province de Hainan, dans le Sud de la Chine, ont été suspendus pendant trois mois à cause de protestations de la population locale.

Les manifestants, qui sont paradoxalement principalement des personnes âgées ou d'âge moyen, organisent des rassemblements et entravent les travaux parce qu'ils craignent que la maison de retraite ne s'approprie leurs services publics et apporte des maladies contagieuses et de la malchance dans le quartier.

Certains habitants sont particulièrement inquiets par la perspective de voir un grand nombre de personnes mourir dans la maison de retraite.

La mort reste un sujet tabou en Chine -une façon dont cela se manifeste est le fait que, dans tout le pays, de nombreux ascenseurs ne possèdent pas de bouton « 4 », car ce mot est homonyme du mot mort en chinois.

La société derrière le projet prévu, Fullcheer Senior Industry Development Co., Ltd, une société privée dont le siège est dans le Hunan, a garanti aux résidents locaux que l'installation ne fournira pas de services de soins palliatifs ou mortuaires, mais ses efforts ont été vains.

« Nous nous sentons impuissants. Nous avons obtenu l'autorisation officielle pour ce projet. Le gouvernement s'est impliqué dans la médiation, mais elle progresse lentement », a déclaré au Global Times Huang Zihan, le PDG de Fullcheer.

Ces manifestations ne sont pas rares. Des grandes villes comme Shanghai, Chongqing, Nanjing, Hangzhou et Changchun ont toutes connu des manifestations similaires contre les foyers de soins pour personnes âgées.

« Du fait que les services intégrés de soins aux personnes âgées à domicile et en centre sont promus à l'échelle nationale, ces conflits vont certainement se multiplier à moins que le gouvernement ne fasse quelque chose », a déclaré au Global Times Wang Xiaolong, président de la Maison d'accueil pour personnes âgées Cuncaochunhui à Beijing.

« Beaucoup de gens ne sont pas conscients des avantages de ce mode de service. Les gouvernements locaux ne parviennent pas à faire mieux connaître ce service et à lutter contre les obstructions violentes illégales », a-t-il ajouté.

Une forte demande…

En 2011, Wang Xiaolong et quatre de ses camarades de classe l'Université Tsinghua ont investi plus de 10 millions de Yuans (1,5 million de Dollars US) pour louer une maison dans le centre de Beijing et la transformer en un foyer de soins pour personnes âgées.

Selon M. Wang, au début, certaines personnes vivant à proximité de la maison se sont opposés, mais ils ont fini par l'accepter. Aujourd'hui, la totalité des 100 lits du centre est occupée et il y a une liste d'attente de 700 personnes.

La plupart des personnes âgées du centre vivaient déjà à proximité. La plupart des personnes âgées préfèrent rester dans les centres de soins dans leur quartier, et beaucoup refusent d'aller dans des maisons de retraite si elles sont trop éloignées.

Selon un rapport publié l'an dernier par le Centre de recherche sur le vieillissement en Chine, il y a environ 5 millions de lits dans les foyers de personnes âgées en Chine, mais près de la moitié d'entre eux sont vacants. Selon le rapport, cette situation est due au fait que de nombreux centres sont soit trop coûteux soit situés à la périphérie des villes.

« Les centres communautaires offrent également une gamme de services comme les repas, les soins infirmiers, les services de réadaptation et les soins personnels à des patients qui vivent encore chez eux », a déclaré M. Wang, ajoutant que son centre s'occupe de près de 5000 personnes âgées.

Ce concept fonctionne bien avec la culture chinoise des soins, car de nombreuses familles voient l'envoi d'un membre âgé de la famille recevoir des soins dans un établissement comme contraire au principe de piété filiale.

Ce système, a ajouté M. Wang, utilise efficacement les ressources des familles, du pays et du marché.

Selon M. Wang, le coût mensuel direct des soins dans la Maison d'accueil pour personnes âgées Cuncaochunhui est situé entre 3 000 Yuans et 5 000 Yuans en fonction des besoins de la personne âgée.

Plusieurs personnes âgées ont dit au Global Times qu'elles aimeraient que ce genre de services soit disponible dans leur quartier. "Si nous pouvions profiter de soins professionnels à domicile, les enfants pourraient aller travailler et sortir sans s'inquiéter pour nous », a ainsi déclaré Yan Ruiying, 75 ans, habitant à Changsha, dans la Province du Hunan.

Des bannières de protestation contre la construction d'une maison de soins infirmiers pour personnes âgées vues à travers les fenêtres d'un immeuble d'appartements à proximité de Shanghai, le 9 août 2015. Photo: AP

… mais aussi des protestations

Cependant, les manifestants de Haikou ne voient pas les choses de cette façon. « Nous avons entendu dire que le centre offrira également des services médicaux. Et si elle reçoit des personnes âgées atteintes d'une maladie grave ou de maladies contagieuses ? En outre, des personnes âgées mourront un jour ou l'autre dans le centre. C'est inquiétant si des décès se produisent régulièrement à votre porte », a déclaré au China Youth Daily un manifestant du nom de Li.

En juin 2013, Fullcheer a signé un accord avec le Bureau des affaires civiles de Haikou pour construire un système de service pour personnes âgées qui ne peuvent plus s'occuper d'elles-mêmes.

En octobre 2015, la société a loué les cinq premiers étages d'une tour et a commencé à construire un centre de soins infirmiers pouvant accueillir 100 personnes âgées handicapées et fournir des soins à domicile aux autres personnes âgées du secteur.

