Le Premier ministre japonais Shinzo Abe devrait changer sa puissante rhétorique nationaliste, qui est très dangereuse, et la modifier afin d'améliorer la situation dans la région
Comme l'a souligné le professeur Pierre Picquart, Docteur en géopolitique et en géographie humaine de l'Université de Paris-VIII, spécialiste de la Chine et du monde chinois, le 1er décembre 1943, les gouvernements de la Chine, des États-Unis et du Royaume-Uni ont publié, lors de la Conférence du Caire, une déclaration par laquelle les trois pays déclaraient la guerre au Japon, et demandaient à ce qu'il rende les îles occupées depuis le début de la guerre dans le Pacifique, ainsi que tout le territoire chinois occupé. La « Conférence du Caire » a été réaffirmée par la « Déclaration de Potsdam » qui a suivi. Signé en juillet 1945, l'« Accord de Potsdam », n'a fait que souligner que le contenu de la « Conférence du Caire » devait être mis en œuvre.
Toutefois, aujourd'hui, 70 ans après la publication de la « Déclaration du Caire », le Premier ministre japonais Shinzo Abe essaie de modifier la Constitution pacifique japonaise, ce qui constitue une violation flagrante de l'esprit de la « Conférence du Caire » et de l'« Accord de Potsdam ». Un point important de la « Conférence du Caire » et de l'« Accord de Potsdam » était que le militarisme du Japon devait disparaitre définitivement, et que le Japon n'était pas autorisé à avoir des troupes de combat. L'article IX de la constitution du Japon, par lequel ce pays « renonce à jamais à la guerre pour assurer sa souveraineté nationale, et à la menace ou l'emploi de la force comme moyen de règlement des différends internationaux » est la mise en œuvre de cette disposition. Cependant, par sa politique de révisionnisme historique, Abe tente de modifier les dispositions de l'article IX de la Constitution du Japon, dans l'espoir de renforcer les forces armées militaires de son pays. Ce serait contraire à l'esprit de la « Conférence du Caire ». La politique actuelle d'Abe, conduisant à une remilitarisation du Japon, présente pour l'avenir un danger croissant, qui est la destruction de l'ordre international et de l'esprit de paix de l'après-guerre.
Après la Seconde Guerre mondiale, les criminels de guerre allemands ont été jugés par le Tribunal de Nuremberg, amenant le peuple allemand à une repentance et une réflexion profondes sur un pan d'histoire fasciste. En revanche, depuis la Seconde Guerre mondiale, les criminels de guerre japonais n'ont pas tous fait l'objet de procès sérieux, et bientôt, du fait de la guerre de Corée, les Etats-Unis ont eu très vite besoin de faire basculer le Japon dans leur camp, tirant un trait sur le sujet du traitement des crimes de guerre japonais. Au Japon, il n'y a jamais eu de réflexion sérieuse sur la guerre. Au contraire même, il y existe un problème de vision de son histoire. Au Japon, l'histoire est souvent expliquée de façon très partiale et parfois très mal, comme le déni du Massacre de Nanjing. Dans de l'enseignement de l'histoire dans les universités et les écoles, Abe poursuit également une politique nationaliste. Le Japon a procédé à plusieurs reprises à la révision des manuels scolaires, comme en 2005. En se fourvoyant dans cette voie, le Gouvernement Abe prend le risque d'aggraver cette tendance nationaliste.
Après la crise de la centrale nucléaire de Fukushima et la façon dont elle a été gérée, qui fut une humiliation pour le Japon, ce pays a éprouvé de la peur –et peut-être même la jalousie- face au développement économique durable et les succès répétés de la Chine. Dans ce contexte, le Japon a connu une nouvelle montée du nationalisme. Les visites des politiciens japonais au très important temple Yasukuni en est un bon exemple ; c'est là en effet que se situent les sanctuaires de criminels de guerre japonais de premier plan. Les déclarations des politiciens japonais sur les crimes de guerre ainsi que sur les femmes de réconfort et d'autres questions sont également inquiétantes. Depuis qu'Abe a pris ses fonctions, la situation s'est aggravée ; celui-ci estime que le Japon a présenté des excuses suffisantes, quand bien même seulement quelques-unes ont été reçues.
Ces tendances nationalistes japonaises ont suscité des tensions dans les relations entre le Japon et la Chine, et entre le Japon et la Corée du Sud. La situation actuelle à proximité des îles Diaoyu est également potentiellement dangereuse. Pour autant que nous le sachions, les îles Diaoyu appartenaient à la Chine jusqu'à ce que le Japon les occupe en 1895. Aux termes de la « Conférence du Caire », le Japon devait rendre les îles du Pacifique occupées depuis la guerre, et rendre l'ensemble du territoire chinois qu'il occupait. Outre les dispositions de la « Conférence du Caire », l'« Accord de Potsdam » devait être exécuté, mais des restrictions sur le territoire du Japon avaient également été posées.
En regardant l'histoire, la « Déclaration du Caire » a jeté les bases pour le modèle mondial de l'après-guerre, et la situation du monde de l'après-guerre ne saurait être niée. Afin d'améliorer les relations sino-japonaises, le Japon a été soumis à l'ensemble des dispositions de la « Conférence du Caire » et de l'« Accord de Potsdam ».
Le développement futur des relations sino-japonaises n'est pas si facile. Face à la poursuite d'une politique nationaliste radicale du Gouvernement Abe, la réaction de la Chine s'est avérée relativement modérée, mais si jamais un accident se produisait, la situation dans la région pourrait aussi devenir hors de contrôle. Dans les mois et années à venir, il sera de la plus haute importance que la Chine et le Japon évitent les contradictions et les risques d'une escalade des conflits. C'est pourquoi Shinzo Abe devrait changer sa puissante rhétorique nationaliste, qui est très dangereuse, afin d'améliorer la situation dans la région.
« Le Quotidien du Peuple » (2 Décembre, 2013 03 Edition)