Au Tchad, le processus électoral en cours se retrouve dans une nouvelle impasse: la classe politique se divise sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et le choix de l' opérateur du fichier biométrique, ce qui risque d'allonger un retard déjà trop long dans le calendrier électoral et dont la majorité et l'opposition se rejette la responsabilité.
Depuis plusieurs mois, la désignation des membres de la CENI dans les régions et les départements, ne cesse de diviser la classe politique. Petits comme grands, les partis politiques de l' opposition comme ceux de la majorité veulent placer un ou plusieurs membres au sein d'une CENI régionale ou départementale.
"Par le passé, c'est la CENI qui supervisait la désignation des membres de ses démembrements. A cette époque, il y avait eu moins de querelles. Mais comme le pouvoir a demandé à chaque parti politique de désigner ses représentants, ainsi la lutte a éclaté", explique Ali Gabriel Golhor, porte-parole adjoint de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), l'aile importante de l'opposition.
C'est dans ce cafouillage que trois listes ont été envoyées au Cadre national pour le dialogue politique (CNDP) par la CPDC et deux autres regroupements de l'opposition.
Le CNDP, organe paritaire composé par la majorité et l' opposition et comprenant également des personnalités de la société civile, devra choisir une des trois listes ou en faire une synthèse, ce qui ne manquera pas de provoquer des contestations.
Au sein de la majorité, le Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir depuis 24 ans) et ses alliés ne parlent pas non plus le même langage. Le parti présidentiel veut avoir dans chaque démembrement trois places. Or, selon la liste apprêtée par la majorité, il est attribué de façon systématique deux places au MPS.
Même les noms donnés par la société civile pour présider les démembrements sont contestés par le parti au pouvoir qui en propose d'autres.
A ces querelles interminables sur la représentation aux différentes CENI s'ajoute une nouvelle brouille sur le choix de l' opérateur technique qui sera chargé d'élaborer le fichier électoral biométrique.
En juin 2014, le gouvernement tchadien avait mis 500 millions CFA (environ 1 million USD) à la disposition du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour l'étude de faisabilité de la biométrie. L'agence onusienne avait aussitôt lancé un appel d'offres pour le recrutement d'un bureau d'études pour la réalisation de l'étude sur la biométrie. Les résultats de l'étude sur la biométrie permettront à la CENI d'établir les chronogrammes du recensement biométrique et des différentes opérations électorales.
Mais à peine le PNUD a-t-il fini de dépouiller les offres que Pahimi Padacké Albert, président du CNDP, et Adoum Younousmi, ministre tchadien des Infrastructures, agissant au nom de son collègue du Plan et de la Coopération internationale, sont montés au créneau, le mois dernier, pour émettre des réserves sur un cabinet soumissionnaire parti pour gagner le marché.
Les deux personnalités se basent sur des informations glanées sur internet du côté de la Côte d'Ivoire et de la France, faisant état d'une probable collusion de ce dernier avec un opérateur technique de biométrie.
"Nous voulons juste attirer l'attention du PNUD sur un éventuel dérapage", a déclaré le président du CNDP, précisant que sa lettre ne lie pas le PNUD mais qu'il faut éviter toute suspicion.
Face à ces réactions, le PNUD pourrait récuser le cabinet pressenti, ce qui conduirait inévitablement à un énième retard dans ce processus. Des retards dont la majorité et l'opposition se rejettent la responsabilité.
Pour le président tchadien Idriss Déby Itno, c'est la faute à la classe politique, mieux à son opposition. "L'opposition démocratique a peur de perdre les élections. C'est pourquoi elle ne veut pas y aller", a-t-il déclaré lors de sa traditionnelle rencontre avec la presse, le 10 août 2014, veille de l' anniversaire de l'indépendance.
Mais au sein de l'opposition, l'on estime que le processus est torpillé depuis longtemps par le gouvernement avec la révision de la loi électorale, suivie de la contestation du premier président de la CENI et du refus du gouvernement d'assurer la vulgarisation de l'Accord politique du 2 avril 2013. "Le retard est sciemment causé par Déby et son gouvernement puisqu'il est le premier ordonnateur", précise Clément Djimet Bagaou, porte-parole d'un autre regroupement de partis de l'opposition.
"Le gouvernement est le premier responsable du blocus et de tout ce qui arrive", renchérit Ali Gabriel Golhor, par ailleurs vice-président du Cadre de dialogue politique. Le porte-parole adjoint de la CPDC accuse le chef de l'Etat de multiplier les obstacles pour déstabiliser l'opposition.
Au cours d'une réunion conjointe tenue la semaine dernière, les membres de la CENI et du CNDP n'ont pas caché leur mécontentement et se sont interrogé sur l'issue du processus. Tout le monde est d' accord qu'il est impossible de tenir les élections locales en 2014.Beaucoup, à l'instar du président du CNDP, restent sceptiques sur l'organisation des législatives en 2015.
Même le président Déby Itno l'a reconnu en août dernier: les élections locales (régionales et départementales) ne pourront pas avoir lieu cette année. Mais les élections législatives de 2015 et la présidentielle de 2016 doivent être organisées aux dates prévues, "au risque de créer un vide juridique", a-t-il prévenu.