Dernière mise à jour à 08h23 le 15/03
"L'Union européenne (UE) ne se laissera pas faire par Donald Trump", estime Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, le principal centre de recherche français sur les questions européennes, dans une interview accordée à Xinhua sur les enjeux actuels auxquels le bloc est confronté.
Selon lui, l'UE "trouvera les moyens de réagir, car elle est assez unanime pour moins dépendre des Américains". "Conforter l'euro est par exemple la condition de son indépendance monétaire, économique et politique. Ce n'est pas une bonne nouvelle d'avoir un président aussi imprévisible et enclin au populisme, mais les intérêts américains sont si importants en Europe qu'on peut espérer qu'il apprenne de lui-même à se modérer", prédit-il.
UNE ASIE STABLE EST DANS L'INTERET DE L'EUROPE
L'attitude américaine peut avoir un impact "positif" sur la relation sino-européenne, selon le président de la Fondation Robert Schuman qui souligne que "des discussions sont engagées entre la Chine et l'UE pour un accord de libre-échange et de protection des investissements". "La relation sino-européenne est bonne, mais l'UE souhaite que le marché chinois soit aussi ouvert aux investisseurs que l'est l'Europe pour les capitaux chinois", estime M. Giuliani.
"Les Européens sont plus ouverts aux produits chinois que ne le sont les Américains, mais l'UE recherche une meilleure réciprocité avec la Chine", selon lui.
"Sur le plan politique, les deux puissances ont des points de vues à partager sur les grandes questions mondiales (gouvernance, environnement, règlement des conflits) et une Asie stable est dans l'intérêt de l'Europe", explique Jean-Dominique Giuliani qui voit dans la relation entre la Chine et l'UE "de nombreux sujets propices à des échanges très concrets".
"Personne n'a intérêt à une guerre commerciale, surtout que l'UE demeure la première puissance commerciale du monde. L'Europe reste pour les Etats-Unis, comme d'ailleurs pour la Chine, le plus grand marché de consommation du monde et cela ne va pas changer d'un coup, même sans le Royaume-Uni", pense-t-il, soulignant que l'UE n'a d'ailleurs pas été très affectée par le Brexit.
"Sur le plan économique, l'année 2016 a montré que l'Union européenne s'est bien tenue, affichant le même taux de croissance que les Etats-Unis. Cette bonne résistance revient notamment à la Banque centrale européenne ainsi qu'à l'alignement des politiques économiques des plus grands pays", confie-t-il à Xinhua.
Mais M. Giuliani estime toutefois que "ce n'est pas encore suffisant", même s'il "y a des échéances électorales importantes cette année, notamment en France, où l'élection présidentielle pourrait apporter le chaînon manquant à une reprise plus soutenue ainsi qu'à une gouvernance de l'euro davantage respectée et renforcée".
"La seule grande économie européenne qui n'a pas procédé à des réformes importantes, c'est la France dont l'économie est certes toujours en croissance, mais moins que les autres, donc nous attendons une alternance politique qui devrait être une bonne nouvelle collective, pas seulement pour la France", souligne le président de la Fondation Robert Schuman.
L'un des enjeux politiques de l'UE, dont le Brexit résulte en partie, est la montée du populisme, une tendance qui ne touche pas seulement l'Europe, selon M. Giuliani qui note que "comme dans toutes les démocraties du monde, l'Europe est frappée par un sentiment de repli en réaction à la mondialisation qui a accru les inégalités et surtout aux progrès scientifiques, dont la numérisation qui change les chaînes de valeur, donc les emplois".
IMMIGRATION ET EUROSCEPTICISME, "ACCELERATEURS DU POPULISME"
Pour M. Giuliani, "les principales causes de la montée du populisme sont les évolutions scientifiques et technologiques" auxquelles sont confrontés de nombreux pays et "la Chine ne sera pas épargnée par ce genre de mouvement". Selon lui, l'Europe est plus exposée "du fait de sa proximité avec la Méditerranée et l'Asie centrale. La population de l'Afrique devrait doubler en 2050 et les conflits au Levant sont loin d'être résolus".
"Il y a aujourd'hui un effort considérable à faire en matière de formation, de reconversion et d'investissement dans les technologies futures un peu partout, même aux Etats-Unis, au Brésil, en Corée, au Japon. C'est une question beaucoup plus vitale pour l'Europe car l'unité de l'UE est inachevée, ce n'est pas un Etat et donc il est plus difficile de marcher tous du même pas pour avoir des résultats susceptibles de réduire les tendances au repli, au populisme, au nationalisme."
Autre thème majeur dans la campagne en faveur du Brexit, l'euroscepticisme qui "est l'autre prétexte" sur lequel s'appuient les populistes. "Il y a actuellement une sorte de fatigue de l'UE vieille de 70 ans, et donc manifestement, elle doit s'adapter aussi, car c'est une démocratie à deux niveaux ce qui pose des problèmes de légitimité, de gestion et d'acceptation des contraintes réglementaires. Immigration et euroscepticisme sont les deux accélérateurs du populisme en Europe", résume Jean-Dominique Giuliani.
Concernant l'élection présidentielle française de 2017, M. Giuliani fait le constat d'une "extrême droite au score très élevé dont le discours et la popularité des idées constituent un cocktail tout à fait dangereux".
D'après lui, les droites modérées européennes, notamment en France, en Allemagne et aux Pays-Bas (tous concernés par des échéances électorales en 2017), "développent des thèmes proches de l'extrême droite sans franchir la ligne rouge, comme vouloir réviser les accords de Schengen pour avoir un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'UE".
"Il y a là une influence importante de l'extrême droite sur les politiques de droite modérées en Europe et de toute façon tous les candidats à l'élection présidentielle française évoquent les questions de l'immigration et de la sécurité", relève le président de la Fondation Robert Schuman.
Interrogé sur le livre blanc publié récemment par Jean-Claude Juncker pour définir une nouvelle orientation de l'UE, M. Giuliani souligne que le président de la Commission européenne a eu "le mérite de présenter un tableau avec cinq scénarios sans prendre parti puisque l'UE est une union d'Etats souverains qui veulent rapprocher leurs peuples", ajoutant que "la balle est dans le camp des Etats et vraisemblablement, on verra quelle sera l'option retenue en fin d'année, après cette année électorale".
Selon lui, l'Europe à 27 est "très divisée" donc "il appartient à quelques Etats membres de montrer l'exemple en matière de défense, de sécurité et de gouvernance de la zone euro, qui devrait se renforcer pour que cesse ce doute sur sa pérennité".
"La création d'un 'secrétariat de l'euro', embryon d'un Trésor européen, d'un conseil de l'euro composé des ministres des Finances, un contrôle parlementaire de la politique économique (...) tout cela est déjà évoqué et pourrait voir le jour prochainement", dit-il à Xinhua.
Pour M. Giuliani, la question migratoire interpelle également les Etats membres. "Il y a sur ce sujet une coupure entre l'Est et l'Ouest de l'Europe. Certains ont été plus accueillants que d'autres! Il n'en demeure pas moins que beaucoup de progrès ont été faits en matière d'accueil des réfugiés, suite à la brutale vague venue de Syrie", estime-t-il.
Selon lui, le renforcement de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'UE (Frontex) "est une bonne chose", mais il faut "maintenant aller plus loin" notamment vers la création d'un "statut commun des demandeurs d'asile" et "développer une véritable politique commune de l'immigration. Ce ne sera vraisemblablement possible qu'avec quelques Etats membres. Il faut retrouver en la matière une vraie solidarité européenne".