Dernière mise à jour à 08h29 le 14/09
La création de 12.000 places d'hébergement dans toute la France pour évacuer le bidon-ville de Calais (nord de la France) où s'entassent près de 10.000 migrants et demandeurs d'asile provoque la colère de nombreux élus, qui refusent de ne pas être consultés par Paris. Une zizanie qui reflète l'enlisement de la France et de l'Europe dans la crise migratoire.
Les révélations du quotidien français Le Figaro mardi ont mis le feu aux poudres d'un dossier déjà explosif. Le journal a dévoilé les consignes adressées aux préfets afin de pourvoir à l'hébergement de 12.000 migrants d'ici la fin de l'année sans passer par la consultation des élus locaux. Des consignes qui ne passent pas auprès de nombreux édiles concernés, contraignant le ministère de l'Intérieur à faire savoir mardi que "le gouvernement est cohérent et totalement engagé pour apporter une réponse équilibrée, associant humanité et fermeté, à la crise migratoire".
"Afin d'accueillir les migrants de Calais et de la plaque parisienne, le schéma de mobilisation de places d'hébergement sur l'ensemble du territoire a été validé", indique ce "relevé de conclusions" daté du 1er septembre, cité par Le Figaro. Il fixe des "orientations" qui "valent instructions", précise le document, montrant que la répartition dépend du "critère démographique pondéré par les efforts faits par chaque région".
"Je n'accepterais pas qu'on m'impose un centre de migrants sans me consulter", a très rapidement réagi le maire de Bordeaux (sud-ouest de France), Alain Juppé, candidat à l'élection présidentielle de 2017.
Ne pas demander l'avis des maires serait une erreur non "acceptable", a jugé le maire de Bordeaux, plaidant pour une reprise en main des flux migratoires, avec un nouvel accord Schengen et "une agence qui contrôle véritablement les frontières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", regrette M. Juppé.
"Impuissant à démanteler la jungle de Calais, le gouvernement entend-il disséminer les migrants en transit dans nos régions?", a fustigé mardi dans un communiqué Christian Estrosi, président du parti Les Républicains (LR, droite) de la région Provence Alpes Côte d'Azur (PACA, sud-est de la France), qui clame sa "totale opposition" au plan du gouvernement, qui reviendrait selon lui "à créer des micro jungles de Calais".
"Les collectivités territoriales n'ont pas à payer le prix d'une politique que leur impose l'Etat qui, jusqu'ici, n'a pas réussi à régler ce dossier qui aurait mérité depuis longtemps une refonte des accords du Touquet coordonnant les rôles de la Grande-Bretagne et de la France", affirme par ailleurs Christian Estrosi dans un courrier qu'il a adressé au Premier Ministre Manuel Valls.
Selon le document révélé par "Le Figaro", 989 places d'hébergement seraient à créer dans des centres d'accueil et d'orientation (CAO) dans la région de Bordeaux (Nouvelle Aquitaine), 949 en région PACA, au moins 600 places en Bretagne, 959 dans le Grand-Est, 1.091 en Occitanie (sud-ouest). Si l'on ajoute à cela les places déjà existantes, le total serait de 1.332 dans le Grand-Est, 1.006 dans les Hauts-de-France, près de 1.500 en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine, ainsi que 1.784 en Auverge-Rhônes-Alpes (centre-est).
Depuis novembre 2015, près de 3.000 places de CAO ont déjà été créées en France.
Le 2 septembre, en visite à Calais pour la huitième fois depuis son entrée en fonction, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve s'était efforcé de rassurer élus locaux, commerçants et associations et population d'une ville qui se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. Le président de la République François Hollande y est attendu d'ici la fin du mois.
Le 9 septembre, la préfecture du Pas-de-Calais a par ailleurs affirmé que la construction à Calais, financée par le Royaume-Uni, d'un mur végétalisé pour empêcher les migrants de grimper sur des camions à destination de la Grande-Bretagne, s'achèverait "avant la fin de l'année". La moitié des migrants de la jungle de Calais souhaitent toujours traverser la Manche.
Selon le ministère de l'Intérieur, des dispositifs d'aide au retour volontaire et d'éloignement seront à mobiliser pour les personnes en situation irrégulière et qui ne souhaitent pas demander d'asile. Pour celles "dont la demande d'asile relève d'un autre Etat de l'Union européenne, des assignations à résidence pourront être notifiées durant la préparation du transfert vers le pays compétent pour l'examen de leur demande".
La jungle de Calais n'est que la pointe visible de l'iceberg de la crise migratoire sans précédent que traversent la France et l'Europe dans son ensemble. Alors que près d'un million de réfugiés et de demandeurs d'asile sont arrivés sur le vieux continent en 2015, notamment en Grèce et en Italie, principales portes d'entrée dans l'Union européenne (UE), les Etats membres de l'UE étalent leurs divisions et leur incapacité à mettre en place le programme, annoncé l'an dernier, de relocalisation de 160.000 réfugiés d'ici 2017.
Seuls 4.500 (soit 2%) d'entre eux ont été relocalisés, selon les chiffres fournis en juin dernier par la Commission européenne dans son rapport d'évaluation. "L'échec abject des dirigeants européens à reloger les réfugiés révèle un manque flagrant d'engagement des pays européens face à leurs obligations, et un manque troublant de solidarité entre les pays membres et les réfugiés", n'a pas hésité à déclarer le directeur d'Amnesty International Europe, John Dalhuisen, le 8 septembre.
La Hongrie, qui à ce jour n'a accordé l'asile à aucun des 1.294 réfugiés qu'elle est censée accueillir, organise le 2 octobre un référendum dans le but de rejeter le plan de relocalisation. La Hongrie devrait être exclue de l'Union européenne du fait de sa politique migratoire et de la mise en place d'une clôture frontalière, a lâché le chef de la diplomatie luxembourgeoise dans une interview publiée mardi par le journal allemand "Die Welt".
A la veille du sommet de Bratislava, qui doit réunir vendredi les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE autour notamment des conséquences du Brexit, l'Europe apparaît plus divisée que jamais.