Dernière mise à jour à 10h32 le 21/10
La tension monte entre le pouvoir de Yaoundé et le Social democratic front (SDF), le principal parti d'opposition anglophone au Cameroun, après l'interdiction d'un meeting programmé par celui-ci samedi à Douala pour exprimer sa solidarité envers les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, deux régions anglophones secouées par une crise.
Le 12 octobre, Jean-Michel Nintcheu, député à l'Assemblée nationale (Chambre basse du Parlement) sous la bannière du SDF et dirigeant de cette formation dans le Littoral, région à laquelle la ville de Douala appartient, avait obtenu une autorisation officielle pour la tenue samedi d'un meeting suivi d'une marche à l'esplanade du stade Omnisports de Bépanda.
Selon M. Nintcheu, la double manifestation visait à exprimer la solidarité du parti dirigé par John Fru Ndi, principal rival du président Paul Biya, à l'égard des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, deux régions anglophones du pays secouées par des violences meurtrières ces dernières semaines, suite à une crise sociopolitique que le gouvernement peine à endiguer depuis un an.
Jeudi, à deux jours de l'événement, Jean-Marie Tchakui Noudie, sous-préfet de Douala 1er, qui avait accordé cette autorisation, a publié un communiqué de presse par lequel il annonçait une suspension de sa décision.
"Il s'est avéré au fil des jours, a-t-il justifié, à en juger par les propos repris dans les colonnes de certains journaux de la place [Douala], par la diffusion de messages tendancieux dans les réseaux sociaux ainsi que divers tracts séditieux en circulation, que les organisateurs de cette manifestation entendent de manière délibérée, le jour prévu, s'écarter totalement de son objet."
Au Cameroun, l'organisation de toute manifestation publique est soumise à l'obtention d'une autorisation de la part d'une autorité administrative. La loi exige de mentionner dans la demande d'autorisation l'objet et le lieu de la manifestation.
Dans sa décision de retrait de l'autorisation accordée à M. Nintcheu, le sous-préfet de Douala 1er accuse la formation du parlementaire de vouloir créer "un cadre de revendication intempestive d'appel à la haine et à la violence, voire à la révolte et à l'insurrection, sous prétexte de dénoncer de prétendus massacres perpétrés à grande échelle dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest".
L'intéressé rejette, lui, ces accusations et dénonce un procès d'intention. "Jusqu'à présent, je n'ai pas été notifié d'une quelconque interdiction qui n'a pas lieu d'être, parce qu'il n'y a aucun élément susceptible de montrer qu'il y a risque de trouble à l'ordre public", a-t-il souligné dans des interviews publiées par quelques journaux locaux vendredi.
"Nous continuons de préparer tranquillement et sereinement notre meeting. J'ai l'impression que ce communiqué est une diversion", a-t-il ajouté, précisant que ni l'itinéraire de la marche ni l'objet du meeting prévus dès 13h00, heure locale (12h00 GMT), samedi dans la métropole économique, "n'ont jamais été changés" contrairement aux déclarations du sous-préfet.
"Le SDF va organiser son meeting qui sera une manifestation pacifique. Nous espérons que l'autorité administrative va au moins une fois faire preuve de cette impartialité et d'esprit républicain, parce que nous ne pouvons pas laisser le Rassemblement démocratique du peuple camerounais [RDPC, au pouvoir] occuper seul l'espace public", a encore poursuivi l'élu du peuple.
Cette déclaration laisse penser à un bras de fer et une montée de la tension en perspective entre le SDF et le pouvoir. Une situation qui n'est pas nouvelle depuis la création de cette formation en 1990 à Bamenda, principale ville de la région du Nord-Ouest.
Ce n'est pas en effet la première fois que le parti dirigé par John Fru Ndi se voit refuser l'autorisation d'un meeting par les autorités camerounaises, accusées par l'opposition d'user de divers stratagèmes pour chercher à la bâillonner. Et cette fois, il existe un risque de confrontation, à cause du contexte politique déjà agité dans le cadre de la crise anglophone.
Depuis le début de cette crise, le Cameroun a enregistré un déferlement de violences le 22 septembre et le 1er octobre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, à cause de heurts sanglants ayant opposé les forces de défense et de sécurité et des groupes d'activistes sécessionnistes décidés à déclarer la création symbolique d'un nouvel Etat indépendant dans ces régions du nom d'Ambazonie.
Depuis, les tensions se sont apaisées dans les deux régions et le pouvoir de Yaoundé compte profiter de cette accalmie pour organiser un dialogue en vue d'une sortie de crise durable, que le Premier ministre, Philemon Yang, prépare à travers des consultations locales dans le Nord-Ouest, sa région d'origine, depuis lundi.
Président de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, l'ex-Premier ministre Peter Mafany Musongue conduit les mêmes consultations dans le Sud-Ouest, dont il est originaire.
C'est cependant en l'absence du chef de l'Etat, qui continue de séjourner à l'étranger après avoir quitté le pays le 14 septembre pour participer aux travaux de la 72ème Assemblée générale des Nations Unies, à New York, au siège de l'organisation internationale.