Dernière mise à jour à 08h59 le 30/08
La déclaration conjointe adoptée à l'issue de la rencontre lundi à Paris entre dirigeants africains et européens acte le principe de l'identification des réfugiés "dès le territoire africain". Elle ne masque pas pour autant la paralysie européenne sur la question migratoire, source de tensions intérieures dans l'UE, tandis que la tragédie humaine se poursuit et que les routes migratoires se redessinent.
Les discussions de Paris ont réuni à l'Elysée, à l'invitation du chef de l'Etat français Emmanuel Macron, les présidents tchadien et nigérien, Idriss Déby et Mahamadou Issoufou, ainsi que le chef du gouvernement d'entente nationale libyen, Fayez al-Sarraj. Trois pays au coeur du transit de migrants d'Afrique et du Moyen-Orient vers les côtes européennes via la route dite "occidentale".
Côté européen, étaient présents la chancelière allemande Angela Merkel, les chefs de gouvernement italien et espagnol, Paolo Gentiloni et Mariano Rajoy, ainsi que la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. Rome et Madrid sont en première ligne dans la crise migratoire, a fortiori depuis que la fermeture de la route dite "orientale" qui passait par la Grèce via la Turquie.
Concrètement, cette rencontre qui se voulait un "mini-sommet" a accouché d'une seule annonce véritablement nouvelle: une "mission conjointe" sera prochainement envoyée au Niger et au Tchad afin d'identifier des demandeurs d'asile déjà listés par les humanitaires et leur permettre de rejoindre l'Europe de façon légale et sécurisée.
Dans la déclaration finale adoptée à l'issue de la réunion, les dirigeants européens et africains plaident pour une "approche globale de la migration et de l'asile" et évoquent une feuille de route visant à renforcer le soutien aux pays de transit en Afrique et à la lutte contre les trafics de migrants.
Cette déclaration finale reprend la distinction réfugiés/migrants économiques que les dirigeants européens n'ont de cesse de répéter, notamment pour des raisons de politique intérieure tant la question migratoire est devenue explosive dans leur opinion publique.
Le texte évoque des "missions de protection" consistant à identifier sous supervision du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, dès le Tchad et le Niger, les ressortissants "qui ont droit à l'asile" pour "les mettre en sécurité le plus rapidement" possible.
Mais il acte de fait le principe de "hot spots" -ces centres d'enregistrement et d'identification destinés à faire le tri entre migrants économiques et candidats au statut de réfugiés- délocalisés hors d'Europe.
Fin juillet, lors de la rencontre de Celle-Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) qu'Emmanuel Macron avait parrainée entre M. Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar, le président français avait émis d'idée d'ouvrir de tels hot spots en territoire libyen et provoqué une vive controverse en Afrique et dans les rangs des ONG.
Selon la déclaration finale adoptée lundi à Paris, il s'agit désormais de créer les conditions pour lancer les procédures d'asile en Afrique "dans des zones identifiées, pleinement sûres, au Niger et au Tchad, sous supervision du HCR". De là à parler de "sous-traitance par les Européens de la question migratoire", il n'y a qu'un pas que plusieurs observateurs et certains acteurs de ce dossier explosif n'hésitent pas à franchir.
Le Haut-commissaire de l'ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi, a d'ailleurs rappelé que "les mesures qui ont simplement pour objectif de limiter le nombre d'arrivées ne résolvent pas le problème de la migration forcée".
"Toute approche sensée doit inclure un ensemble de mesures fortes pour assurer une paix durable dans les pays affectés par les conflits ainsi que le développement économique et social dans les lieux d'origine", a-t-il insisté.
En la matière, la question du financement reste le nerf de la guerre, insistent les dirigeants africains. En 2015, lors du sommet sur la migration à La Valette (Malte), l'UE a mis sur la table 1,8 milliard d'euros via un fonds pour les pays africains. En juillet, elle a versé une aide de 10 millions d'euros au Niger pour lutter contre l'immigration clandestine, premier volet d'un programme décidé en 2016.
Sur la question migratoire, cependant, l'Union européenne ne parvient toujours pas à parler d'une seule voix. Pour couper les routes de l'immigration illégale transitant par la Méditerranée, un accord controversé avec la Turquie, en 2016, a conduit à la réduction des flux en Grèce.
Mais d'autres routes migratoires se dessinent, notamment du côté du Maroc et de l'Espagne. Selon le HCR, 7.642 migrants ont débarqué sur les côtes ibériques entre janvier et juillet 2016, soit trois fois plus que sur la même période, en 2015. Pour la seule journée du 16 août, près de 600 migrants ont accosté en Espagne.
Environ 800.000 migrants venant majoritairement d'Erythrée, de Somalie et du nord du Nigeria sont parqués dans des camps en Libye où ils sont victimes des trafiquants, des passeurs, des groupes armés et des forces de sécurité, a affirmé dans un rapport Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU. Des "violences extrêmes", a-t-il insisté, qui émanent de toutes les parties prenantes.
Le président Macron devrait par ailleurs annoncer ce mardi lors de la conférence des ambassadeurs la mise en place d'un conseil présidentiel pour l'Afrique.