La campagne nationale de la planification familiale lancée par le gouvernement sénégalais se heurte à une opposition feutrée, voire une résistance de certains religieux musulmans et chrétiens.
Les autorités ont beau éviter d'attaquer de front le problème en parlant plus de la nécessité pour les femmes d'espacer les naissances et d'éviter les grossesses rapprochées, que de planification et de démographie galopante, aucune des formules choisies n'agrée tous les religieux et une partie de la population.
La campagne de planification lancée la semaine dernière pour une durée de dix mois, n'est pas la première au Sénégal où la contraception est encouragée depuis plusieurs décennies avec des résultats mitigés.
Le pays compte actuellement 14 millions d'habitants à 95% musulmans et son taux de croissance démographique double tous les 25 ans. Aussi, le recours à la contraception constitue-t-il un défi majeur. Une enquête menée en 2010-2011 indique que seul 12% des femmes en union utilisaient une méthode moderne de contraception.
Cette situation s'explique par le statut de la femme, son faible pouvoir de décision et d'instruction, l'implication insuffisante des hommes, le manque d'information sur les avantages qu'offrent les services de planification familiale mais aussi et surtout les pesanteurs socioculturelles.
Pour changer la donne, les autorités sanitaires sénégalaises visent un taux de prévalence contraceptive de 29% à l'horizon 2015, grâce à une promotion de la planification familiale comme priorité nationale en vue d'une réduction rapide de la mortalité maternelle et infantile.
Mais cette initiative est dénoncée par une frange de la société sénégalaise, notamment par la communauté musulmane même si celle-ci n'affiche pas une unanimité sur la question.
Le Réseau Islam et population (RIP) estime que "l' islam autorise tout ce qui peut contribuer à l'épanouissement de l'être humain sauf s'il existe un texte l'interdisant explicitement".
Dans un document intitulé "Argumentaire islamique sur l'espacement des naissances", le RIP s'appuie sur des raisons d'ordre sanitaire, social et économique pour soutenir la pratique de l'espacement des naissances. Il s'agit de la crainte de tomber enceinte pendant l'allaitement, le désir de sauvegarder la beauté de la femme, la recherche d'un équilibre et d'un bien-être social, le manque de ressources pour subvenir aux besoins de son enfant.
Toutefois, le RIP souligne que la planification est interdite par l'islam, si c'est une volonté du gouvernement plutôt que celle du couple.
Le courant musulman opposé à la planification n'est pas structuré. Il est porté par certains prêcheurs et islamologues très écoutés sur les ondes des radios, comme l'imam Alioune Sall. Très catégorique, ce dernier affirme que "l'islam n'autorise pas et n'a jamais autorisé la planification familiale".
Selon lui, ce serait "une grave erreur de planifier par souci économique, par peur de naissances rapprochées ou pour être en bonne santé entre autres".
Ce même argument est partagé par l'Eglise catholique sénégalaise. L'abbé André Latir Ndiaye déclare que l'utilisation des moyens contraceptifs artificiels est interdite par la religion catholique.
"La planification familiale n'est autorisée que si c'est naturel et dans le mariage. L'utilisation des moyens contraceptifs artificiels est interdite", prêche l'homme d'église.
A l'image des religieux, les avis des femmes sont également partagés au sujet de la planification familiale. Ainsi, Aïssatou Doro Diallo, étudiante à l'Université de Dakar, mariée depuis cinq ans, indique qu'elle pratique depuis trois ans la planification familiale avec l'autorisation de son mari commerçant. "On veut espacer les naissances pour me permettre de poursuivre mes études", explique-t-elle.
A son opposé, Fatim Diop écarte toute méthode de la planification familiale. Mère d'une fille de 19 mois, cette femme au foyer, habitant Yarakh (banlieue de Dakar), est déjà enceinte.
"Les méthodes contraceptives ne sont pas sûres. Elles causent des maladies. Mais aussi ma religion l'interdit", souligne-t-elle.
Face à cette situation, les autorités sénégalaises optent pour campagne de conscientisation et d'information des populations sur les risques des grossesses rapprochées.
Selon le ministère de la Santé, il s'agit de "voir en fonction de notre culture, de nos religions et de nos valeurs les meilleurs messages pour réussir le programme de planification" et d'obtenir le soutien des maris à leurs épouses pour le succès de la campagne dont la caravane va sillonner toutes les régions du pays.