Malgré sa dimension modeste sur la carte géopolitique régionale et internationale, la Tunisie vient de prouver, après l'élection pacifique d'un nouveau président, que les crises politiques, le déséquilibre socioéconomique et surtout la menace terroriste peuvent être balayées par la volonté d'un peuple mature qui a pu déclencher un "printemps arabe" et imposer la transition démocratique.
Ce pays à la fois nord-africain, arabe et méditerranéen a allumé le 17 décembre 2010 la première étincelle du "printemps arabe" lorsqu'un jeune marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, s'est immolé par le feu à Sidi Bouzid, une province du centre de la Tunisie connue pour être l'une des zones marginalisées sous le régime du président déchu, Zine el-Abidine Ben Ali.
Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a imposé sa volonté de rompre définitivement avec un régime au pouvoir depuis 23 ans en obligeant M. Ben Ali à quitter le pouvoir, voire même le pays.
En comparaison avec des soulèvements populaires survenus par la suite dans certains pays arabes, dont l'Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie, le bilan de victimes de la Tunisie a été le plus bas principalement grâce à la neutralité de son institution militaire, qui a gardé la même distance vis-à-vis des deux camps (forces de sécurité et manifestants).
Très rapidement, et pour ne pas plonger le pays dans un vide politique, un président par intérim fut désigné en attendant la mise en place d'un gouvernement provisoire de transition ayant pour seule mission d'organiser dans les plus brefs délais des élections législatives le 23 octobre 2011 pour désigner les membres de l'Assemblée constituante.
Mais après la chute de M. Ben Ali, le pays a subi une série d'échecs d'ordres économique, social et surtout sécuritaire.
La croissance de la Tunisie a oscillé entre 2 et 3% contre environ 5% avant la révolution, le taux de chômage du pays s'est fixé aux alentours de 17%, son déficit commercial n'a cessé de croître et l'industrie du tourisme a été paralysée par le "fantôme" de l'extrémisme religieux et la menace terroriste, dont les racines restent encore indétectables malgré les efforts d'un appareil sécuritaire pas encore complètement rétabli après la vague de violences qu'a connue le pays pendant les sept premiers mois suivant la révolution.
Pire encore, la situation sécuritaire et socioéconomique est devenue chaotique après l'assassinat de deux opposants anti-islamistes de premier plan en 2013, à savoir Chokri Belaïd (l'un des leaders de la gauche) le 6 février et Mohamed Brahmi (député nationaliste) le 25 juillet.
Ces deux meurtres ont fait basculer la Tunisie dans une spirale de déséquilibre politique qui aurait pu avoir de lourdes conséquences sans des sacrifices de la part du parti islamique Ennahdha, qui a cédé le pouvoir à des personnalités politiques indépendantes.
Cependant, pas moins de 60 agents de sécurité et soldats ont été tués dans des attentats terroristes visant principalement les deux ministères de l'Intérieur et de la Défense, des tentatives de faire sombrer le pays dans une situation comparable à celle observée en Egypte, en Libye, au Mali ou encore en Syrie.
Dans ce contexte, le tempérament du peuple tunisien a été qualifié de relativement sage et intelligent par des observateurs internationaux. En effet, la société civile tunisienne ne s'est pas laissée emporter par la colère et le mécontentement après les échecs répétés du gouvernement à majorité islamiste et a fait preuve d'une résilience incroyable face à l'onde de choc subie tout au long de ces trois années.
Finalement, la classe politique tunisienne a pris conscience que les conflits idéologiques alimentés par des tentatives de diviser le peuple entre islamistes et non islamistes ne seraient que des obstacles au processus de transition.
Les partis politiques rivaux ont organisé en octobre 2013 des consultations dans le cadre du Dialogue national parrainé par les quatre institutions phares de la société civile : l'Union générale tunisienne du Travail (centrale syndicale, UGTT), l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (organisation patronale, UTICA), l'Ordre national des avocats de Tunisie et la Ligue tunisienne des droits de l'homme.
Un consensus a été établi sur la mise en place d'un gouvernement de technocrates et Mehdi Jomaa, l'ancien ministre de l'Industrie du gouvernement d'Ali Larayedh (figure de proue du parti Ennahdha), a été désigné pour diriger ce gouvernement le 29 janvier 2014 jusqu'à la tenue des élections législatives du 26 octobre et la présidentielle du 23 novembre.
Peu expérimenté en politique mais reconnu dans son domaine en tant que brillant ingénieur d'une grande multinationale privée spécialisée dans la production, l'exploitation et la distribution de produits pétroliers, Mehdi Jomaa a pu, malgré les pressions locales et étrangères, rétablir l'ordre et atténuer la menace terroriste pour sécuriser le processus électoral.
La veille de la désignation officielle de Mehdi Jomaa, l'Assemblée constituante avait promulgué une nouvelle Constitution pour la Tunisie. Un premier pas, d'après certains chefs d'Etats présents à Tunis pour célébrer l'événement, vers l'achèvement de la transition démocratique dans le pays.
En contraste avec les situations socioéconomique et surtout sécuritaire prévalant dans certains pays arabes, notamment la Libye et la Syrie, la Tunisie a prouvé au cours des quatre dernières années qu'elle pourrait, malgré sa crise politique, la menace terroriste et la paralysie de son économie, garantir une "cohabitation" entre des fractions politiques aux idéologies différentes, voire contradictoires, tout en assurant une passation pacifique du pouvoir.