Cependant, les travaux ont été arrêtés par un groupe d'habitants en mai. Selon le China Youth Daily, les manifestants ont même commencé à patrouiller sur le chantier de construction pour empêcher les travaux de construction.

Selon le Nanguo Metropolis Daily, un journal de Haikou, plus de la moitié des 177 propriétaires de la résidence ont opposé leur veto à la demande du centre de pouvoir utiliser des terrains verts public, bien que les promoteurs aient fait valoir qu'ils avaient le droit de les utiliser.

Les négociations ont globalement été infructueuses, même si Fullcheer a proposé de faire des compromis, comme la construction d'une entrée séparée dans la maison afin que les visiteurs et les personnes âgées n'aient pas à passer par la résidence.

Dans le quartier de Yangpu de Shanghai, une entreprise appartenant à l'État est en train de transformer un immeuble désaffecté en maison de soins infirmiers communautaires à domicile. Ce projet a également fait face à des protestations en mai dernier.

« Elle est juste à quelques mètres ... nous allons voir la morgue, nous allons entendre les cris de douleur des parents, nous allons respirer de l'air pollué, nous allons avoir l'odeur des cadavres... », se sont plaints les manifestants dans une lettre de pétition commune, selon le portail d'informations thepaper.cn.

Ils craignent également que la présence du centre ne fasse baisser les prix de l'immobilier dans la résidence.

Selon un responsable de la société appartenant à l'Etat, la rénovation a redémarré après trois mois de négociations.

« Nous avons parlé à leurs représentants et les avons invités à visiter les autres maisons de soins infirmiers, et nous les avons convaincus que le centre sera calme, propre et n'aura pas de salons mortuaires ou funéraires », a déclaré un employé chargé de la communication au bureau du sous-district, qui administre le quartier.

Mais d'autres projets ne sont pas aussi chanceux. En 2014, une coentreprise sino-japonaise n'a ainsi pas pu terminer les travaux d'une maison de soins infirmiers à Hangzhou, capitale de la Province du Zhejiang après qu'elle ait annulé les projets d'établissements de soins palliatifs.

Selon Huang Zihan de Fullcheer, ce type de manifestations peut devenir violent. Elle a ainsi affirmé qu'une maison de soins infirmiers de Zhuzhou, dans la Province du Hunan, a vu ses fenêtres brisées et d'autres biens endommagés par les manifestants.

« Certains projets ont dû être annulés en raison des protestations », a-t-elle dit.

Une mauvaise application des politiques

Liu Yaqi, l'un des fondateurs d'Any Dream Fukushi, une société de conseil basée à Zhengzhou, spécialisée dans l'industrie des soins aux personnes âgées, a remarqué lors de ses voyages que les autres pays n'ont pas ce genre de tabou.

« Je suis allé en voyage au Japon. Certains ont même construit leurs maisons à côté de cimetières. Ils croient qu'avoir leurs ancêtres à côté les rendra plus sûres. Il n'y a pas de tabou sur la mort en Europe non plus, ils croient que les gens sont créés par Dieu », a-t-il déclaré au global Times.

Mais il pense néanmoins que l'attitude des Chinoise va changer quand ils seront touchés par le vieillissement de la société. « Le public en Chine n'a pas encore pris conscience de la gravité de la crise du vieillissement. Mais quand ils l'éprouveront vraiment, alors ils voudront une maison de soins infirmiers dans leur quartier », dit-il.

Tang Jun, expert en soins aux personnes âgées à l'Académie chinoise des sciences sociales, estime quant à lui que les manifestants finiront par regretter leurs actions. « Les gens sages découvriront que lorsque le pic du vieillissement arrivera dans 10 ans, les logements situés dans des résidences qui ont des centres de soins aux personnes âgées se vendront à un prix beaucoup plus élevé », a-t-il déclaré dans un article récemment publié sur son blog.

« Les autorités devraient intervenir et prendre des mesures lorsque le bâtiment d'une maisons de soins infirmiers fait l'objet d'entraves illégales ou violentes », a pour sa part souligné M. Wang.

« Si la situation se détériore et si le gouvernement reste inactif, j'ai bien peur que de nombreux investisseurs dans l'industrie des soins aux personnes âgées ne soient découragés », a déclaré M. Huang.

Le Conseil des affaires de l'Etat a publié un document en 2013, dans lequel il s'est engagé à construire un système national de soins aux personnes âgées basé sur les concepts de domicile et de communauté. Selon la directive, des installations de soins aux personnes âgées devraient être construites dans 90% des résidences urbaines et 60% des résidences rurales en Chine d'ici 2020.

La directive indique également que les gouvernements locaux doivent allouer des terres aux installations de soins aux personnes âgées.

Mais cette politique est mal appliquée. « Avant, nous ne concevions pas d'installations de soins aux personnes âgées lors de la construction des résidences. Maintenant, alors même que nous avons pris conscience de ce défaut et que nous lançons des politiques pour y remédier, de nombreuses villes choisissent d'ignorer cette question », a déclaré M. Wang.

Les gouvernements locaux préfèrent les hôtels aux maisons de soins infirmiers, car leur priorité est plus souvent les revenus provenant de l'économie et de la fiscalité locale.

Le mois dernier, le gouvernement de Beijing a émis un avis, exigeant que tous les promoteurs immobiliers construisent des installations de soins aux personnes âgées dans les communautés résidentielles, avant de les transférer gratuitement au bureau local des affaires civiles. L'avis a également précisé que le gouvernement remettra ensuite ces installations à des entreprises privées qui seront chargées de les gérer.

« C'est un bon départ et il devrait être suivi à l'échelle nationale », a conclu M. Wang. 

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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