Dernière mise à jour à 09h01 le 24/01
Peu de disciplines sportives sont aussi exigeantes que le patinage artistique. Le patineur désireux de lire un jour son nom dans un coin perdu d'un journal de sport doit d'une part, faire preuve de puissance, de souplesse, de dextérité, d'un bon sens du rythme, d'une bonne coordination, d'un sens de l'esthétique aiguisé et de précision, et d'autre part, consacrer d'innombrables heures à un entraînement extrêmement rigoureux. Pourtant, il faut bien l'admettre, en dépit de cette exigence extrême, en dépit de réunir presque tout ce qu'une discipline sportive peut offrir, le patinage artistique a globalement toujours été un sport marginal.
La Chine ne fait pas exception à la règle, même après avoir parcouru pas à pas le long chemin qui lui a permis de devenir un pays qui, à défaut de dominer le palmarès des médailles, a désormais largement sa place. Elle l'a démontré une fois de plus début novembre 2017 à Beijing où s'est disputée la Coupe de Chine, l'une des six épreuves du Grand Prix ISU, un championnat international qui se déroule chaque année. Sur la glace scintillante de la capitale chinoise, face à des gradins malheureusement à moitié vides, c'est le jeune tandem chinois, formé par Sui Wenjing et Han Cong, tous deux originaires de Harbin dans la province septentrionale chinoise du Heilongjiang, qui a remporté l'épreuve de patinage en couple. Champions du monde en titre, ils semblent aspirer sérieusement à conserver leur titre en Italie au mois de mars.
Et pour le couple, cela viendra seulement un mois après un autre grand défi : remporter l'or olympique à Pyeongchang, en République de Corée où vont se dérouler les Jeux olympiques d'hiver 2018. Cette fois, ils visent très haut, et leur entraîneur Zhao Hongbo, premier patineur chinois à avoir remporté l'or olympique, le sait mieux que personne.
Une médaille d'or longtemps rêvée
On a déjà vu des patineurs chinois remporter des médailles olympiques et le patinage chinois n'a pas manqué de s'en réjouir, mais c'est évidement incomparable avec le bonheur qu'a procuré la victoire du couple formé par Shen Xue et Zhao Hongbo lorsqu'il a décroché l'or aux Jeux de Vancouver en 2010. Une médaille historique pour une victoire épique que Shen a remportée malgré une lésion douloureuse qui ne l'a pourtant pas empêchée de réaliser une performance remarquable.
Cette journée mémorable à Vancouver a ouvert à la Chine les portes du monde de l'élite du patinage. Et cela pas seulement grâce à l'or de Shen et Zhao, mais aussi grâce à l'argent remporté par le duo formé par Pang Qing et Tong Jian. La Chine a même failli décrocher la médaille de bronze, ce qui aurait marqué un jalon historique. Malheureusement, le couple Zhang Hao et Zhan Dan a commis une erreur au moment de réaliser un double axel combiné à un triple saut de boucle piqué.
Si quelqu'un peut bien se remémorer ce championnat avec un peu de fierté, c'est Yao Bin, considéré comme le père du patinage artistique chinois. On lui doit une bonne partie des succès remportés par les patineurs chinois car c'est lui qui, dans l'ombre, supervise l'entraînement des couples. Pour comprendre la portée de la prouesse réalisée à Vancouver, il faut se rappeler que la Chine a réussi à mettre fin à 46 années de domination russe dans la catégorie patinage en couple. Les patineurs soviétiques et russes avaient décroché douze médailles d'or olympiques consécutives entre les Jeux de 1964 et les Jeux de 2010. Et c'est la Chine qui a coupé court à cet élan remarquable.
L'histoire de Yao Bin a une importance particulière car elle est intimement liée à l'histoire du patinage artistique chinois. Il n'a probablement pas oublié son échec aux mondiaux de 1980 alors qu'il concourrait avec sa partenaire Luan Bo. Le duo chinois n'a pas réussi à garder l'équilibre pendant sa présentation, ce qui n'a pas manqué de susciter les rire des supporters. Ils ont terminé derniers, place qu'ils ont conservée lors des deux mondiaux suivants. Aux Jeux olympiques de Sarajevo, en 1984, ils ont fini 15e.
Pourtant, le mérite de ce couple est immense. Dans une Chine encore renfermée sur elle-même où les images ne leur parvenaient pas, sans entraîneur et sans équipements, ils se sont raccrochés au peu de photos de patineurs occidentaux qu'ils avaient réussi à obtenir pour s'entraîner, dans leur ville natale de Harbin, à imiter leurs mouvements fascinants. Comme nous l'avons dit, ils n'ont jamais remporté de victoire. En tout cas, pas sur la glace.
