Dernière mise à jour à 08h38 le 21/04
Un deuxième groupe de réfugiés sont renvoyés en Turquie depuis la ville grecque de Mytilène, le 8 avril 2016. (Xinhua/An Xi) |
Tandis qu'un nouveau naufrage en Méditerranée faisant plusieurs centaines de victimes annoncé mercredi par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Bruxelles et Ankara, au-delà des déclarations de bonne intention et des rodomontades, continuent de jouer leur bras de fer diplomatique. Si la politique ne cède pas la place au pragmatisme, l'accord controversé sur la gestion de la crise migratoire, conclu à l'arraché le 18 mars entre les Chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (UE) et Ankara, risque de rester lettre morte.
Les réactions suite à la visite à Strasbourg du Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et du Premier Ministre turc Ahmet Davutoglu, mardi, devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), réunie cette semaine en session plénière, laissent présager que l'accord UE-Turquie serait compromis.
Les représentants de l'APCE ont en effet largement exprimé leurs doutes, lors du débat d'urgence, mercredi. Le discours d'Ahmet Davutoglu comme celui de Jean-Claude Juncker, la veille, ne semblent en rien les avoir rassurés et nombreux se demandent à qui profite cet accord.
"Toutes les dispositions ont été mises en œuvre", a pourtant affirmé le Premier Ministre turc. "Il n'y a pas de problème", a-t-il soutenu, tout en précisant: "La Turquie pourrait parler de difficultés car les trois milliards d'euros prévus pour les réfugiés syriens arrivant en Turquie ne sont toujours pas entre nos mains".
"La commission européenne a fait tout ce qui est en son pouvoir pour porter assistance aux réfugiés. L'accord passé entre l'UE et la Turquie constitue une partie de la solution. Le principe de non-refoulement sera respecté", a de son côté plaidé le Président de la Commission européenne.
La question du financement, comme celle de la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs, et de l'accélération du processus d'adhésion à l'UE de la Turquie - pays de plus de 70 millions d'habitants à 96% musulmane - apparaissent, entre les deux camps mais surtout au sein même de l'UE, comme des abcès de fixation. Sans compter l'éternel débat sur la comptatilité des "valeurs européenne avec celles de l'Islam" et l'antagonisme ancestral entre la Turquie et la Grèce qui se cristallise sur le statut de l'île de Chypre.
Après l'arrivée d'un million de migrants sur son continent et l'apparition de barbelés sur son sol entraînant le rétablissement des contrôles aux frontières internes de l'Espace Schengen, l'Europe se réveille comme sonnée. Nationalismes et populismes, de gauche comme de droite, fleurissent sur le terreau d'une opinion publique déboussolée. La classe politique européenne contestée, fracturée par des divisions idéologiques, est de plus en plus délégitimée dans un contexte de crise économique et de tensions sociales qui s'est installé dans la durée.
L'UE, dans de telles conditions, ne paraît pas la mieux placée dans la recomposition géopolitique en cours. Ses Etats membres ne parviennent pas à faire front commun et ont des positions parfois antagonistes. Son Exécutif a bien du mal à convaincre les parlementaires, et a fortiori les citoyens européens, du bien fondé des mesures décidées dans la crise migratoire comme sur d'autres dossiers.
Au-delà de l'accord UE-Turquie, c'est toute la question de la relation de l'Europe avec ses voisins, celle de son identité, de sa place dans le monde au 21ème siècle - sur les plans démographique, économique, géopolitique et culturel - qui est en question.
Dans un camp, comme dans l'autre, la gestion du flux de migrants représente un enjeu qui est bien loin de la réalité humanitaire des milliers de réfugiés bloqués sur les îles grecques et de deux millions d'autres qui se trouvent dans des camps en Turquie.
Sur le front humanitaire, le temps est compté sans quoi de nouvelles victimes seront à déplorer, en mer, mais aussi dans les camps de migrants où les conditions de vie se dégradent de jour en jour. Seule une solution globale à la source de la crise migratoire pourra mettre fin à de telles tragédies. Cela passe inévitablement par le retour à la paix dans les pays dont sont originaires les migrants.