Au Cameroun, sur une population évaluée à plus de 20,3 millions d'habitants par les récentes estimations de 2012 qui ne livrent aucune indication supplémentaire en dehors des 3,4% de taux de pourcentage des plus de 64 ans, seuls les témoignages suffisent pour prendre acte de la présence dans une famille ou une communauté d'un centenaire.
Même à l'occasion des manifestations officielles en marge de la Journée mondiale des personnes âgées le 1er octobre que le Cameroun célèbre pourtant tous les ans, l'absence d'évocation des doyens et doyennes de cette société est frappante et révélatrice de l'oubli fait à leur égard, au point qu'aucune enquête démographique n'est aujourd'hui disponible pour déterminer leur nombre.
Il a quelques mois en 2012, un député de l'Assemblée nationale (Parlement) originaire de la localité a rendu une visite non suivie d'effet de la part des pouvoirs publics, à une vieille femme de 115 ans d'un village du département de la Lékié, voisin de celui du Mfoundi également dans le Centre dont la capitale Yaoundé est le chef-lieu.
A Famlitagli, un village de l'arrondissement de Dschang dans la région de l'Ouest, "maman" Anastasie Dongmo, n'en a pour autant cure, du haut des 102 ans, selon le témoignage de son neveu Jean-Claude Zanfack, qui a révélé à Xinhua que cette doyenne adorable qui a perdu sa sœur aînée à 105 ans il y a trois ans, est l'unique survivante d'une fratrie de cinq enfants dont un garçon et quatre filles.
Avoir cet âge, c'est tout un exploit dans un pays où l'espérance de la vie à la naissance est établie à 54,71 ans en 2012, avec spécifiquement 55,63 ans chez les femmes et 53,82 ans chez les hommes, pour un taux d'accroissement naturel de 2,08% de la population.
Pour un taux de 3,4% des plus de 64 ans, la réflexion conclut aisément à un chiffre insignifiant la proportion des centenaires. Femme de grâce alors, "maman" Anastasie ? Ce n'est pas son opinion. C'est que, pour l'intéressée, la longévité tient davantage à la manière de vivre qu'à la chance.
Une philosophie professée pour indexer et dénoncer "les raccourcis empruntés par nombre de Camerounais aujourd'hui pour atteindre coûte que coûte un objectif, en l'occurrence l'ascension sociale".
Analphabète, Anastasie Dongmo, par ailleurs veuve, fait partie des 26,4% de la population camerounaise sans instruction, d'après les statistiques officielles. Mais cela ne l'a pas empêchée d'avoir une intelligence vive qui lui vaut aujourd'hui d'être une formidable source d'inspiration pour sa famille et les populations de Famitagli qui saluent en elle une "vieille dame brave" et pétillante d'énergie.
Mis à part les trous de mémoire qui l'amènent parfois à divaguer, cette doyenne Dschang, nom de son ethnie, a réussi à traverser les âges épargnée par des maladies qui, pour d'autres personnes, leur ont soit ôté la vie, soit les ont rendues inaptes pour des activités nécessitant un effort physique, ou alors handicapées.
C'est à peine si la veille femme cultivatrice, qui continue d'aller au champ mais pour un temps et une activité réduits à leur plus simple expression, utilise sa canne de déplacement. N'hésitant pas à l'abandonner par moments, comme un bambin, elle traîne sa silhouette dans les différents coins de son village, gambade, tournoie, fait des grimaces, en signe d'une santé qui ne trahit pas.
Au milieu des siens qu'elle couve de sa tendresse, "maman" Anastasie, veuve depuis 20 ans et mère de cinq enfants en vie, peut même se permettre de porter un nouveau-né d'une main et le couvrir de câlins. "C'est une femme merveilleuse. Elle répond à toutes les sollicitations, même en urgence", témoigne Jean-Claude Zanfack, son neveu.
Prêtresse des rites traditionnels de sa famille, à l'instar du rituel d'adoration des crânes humains pour des offrandes aux ancêtres, elle tient avec soin son rôle de gardienne des traditions, qui recommande à la jeunesse camerounaise de "marcher sur le droit chemin, de ne pas envier ni convoiter le bien d'autrui".
"Elle ne dérange pas. Malgré leur insistance, elle n'aime pas vivre chez ses enfants. Chaque fois que l'un d'eux tente de la prendre avec lui, elle demande à rentrer aussitôt", confie encore à son sujet Zanfack.
La crainte de la mort, "maman" Anastasie ne s'en embarrasse guère. Elle dit attendre dans la quiétude "le jour où le Seigneur va me rappeler auprès de lui". Ce sera tout simplement au terme d'une vie pleine, qui rappelle celle de ses parents, également morts centenaires. Et bien loin des projecteurs d'une société qui ne s'offusque nullement d'écarter son attention de ses doyens et doyennes.
Par Raphaël MVOGO