Dernière mise à jour à 16h02 le 01/12
François Hollande lors du Sommet franco-chinois Economie et Climat à Beijing. |
Le cœur du problème : qui contrôlera ?
Mais aujourd'hui le problème est ailleurs. Le sommet de Copenhague s'est soldé par un échec suite au boycott collectif des pays du Sud contre le plan de réduction des émissions, élaboré secrètement par les pays du Nord, qu'on voulait leur imposer. De nouveaux éléments ont depuis fait leur apparition autour de ces questions. À Copenhague, par exemple, les divergences portaient sur trois points : S'agit-il d'un changement ou d'un réchauffement climatique ? Quelle est l'origine de ce changement, résulte-il des activités humaines ou de phénomènes naturels ? Entraîne-t-il des conséquences désastreuses ou heureuses ? Aujourd'hui, la question importante est tout autre. Le problème se pose à mon avis de la façon suivante : 1. Qui contrôlera les émissions polluantes ? 2. Qui mettra en œuvre le mécanisme contraignant et supranational de la clause de révision tous les cinq ans dans les pays signataires ?
Comme l'a souligné le président Hollande, la COP21 n'est pas seulement une conférence sur le climat, c'est aussi une affaire politique, une question de rééquilibrage des injustices du monde actuel et une question touchant à la construction d'un nouveau mode de développement mondial. Il y a là, on le voit, bien d'autres problèmes que celui du climat.
Qui sera qualifié pour prendre en charge la vérification des émissions de CO2 ? C'est évidemment là une question technique. Mais elle est étroitement liée à la deuxième, qui est celle de la clause de révision juridiquement contraignante par tranche de cinq ans. Si le président Hollande a effectivement obtenu, lors de son voyage en Chine, un engagement ferme sur cette question de principe, le principal obstacle à la conclusion d'un accord à ce sujet lors du sommet à Paris sera alors les États-Unis. Ces derniers ont jusqu'ici rejeté tout mode juridiquement contraignant. La raison en est qu'en acceptant une révision, le pays cède une partie de sa souveraineté : accepter que des mesures juridiquement contraignantes s'exercent par une autorité extérieure. On a remarqué que dans les négociations sur l'accord de Partenariat transpacifique (TPP) et celles de l'accord de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TIPP), des négociations dominées par les États-Unis, ces derniers ont non seulement accepté volontiers le fameux mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), une clause spécifique et centrale de ces accords, mais encore cherché à persuader les autres pays signataires de l'accepter. Ce mécanisme créerait un arbitrage international auprès duquel des sociétés multinationales pourraient remettre en cause les choix du législateur étatique et les jugements rendus par ses juridictions. Si les États-Unis ont accepté cette clause « juridiquement contraignante », c'est tout simplement parce que les institutions d'arbitrage se trouvent pratiquement toutes sur le territoire américain (à Washington et New York notamment). Les États-Unis se sont trouvés au banc des accusés plus d'une dizaine de fois par le passé, mais ils ont obtenu gain de cause à chaque fois. D'autres pays n'ont pas eu cette chance et ont perdu chaque procès. L'exemple le plus frappant est l'affaire qui a suivi la plainte d'une compagnie américaine du tabac contre le gouvernement australien. Afin de lutter contre les effets nocifs du tabac sur la santé publique, ce dernier avait adopté une loi disposant que le paquet de cigarettes devait porter la mention « Fumer nuit à la santé » mais plus la marque commerciale des cigarettes. Pour revenir à la question du climat, malgré tous les avantages dont ils se sont déjà dotés (par exemple, les deux plus importantes bourses du carbone se trouvent respectivement à Chicago et à Londres), les États-Unis craignent tout de même de ne pas contrôler le processus de révision dans son intégralité. Il est donc fort probable que le Congrès américain rejettera ce mécanisme.
Mais ce mécanisme de révision dépassera les limites de la souveraineté nationale. La Chine est placée devant un problème extrêmement délicat : après avoir autant souffert d'être privée de sa souveraineté pendant deux siècles, peut-elle aujourd'hui se conformer à une convention internationale tout en préservant sa souveraineté contre des atteintes délibérées ? La Chine avait fait des concessions similaires lors des négociations en vue de son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mais sa souveraineté (droit du commerce et droits d'édicter des lois internes) n'a pas été lésée, tous les arrangements commerciaux devant se conformer aux lois chinoises en vigueur. La Chine n'a pas participé aux négociations du TPP, et pour cause. À mon avis, l'enjeu est ici le même pour la Chine : accepter ou non les conclusions de la COP21 de Paris. Lorsque cet article sera publié, on connaîtra déjà le résultat final du sommet de Paris. Nous lui souhaitons un plein succès, mais nous espérons en même temps que le principe des responsabilités communes mais différenciées préconisé par la Chine sera respecté et que la souveraineté chinoise sera préservée.
Depuis le début du XXIe siècle, aucun autre sujet n'a soulevé autant de controverses que le réchauffement climatique. Avec l'approche de la COP21 à Paris, la polémique enfle une fois de plus. Par rapport à celles qui opposaient les pays participants au sommet de Copenhague en 2009, notamment sur la répartition des responsabilités et des contributions, qui soulignait le conflit entre les intérêts des pays en développement et ceux des pays développés, il n'y a aucun doute que des avancées ont été enregistrées. Les pays développés se sont engagés à donner davantage d'argent, tandis que les émergents comme la Chine ont promis d'accélérer la réduction de leurs émissions polluantes. Cependant, à ce jour, la plupart des engagements financiers sont restés des vœux pieux. Aujourd'hui, hormis les deux points clés mentionnés, quatre grands sujets restent sur la table, à savoir : objectifs de réduction des émissions de CO2, répartition équitable des responsabilités et des obligations, plan d'action concret et financement post-2020. En d'autres termes, les discussions sont passées des principes vers les détails. Le plus important étant de savoir, comme je l'ai dit plus haut, qui se verra confier la mission de révision qui concerne la souveraineté des pays. Si elle échoit conjointement aux pays développés et en développement, il y a un espoir de la voir réussir. Si elle est au contraire réservée aux seuls pays développés, l'espoir d'une réussite est mince, et je ne vois pas de raison pour la Chine d'y consentir.
S'il est vrai, comme l'affirme le GIEC, que la question du climat est d'une importance capitale qui conditionne l'avenir de l'humanité, l'enjeu est planétaire et appelle par conséquent une réponse planétaire. Dans ce cas, nous comprendrons pourquoi des scientifiques français comme Jacques Attali, Hervé Kempf et d'autres ont proposé à maintes reprises l'établissement d'un gouvernement mondial. Résoudre des problèmes d'ordre mondial requiert un gouvernement mondial qui apporte des solutions globales. Mais comment procéder pour constituer ce gouvernement mondial ? Pour remplacer l'ONU, dans un monde où les pays sont si différents les uns des autres, présentent de tels écarts de développement, et s'opposent dans de violents conflits ? Est-ce finalement le règlement de la question du climat qui appelle la naissance d'un gouvernement mondial, ou est-ce le besoin d'un gouvernement mondial qui a fait naître la question du réchauffement climatique ? Nous ne pouvons pas ne pas poser la question. Car à mon sens ce sujet n'est pas, loin de là, étayé par des démonstrations scientifiques suffisantes. Bien d'autres questions se posent. Et avant d'avoir des réponses convaincantes à ces questions, nous devons faire preuve de prudence dans la prise de décision.
*ZHENG RUOLIN, ancien correspondant à Paris du quotidien Wenhui Bao de Shanghai.