Yao a décidé de persévérer. Il a fait le choix de se consacrer aux générations à venir, et, petit à petit, il a laissé son empreinte sur le patinage chinois et progressivement, ses patineurs sont entrés en compétition avec les patineurs de haut niveau, se distinguant notamment par leur technique irréprochable, et surtout par leur capacité à prendre des risques et à repousser leurs propres limites. Tant d'audace et de courage ont fini par porter leurs fruits avec la victoire de Vancouver. Trente ans après son entrée sur la scène du patinage artistique international en tant que patineur, Yao aura finalement réussi à faire reconnaître son talent et celui de ses jeunes.
"Ce n'est pas seulement notre médaille, c'est celle de toute l'équipe du patinage artistique chinois", a d'ailleurs déclaré Shen, arborant sa médaille autour du cou, juste avant de se retirer du sport professionnel après ses quatrièmes Jeux olympiques. "Beaucoup de gens nous ont aidé et ont fait des sacrifices incroyables pour nous", a-t-elle ajouté. "Nous avons réussi. Nous avons fini par décrocher l'or olympique. Nous avons persévéré et nous avons triomphé. Vive la Chine !", s'est exclamé son compagnon Zhao Hongbo qui, à 36 ans, est devenu le plus vieux patineur à remporter l'or olympique depuis 1920.
Perpétuer l'esprit de Yao
Aujourd'hui à la tête de l'équipe nationale, Zhao Hongbo voit dans les Jeux de Pyeongchang l'opportunité de faire grandir sa légende et de continuer ainsi à faire vivre l'esprit rebelle de Yao s'il réussit à pousser ses jeunes à remporter l'or. Pour le moment, les patineurs sont entièrement focalisés sur les Jeux d'hiver en Corée du Sud, peu importe ce qui adviendra ensuite en Italie. En fin de compte, l'opportunité de remporter des mondiaux se présente chaque année. Remporter une médaille olympique représente quatre années d'attente.
Avant la Coupe de Chine qui s'est déroulée début novembre 2017 à Beijing, Zhao avait déjà annoncé que le programme présenté par ses patineurs serait très proche de celui qu'ils présenteraient aux Jeux de Pyeongchang. "Nos patineurs doivent maîtriser ce programme à la perfection. Ensuite, nous ajusterons le programme avec quelques petits changements", a déclaré Zhao.
Un programme complet qui inclut tous les mouvements, un quadruple particulièrement difficile et de hautes élévations, et qui nécessite une synchronisation parfaite et beaucoup de rapidité. Et malgré une chute de la patineuse alors qu'elle réalisait un triple parallèle, unique erreur de la présentation, le couple est quand même arrivé sur la plus haute marche du podium. Qui plus est, au rythme de la musique de Turandot, un opéra du compositeur italien Giacomo Puccini, sur lequel Shen Xue et Zhao Hongbo avaient conquis l'or en 2010 à Vancouver, comme un clin d'œil au destin.
Mais la Chine possède d'autres atouts. Dans la catégorie de patinage en couple, Sui Wenjing et Han Cong sont suivis de près par Yu Xiaoyu et Zhang Hao qui ont obtenu la deuxième place à Beijing et qui visent également le podium, bien qu'a priori, l'expérience et les programmes présentés jusqu'à maintenant par la plupart des couples indiquent que les canadiens, les allemands ainsi que les russes peuvent également y prétendre.
La Chine n'ayant manifestement aucune chance dans les catégories danse sur glace et patinage individuel pour dames, il lui reste cependant une possibilité de remporter une médaille dans la catégorie patinage individuel pour hommes avec Jin Boyang, célèbre depuis ses 20 ans pour ses sauts spectaculaires. Soutenu par la célèbre chorégraphe canadienne Lori Nichol, Jin n'est pas encore à la hauteur du japonais Yuzuru Hanyu qui demeure bel et bien le plus grand patineur de tous les temps, mais il a les capacités de rentrer en Chine avec l'argent ou le bronze.
En Chine comme partout dans le monde, on ne peut malheureusement que constater un manque d'engouement pour un sport injustement marginalisé. Mais cela n'empêche pas les aficionados du patinage, qui apprécient à sa juste valeur le plaisir esthétique unique procuré par cette discipline, d'attendre avec impatience les Jeux de Pyeongchang 2018 en espérant voir à nouveau leurs héros nationaux atteindre la plus haute marche du podium. Une médaille d'or qui viendrait couronner presque quatre décennies d'efforts titanesques et d'investissement pour que les patineurs chinois trouvent enfin leur place aux côtés des élites mondiales.