"Certes, le business des passeurs, dans le phénomène de l'immigration illégale, sera difficile à endiguer tant qu'il n'y aura pas d'Etat ou d'autorité en Libye. Mais ce n'est ni la Libye ni les passeurs qui créent le problème", a déclaré François Gemenne, spécialiste des migrations et enseignant-chercheur à Science Po, dans une interview à Xinhua.
Selon François Gemenne, on ne peut pas résumer le problème de l'immigration illégale à la lutte contre les passeurs.
"Les passeurs font ce qu'ils veulent en Libye puisque la Libye est devenue une zone de non droit. Mais ce n'est pas la Libye ni les passeurs qui créent le problème", a expliqué M. Gemenne.
"Le problème c'est avant tout les politiques européennes en matière d'asile et d' immigration. C' est parce que les frontières sont fermées et parce qu'il y a toujours plus de candidats à l'immigration que les passeurs trouvent là, un business particulièrement intéressant. Mais si l' on rétablit les voies d' accès légal à l'UE, on tue le business des passeurs et on règle le problème", a-t-il indiqué.
REPONSE POLICIERE
D'après M. Gemenne, l'Europe apporte à l'immigration une réponse qui est exclusivement policière : surveillance des frontières avec l' opération Triton ou Frontex. Or, ce spécialiste des migrations estime qu'il faut une réponse structurelle à l'immigration.
"La réponse structurelle serait de rétablir les voies d'accès légal vers l'UE et de doter l'UE d'une véritable politique commune en matière d'asile et d'immigration", a précisé M. Gemenne
"Mais pour le moment le projet politique de l'UE en matière d'asile et d' immigration, c'est simplement la fermeture et la surveillance des frontières", a constaté M. Gemenne. Selon lui, la fermeture et la surveillance des frontières ne peuvent pas éradiquer le problème.
Car, "aujourd'hui, il n'y a aucune coordination dans les politiques migratoires de l'UE. C'est un assemblage de 28 politiques nationales, et le seul point commun entre ces politiques, c'est la surveillance et le contrôle des frontières. Ce qui ne peut pas remplacer un projet politique qui doit passer par le rétablissement de voies d' accès légal vers l'UE. Et tant qu'on ne créera pas cette vraie réponse de fond on continuera à avoir ces drames en Méditerranée. Parce que le fait de fermer les frontières ne peut pas empêcher les migrants de tenter leur chance", a insisté le chercheur.
Concernant le plan élaboré le lundi 20 Avril par l'UE à Luxembourg pour faire face à l'immigration clandestine (collaboration des pays de transit, doublement des moyens de Triton, lutte contre les passeurs...), M. Gemenne estime que ces mesures ne sont pas suffisantes.
"La mesure immédiate et d' urgence à prendre, c'est de relancer une grande opération de sauvetage humanitaire du même genre que l'opération Mare Nostrum (opération de sauvetage lancée par l'Italie après le naufrage de Lampedusa). Mais cela n'est pas à l'agenda parce que les Etats européens ont peur que cela n'incite les passeurs à lancer encore plus de bateau à la mer. Parce qu'ils auraient la certitude que les bateaux seraient secourus. Ce qui est tout à fait absurde. Les passeurs se fichent de savoir que les bateaux seront secourus ou pas une fois qu' ils ont obtenu l' argent des migrants", a dit le chercheur.