Dernière mise à jour à 08h28 le 27/11
L'Europe et la Chine doivent mieux apprendre à se connaître et mobiliser les capitaux dans leurs territoires respectifs pour développer leur capacité de travail, considère, dans un entretien récent accordé à Xinhua, l'ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, pour qui l'initiative chinoise "La Ceinture et la Route" (souvent appelée "la nouvelle Route de la Soie") est une occasion de travailler très concrètement sur des projets d'intérêts communs". Il nourrit l'espoir que le voyage du président Emmanuel Macron à Beijing, prévu début 2018, permette aux dirigeants français de "toucher du doigt la nouvelle réalité chinoise".
"Nous sommes dans un temps où il faut apprendre à travailler ensemble. Le principal problème du monde dans lequel nous entrons, c'est que trop d'Européens et d'Américains ignorent la réalité chinoise, trop de Chinois ignorent la réalité occidentale, et trop peu mesurent combien ils peuvent apprendre les uns des autres", relève M. de Villepin, également ancien ministre français des Affaires étrangères.
"La nouvelle Route de la soie est une occasion de travailler très concrètement sur des projets d'intérêts communs. Ce projet a d'abord une ambition économique et technologique qui vise à élever le niveau de ces pays en leur permettant de mieux répondre aux problèmes des populations. Cette ambition économique a des répercussions très favorables d'un point de vue politique et culturel, notamment pour mieux lutter contre les risques d'instabilité, l'islamisme, le terrorisme, [...] établir des liens et nourrir des dialogues", résume l'auteur de "Mémoire de paix pour temps de guerre", ouvrage publié en 2016 (en cours de traduction en chinois).
"Il faut travailler ensemble à travers les institutions qui ont été créées de façon spécifique par la Chine en liaison avec tous les pays concernés. La Banque asiatique pour le développement des infrastructures et des investissements a, à sa tête, un dirigeant de grande qualité, qui a vocation à donner vie à des projets d'intérêts communs", estime le diplomate devenu conférencier, désormais à la tête de Villepin International, société de conseil en management et en stratégie, qui se rend très souvent en Chine.
"La France, comme la plupart des pays européens, participe au capital de la banque. Ce que je souhaite, c'est que l'on puisse très rapidement passer à la phase opérationnelle pour choisir des projets, avec les outils dont dispose l'UE (la Banque européenne de développement, le Fonds Juncker...)", ajoute M. de Villepin, qui siège depuis 2015 au comité international du fonds d'investissement chinois China Minsheng.
"Dans des pays se développe une certaine peur face aux investissements chinois, nombreux et importants, qui donnent parfois de l'inquiétude à certains entrepreneurs ou dirigeants européens. Il ne faut pas céder à la peur et trouver le bon moyen de travailler avec exigence avec nos partenaires économiques et politiques chinois", juge-t-il.
"La Chine a longtemps été désireuse d'avoir systématiquement la majorité dans les projets et dans les entreprises dans le cadre d'achats ou de fusions-acquisitions en Europe. Aujourd'hui, elle montre qu'elle est prête à avancer progressivement avec des logiques de projets avec des entreprises. Il faut être ouvert et voir comment nous pouvons travailler ensemble, non seulement en Europe mais aussi sur des projets triangulaires entre l'Europe, la Chine et des pays africains, en associant nos savoir-faire et nos compétences", poursuit M. de Villepin.
Interrogé par Xinhua sur l'avenir des relations entre Paris et Beijing, l'ancien secrétaire général de l'Elysée répond que l'arrivée sur la scène internationale d'Emmanuel Macron contribue à "remettre sur la table un certain nombre de ces grands sujets pour mieux travailler ensemble". "Il est important que les dirigeants français touchent du doigt la nouvelle réalité chinoise, l'enthousiasme, la volonté d'aller de l'avant qui existe du côté chinois, pour mesurer l'ensemble des opportunités de travail", ajoute-t-il.
"Il nous faut trouver ensemble des réponses sur les sujets qui inquiètent comme les marchés publics, ou les insuffisances de transparence du côté de certaines entreprises d'Etat, et préempter ces difficultés", précise-t-il.
Interrogé par Xinhua sur la voie de développement chinoise, Dominique de Villepin estime que "la Chine, compte tenu de son histoire, de sa culture et de sa taille économique et démographique, est un modèle qui est difficilement reproductible. C'est un modèle adapté aux réalités de la Chine".
"La Chine essaie en permanence d'innover et d'inventer tout au long des années en apportant des réponses à toute sorte d'inquiétudes qui peuvent s'exprimer dans sa population. La prise de conscience environnementale en est un exemple. Tout comme l'évolution de son modèle technologique: la Chine a beaucoup appris du modèle occidental et aujourd'hui elle avance sur son propre chemin. C'est particulièrement vrai dans le domaine du numérique. Il y a là une voie chinoise qui peut nourrir notre propre réflexion", souligne-t-il.
"Il y a des leçons à tirer sur un mode de gouvernement qui ancre la nécessité de s'inscrire dans le temps long. Le mouvement de planification est très organisé et très structuré en Chine. Nous devons, nous en Europe, être capables d'inoculer dans notre travail quotidien plus de temps long, plus de prévoyance, d'anticipation et de planification", ajoute l'ancien diplomate.
"La feuille de route du Congrès en appelle à la fierté des Chinois, à leur confiance dans la réconciliation entre la tradition et la modernité, dans l'affirmation du rôle unitaire de l'Etat et du rôle structurant du Parti communiste pour mobiliser l'ensemble de la société. Nous devons, nous, en Europe, être capables de mobiliser l'ensemble de nos forces, les régions, l'Etat-nation et l'échelon européen", poursuit-il.
Interrogé sur les craintes d'un hypothétique "nationalisme chinois", Dominique de Villepin répond: "Je crois davantage à une Chine fidèle à sa tradition d'Empire du Milieu et qui, aujourd'hui, prend conscience de ses responsabilités et veut les assumer, qu'à un risque d'impérialisme chinois".
"Toute tentation d'unilatéralisme est dangereuse, on l'a vécu avec les Etats-Unis. Il ne faut pas vivre, chacun dans notre coin, notre ambition et notre vision. Il faut essayer d'interpénétrer, d'interconnecter, d'associer et de marier nos talents", conclut Dominique de Villepin.