Dernière mise à jour à 08h50 le 06/06
Il s'appelle JC –son nom complet n'a pas été dévoilé pour le protéger- et tous les matins, au réveil, l'homme crie « Bonjour ! » en ouvrant joyeusement les volets de sa chambre. Rien d'étonnant jusque-là, sauf que cet homme est Italien et n'a pour ainsi dire jamais parlé français. Après ce bonjour tonitruant, il se met ensuite involontairement à débiter des phrases dans un (mauvais) français devant sa famille qui n'en peut mais. En réalité, ce quinquagénaire souffre de ce que l'on appelle le syndrome de la langue étrangère, une affection médicale rarissime qui survient généralement à la suite d'un choc à la tête ou de lésions au cerveau. Dans le cas de JC, c'est l'apparition d'une anomalie vasculaire qui l'a fait devenir, du jour au lendemain, « français ».
Et il ne se contente pas de ces discours incohérents : selon l'équipe de la neuropsychologue italienne Nicoletta Beschin de l'Université d'Édimbourg à l'origine d'une publication sur son cas dans une revue scientifique, JC est la parfaite caricature du Français. Vous savez, celui des films de Godard des années 1960 et 1970… celui qui parle avec emphase, fait des grands gestes et fait preuve un flegme insolent. JC passe aussi son temps à regarder des films français, s'achète et dévore des classiques de la littérature hexagonale et ne jure que par la cuisine française traditionnelle au beurre et à la crème. Et pourtant, JC affirme qu'il n'a jamais parlé français, bien qu'il en ait appris les bases il y a très longtemps au lycée, et n'a d'ailleurs jamais non plus été particulièrement attiré plus par la culture française.
Toujours selon Mme Beschin, JC utilise le français pour parler avec quiconque est prêt à l'écouter : ses parents, désorientés on l'imagine, ses voisins de chambre à l'hôpital, le personnel soignant. Il prétend qu'il n'a jamais su parler français, mais il réfléchit en français, regarde des films français qu'il n'avait jamais vus par ailleurs, achète de la nourriture française, lit des livres et des magazines français, mais n'écrit encore qu'en italien. « Il ne montre non plus aucune forme d'irritation lorsque les gens ne le comprennent pas quand il parle », dit encore l'article scientifique, qui précise également que même si « son français est plein d'inexactitudes, il parle dans un rythme rapide, en employant une intonation exagérée et en utilisant une prosodie de film, faisant de lui la caricature d'un Français ». S'y ajoutent aussi, plus grave, des troubles du sommeil et des comportements compulsifs, comme l'achat inutile de très grandes quantités d'objets.
Le syndrome de l'accent étranger ou de la langue étrangère, encore très mystérieux, a commencé à être connu du grand public après la médiatisation, ces dernières années, de plusieurs cas répertoriés dans le monde : en 2008, une Américaine s'était réveillée avec un accent russe et s'était mise à faire des fautes de grammaire typiques de celles des Russes apprenant l'anglais ; en 2013, une Australienne s'était, elle, réveillée avec un accent français après un accident de voiture, tandis que la même année, la BBC diffusait une émission sur une femme de Plymouth qui avait pris une sorte d'accent chinois. On avait aussi connu le cas d'un Norvégien rescapé d'un bombardement allemand pendant la Seconde guerre mondiale, et s'était mis à parler avec un fort accent allemand. Le premier cas du syndrome aurait été observé dès 1919, dans une étude tchèque.