Dernière mise à jour à 08h43 le 09/10
Chaque après-midi, Cao Fuchun se rend dans un bureau de livraison express voisin pour voir s'il a reçu des colis. Ce retraité a attrapé le virus "haitao".
Pour M. Cao, acheter sur Internet des marchandises venues de l'étranger ("haitao" en chinois) signifie qu'il peut faire des achats dans des pays dont il n'a jamais entendu parler auparavant.
Habitant à Pengzhou, un district près de Chengdu, dans la province chinoise du Sichuan (sud-ouest), M. Cao a acheté du lait écrémé australien, du boeuf argentin et un filtre à eau allemand, entre autres produits étrangers.
Fin 2014, la fille de M. Cao, comptable à Beijing, a acheté des capsules d'huile de poisson et des comprimés de vitamines fabriqués aux Etats-Unis pour ses parents. "J'ai été surpris par le caractère abordable de ces produits, et je me suis donc mis au haitao moi-même", explique-t-il.
Le nombre d'acheteurs en ligne chinois à acquérir des produits venus du monde entier est en hausse rapide. La plupart sont nés dans l'ère du numérique, sont jeunes, possèdent une bonne éducation et sont désireux d'acheter des produits étrangers indisponibles ou hors de prix en Chine. Ils constituent un marché en expansion de plusieurs milliards de dollars pour les revendeurs en ligne et producteurs étrangers.
Selon le Centre chinois de recherche sur l'e-commerce, le volume de l'e-commerce transfrontalier du pays a atteint 4.200 milliards de yuans (657 milliards de dollars) en 2014, et devrait augmenter à 5.500 milliards de yuans en 2015.
Le ministère du Commerce prévoit que l'e-commerce transfrontalier atteindra 6.500 milliards de yuans en 2016, représentant 20% du total du commerce extérieur du pays.
L'Enquête sur l'e-commerce mondial et le nouveau commerce au détail, publiée en avril par Nielsen, estime que plusieurs facteurs permettent de promouvoir l'e-commerce chinois. L'urbanisation rapide et la haute densité de population rendent le mode de livraison à domicile économiquement viable, en particulier lorsqu'elles sont associées au faible coût de la main-d'oeuvre. Par ailleurs, l'utilisation croissante des smartphones a créé de larges opportunités pour le commerce mobile.
Le secteur national chinois de l'e-commerce gagne également sa part sur ce marché. Selon le Centre de recherche sur les services douaniers et l'e-commerce de Chine, 18 millions de Chinois ont dépensé 140 milliards de yuans dans le haitao en 2014. Le volume du marché du haitao devrait atteindre 1.000 milliards de yuans en 2018.
Le gouvernement soutient cette tendance. En août 2013, le Conseil des Affaires d'Etat a adopté une politique favorable à l'e-commerce transfrontalier, avec six mesures concrètes pour faciliter le processus, concernant notamment le dédouanement, l'inspection de la quarantaine, les droits de douane et les opérations de change.
En 2014, sept villes, à savoir Shanghai, Hangzhou, Ningbo, Zhengzhou, Guangzhou, Shenzhen et Chongqing, ont été désignées comme zones pilotes d'importation pour l'e-commerce. Les marchandises étrangères peuvent y être stockées dans des entrepôts sous douane avant d'être dédouanées. En 2015, deux autres villes côtières ont été ajoutées à cette liste.
Selon les règles fiscales dans ces villes, chaque commande d'une valeur inférieure à 500 yuans (82 dollars) est exemptée de droits de douane, tandis que chaque commande entre 500 et 1.000 yuans est sujette à un droit de 10%, contre un droit moyen de 40% prélevé sur les marchandises importées ordinaires.
Certaines villes pilotes ont également simplifié leurs règles fiscales. Dans la ville de Guangzhou (sud), quand un acheteur chinois passe commande, les revendeurs en ligne peuvent immédiatement déclarer aux douanes les marchandises étrangères concernées. Par conséquent, la collecte des droits de douane et les autres procédures sont plus rapides.
Le 11 novembre 2014, la 22e Réunion des dirigeants économiques de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC), organisée à Beijing, a débouché sur l'approbation de l'Initiative sur l'innovation et le développement de l'e-commerce transfrontalier de l'APEC.
Pour le géant de l'e-commerce Amazon et ses concurrents, dont Alibaba (coté à la Bourse de New York), de nouvelles opportunités ont émergé depuis l'année dernière.
Le 20 août 2014, Amazon Chine a annoncé le lancement d'achats en ligne transfrontaliers dans la Zone de libre-échange de Shanghai. Les acheteurs chinois peuvent faire des achats en ligne sur les sites Internet d'Amazon aux Etats-Unis et dans d'autres pays et recevoir leurs marchandises sous une semaine à dix jours avec des coûts de livraison plus bas.
A l'aide des données collectées au fil des années, Amazon peut prévoir les commandes et envoyer les marchandises à l'avance par mer vers les entrepôts sous douane dans la Zone de libre-échange de Shanghai. Amazon envoie ensuite les objets concernés depuis Shanghai lorsqu'un acheteur chinois passe commande.
Les géants du secteur chinois de l'e-commerce, dont Alibaba et 360buy (coté au Nasdaq), ont suivi l'initiative d'Amazon, ouvrant des canaux de haitao en coopérant avec des détaillants étrangers.
En outre, Alibaba profite de son système de paiement international, Alipay, pour attirer davantage de sociétés étrangères, dont les géants américains de la vente au détail Macy's, Bloomingdale's, Saks Fifth Avenue et Neiman Marcus, ainsi que des marques de luxe telles que Prada et Hugo Boss.
Les clients chinois peuvent se connecter sur les sites Internet étrangers de vente au détail et payer en RMB via Alipay, y compris les droits de douane et les coûts de livraison. Ils attendent ensuite une à deux semaines pour recevoir leurs commandes, qui peuvent être suivies en ligne.
L'amélioration des systèmes de logistique et d'offre libérera davantage le potentiel du marché de haitao. Selon le Rapport sur les acheteurs en ligne transfrontaliers de la Chine, publié par la société de consultation iResearch,15,3% des acheteurs en ligne ont fait des achats depuis l'étranger. Ils ont choisi des marchandises fabriquées à l'étranger en raison d'une meilleure qualité (67,8%), de prix relativement plus bas (65,5%) et de leur indisponibilité en Chine (52%).
Acheteuse expérimentée dans le domaine du haitao, la fille de Cao Fuchun a dépensé cette année plus de 16.000 yuans (2.500 dollars) dans deux sacs à main venus des Etats-Unis, une paire de bottes du Royaume-Uni, du lait en poudre allemand, du miel espagnol et des produits cosmétiques japonais, entre autres. "Le haitao contribue à une meilleure qualité de vie et relie le monde entier à ma vie quotidienne", explique-t-elle.
Chen Fengying, chef du Centre de recherche sur l'économie mondiale de l'Institut des relations internationales contemporaines de Chine, pense que le haitao permettra de promouvoir l'économie mondiale et de créer des emplois à l'étranger.
"Nous sommes non seulement des fabricants, mais également des acheteurs. Une proportion croissante des 1,3 milliard de Chinois entre dans la classe moyenne et génère une demande exponentielle. C'est une opportunité pour le monde entier", analyse M. Chen.