Moins de trois semaines après la série d'attentats-kamikazes qui ont frappé la capitale tchadienne, N'Djamena, les députés tchadiens ont adopté jeudi un projet de loi très controversé qui réprime sévèrement les auteurs ou complices des actes de terrorisme.
La "loi portant répression des actes de terrorisme", votée après une dizaine d'heures de débats, punit de la peine de mort toute personne qui commet un acte terroriste, le finance ou qui procède au recrutement et/ou à la formation des personnes en vue de leur participation aux actes de terrorisme, quel que soit le lieu de commission.
Le projet de loi initial déposé par le gouvernement avait prévu la réclusion à perpétuité comme peine maximale. Mais la commission parlementaire chargée d'étudier le texte, a jugé la prison à perpétuité comme une "peine trop clémente" et remplacé par la peine de mort.
"A grand mal, de grands remèdes", affirme Moussa Kadam, premier vice-président de l'Assemblée nationale.
La loi prolonge le délai de garde à vue à 15 jours renouvelable une ou deux fois sur autorisation du procureur de la République. Elle prévoit, par ailleurs, l'exemption de poursuite et la protection des témoins, l'imprescriptibilité de l'action publique et les peines prononcées par les juridictions compétentes.
"Au-delà de la ratification des instruments internationaux de lutte, notre pays doit pouvoir disposer, au niveau national, des instruments juridiques solides et cohérent lui permettant de renforcer ses moyens de lutte de répression contre les actes de terrorisme dont il serait l'objet", déclare Abdérahim Birémé Hamid, ministre tchadien de l'Administration du territoire et de la Sécurité publique.
L'adoption de cette loi intervient dans un contexte de menace constant après l'attentat perpétré par un kamikaze déguisé en femme portant une burqa, le 11 juillet au marché central de N'Djaména, qui avait fait 16 morts et 80 blessés dont 4 dans un état grave.
Le 15 juin, deux attentats quasi simultanés contre l'Ecole nationale de police et le Commissariat central de la même ville, avaient déjà fait 38 morts (y compris les trois kamikazes) et une centaine de blessés. Une perquisition policière dans un repère terroriste, deux semaines plus tard, avait également fait onze autres victimes (six kamikazes et cinq policiers).
Toutes ces attaques ont été revendiquées par la secte islamiste nigériane Boko Haram contre laquelle le Tchad et les pays voisins ont lancé une offensive militaire depuis le début de l'année en cours.
"La recrudescence de l'insécurité résultant des actes terroristes de tous bords et particulièrement de la nébuleuse Boko Haram, appelle des réponses appropriées et urgentes de tous les Tchadiens", indique Moussa Kadam.
Il est nécessaire pour le gouvernement, selon lui, de se doter d'un arsenal juridique répressif, au niveau tant législatif que réglementaire, pour combattre avec efficacité et promptitude, dans la légalité et le respect de la dignité humaine, tout acte, tout comportement individuel ou collectif visant à porter atteinte à la sécurité et à la stabilité des institutions républicaines ou à mettre en péril la vie des concitoyens.
Dans la classe politique et la société civile, c'est la déception et de vives critiques. Ce qui inquiète d'abord, c'est la définition même du "terrorisme" retenue, un "fourre-tout qui peut servir à tout". Finalement, cette définition controversée a été abandonnée au profit de celle retenue par l'Union africaine depuis 1999.
On dénonce également les dérives liberticides de la loi, notamment l'article 14 qui assimile à un acte de terrorisme "l'intention de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation des services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations, de créer une insurrection générale dans le pays".
Le week-end dernier, face à la presse, la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), le plus important regroupement des partis de l'opposition, dénonce "une loi confuse, une loi liberticide, une loi de trop et qui ne résoudra pas le problème du terrorisme au Tchad".
"Cette loi a été conçue dans la précipitation non pour contenir et solutionner le terrorisme, mais pour prévenir et punir les mécontentements populaires. Au lieu de punir les actes, elle punit les opinions. Or, les opinions sont du domaine des libertés protégées par la Constitution. C'est donc une loi anticonstitutionnelle, notamment par la violation flagrante des dispositions du préambule et de l'article 27 de la loi fondamentale", déclare Ali Gabriel Golhor, porte-parole de la CPDC.
Même dans les rangs de la majorité présidentielle, les critiques ont fusé. L'ancien Premier ministre Kassiré Delwa Coumakoye, allié du président Déby, a dénoncé une "loi inutile".
"Il n'y a pas d'intention cachée. Il n'y a pas de piège dans ce projet de loi", répond Abdoulaye Sabre Fadoul, ministre Secrétaire général du gouvernement chargé des relations avec l'Assemblée nationale. Pour montrer sa bonne foi, le gouvernement a accepté un amendement à l'article 14 très controversé qui promet que tout se fera "sous réserve du respect des libertés fondamentales".
Ce qui est loin de rassurer les détracteurs de la loi. "Au nom de la sécurité, nous ne pouvons pas brader la liberté", conclut Romadoumngar Nialbé Felix, président du groupe parlementaire URD.