Dernière mise à jour à 14h13 le 22/08
En décidant de déployer sur son sol le bouclier antimissile américain THAAD, la Corée du Sud a perdu beaucoup de poids diplomatique en Asie du Nord-Est et continuera à en perdre, alors qu'elle en a pourtant besoin pour régler la question nucléaire avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC), estime l'ancien ministre sud-coréen Jeong Se-hyun.
"Il n'y a plus de réflexion diplomatique dans la politique (étrangère) de la République de Corée", se désole à Xinhua celui qui fut ministre de l'Unification entre 2002 et 2004 sous les présidences de Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun.
Séoul et Washington ont annoncé le mois dernier avoir conclu un accord sur le déploiement d'une batterie THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) dans la région de Seongju, à quelque 250 km au sud-est de la capitale sud-coréenne, en dépit d'une forte opposition de pays voisins.
Pour M. Jeong, le gouvernement sud-coréen n'a jamais évalué les gains et les pertes diplomatiques liés à une telle décision. Il pense que celle-ci placera le pays dans une position très difficile lorsqu'il va s'agir de discuter de la dénucléarisation de la péninsule, la Chine et la Russie étant vivement opposées au déploiement du système antimissile américain.
"Le THAAD va être déployé car les Etats-Unis en ont besoin. La Corée (du Sud) et les Etats-Unis affirment qu'ils pourront ainsi se défendre contre les missiles de la Corée du Nord (RPDC), mais cette justification est superficielle. Le but stratégique est de pouvoir observer et surveiller les forces militaires en Chine et dans l'Extrême-Orient russe", pense M. Jeong.
Le radar en bande X utilisé du THAAD va causer du tort aux intérêts de sécurité de la Chine et de la Russie car il sera capable d'observer une partie de leurs territoires. Séoul affirme vouloir se reposer sur une configuration "phase de vol terminale" avec une portée de 600 à 800 km, mais le système peut être transformé à tout moment en "mode avancé", avec une portée d'au moins 2.000 km. Une version modifiée du radar n'a même pas besoin de cette configuration pour avoir une portée presque double.
La batterie THAAD sera opérée uniquement par les forces américaines en Corée du Sud (USFK), ce que Jeong Se-hyun interprète comme un moyen pour les Etats-Unis de conforter "la position dominante et l'hégémonie" dont ils jouissent en Asie de l'Est depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Pourtant, le THAAD sera incapable d'intercepter tous les missiles venus de RPDC, poursuit l'ex-ministre, Pyongyang en possédant plus d'un millier pointés vers le Sud. Le bouclier ne dispose que que six lanceurs mobiles dotés de 48 intercepteurs, un radar en bande X et un système de mise à feu.
Séoul et sa grande agglomération, qui représentent environ la moitié de la population sud-coréenne, ne seront pas couverts par le THAAD, situé beaucoup plus au sud, ce que M. Jeong interprète comme une preuve claire que ce bouclier ne cherche pas à protéger le pays contre les missiles de la RPDC.
Séoul et sa grande agglomération seront protégées par des missiles sol-air Patriot capables d'abattre des missiles à une altitude entre 15 et 30 km, selon l'armée sud-coréenne. Alors que les missiles de la RPDC volent entre 20 et 30 km d'altitude, le THAAD, lui, ne peut intercepter que ceux volant entre 40 et 150 km d'altitude.
Il est donc naturel que Beijing et Moscou s'opposent au THAAD pour la simple et bonne raison qu'il n'interceptera pas les missiles de la RPDC, mais surveillera au contraire leurs territoires, résume M. Jeong.
"Qui est assez idiot pour croire que le radar du THAAD ne visera que la Corée du Nord (RPDC)? Qui sait ce qui se passera dans la base américaine où le THAAD sera déployé? Le point clé (de ce déploiement) est la surveillance de la Chine et de la Russie, pas l'interception" des missiles, dit-il.
Ce déploiement n'est pas dans l'intérêt de la Corée du Sud car il lui fera plus de mal que de bien diplomatiquement et économiquement et il est le fruit de pressions américaines, poursuit M. Jeong qui y voit un réel échec de la politique étrangère du gouvernement de Park Geun-hye.
Ce déploiement devrait ainsi rendre plus difficile toute coopération avec la Chine et la Russie avec les politiques régionales de Mme Park telles que l'initiative Eurasie et l'initiative pour la paix et la coopération en Asie du Nord-Est. L'objectif d'une péninsule coréenne dénucléarisée va également être plus difficile pour les mêmes raisons, selon lui.
L'ancien ministre rappelle que la présidente Park avait usé en début de mandat d'une "rhétorique flamboyante" pour évoquer le processus de relation de confiance dans la péninsule et l'"aubaine" que pouvait signifier la réunification.
En réalité, son intention est de voir la RPDC s'effondrer, dit-il, comme en témoignent la fermeture de la zone industrielle de Kaesong, l'un des derniers projets de coopération économique inter-coréens, et la reprise des messages de propagande par haut-parleurs sur la ligne de front.
Cette politique dure a poussé la Corée du Sud à tomber dans le piège tendu par les Etats-Unis, analyse-t-il, permettant à ces derniers d'exercer une stratégie militaire en Asie du Nord-Est faite d'observation et de pression sur la Chine et la Russie conjointement avec la Corée du Sud et le Japon.
"Le gouvernement de Park Geun-hye ne peut désormais plus utiliser l'option diplomatique", note Jeong Se-hyun. "La politique très dure à l'égard de la Corée du Nord (RPDC) signifie que la Corée (du Sud) est piégée par la stratégie américaine en Asie de l'Est. Le gouvernement n'a pas évalué l'aggravation de ses relations avec la Chine" à cause du déploiement du THAAD.
L'ancien ministre prédit que l'économie sud-coréenne va souffrir de cette décision, notamment avec un recul du nombre de touristes chinois. De plus, les échanges commerciaux devraient s'amenuiser, alors que la Corée du Sud dépend beaucoup de la deuxième économie mondiale pour ses exportations. Il faut en effet se rappeler que la Chine est son premier partenaire commercial.