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En France comme en Europe, le malaise démocratique se nourrit de multiples crises

Xinhua | 16.11.2016 16h33

Une enquête intitulée "Les Français, la démocratie et ses alternatives" publiée récemment par le journal francais Le Monde révèle la défiance croissante des citoyens de l'Hexagone à l'égard de leur système politique. Un phénomène qui s'observe dans de nombreux pays d'Europe et se nourrit de la crise économique, financière et sociale, mais aussi de la montée du populisme et de l'extrémisme chez des populations qui redoutent la menace terroriste et l'afflux de migrants. Celles-ci traversent une crise des valeurs, dans un Occident qui doute de lui-même à l'heure où les cartes sont rebattues à l'échelle planétaire.

Selon cette enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour le quotidien Le Monde, l'Institut Montaigne et Sciences Po, une majorité de Français estimeraient que la démocratie fonctionne mal, et plus des trois quarts d'entre eux qu'elle marche "de moins en moins bien". Les résultats de ce sondage ont été largement commentés dans l'Hexagone, signe qu'ils perturbent et dérangent, même si ce constat n'est pas foncièrement nouveau, comme le relèvent de nombreux observateurs politiques.

Près de 70% des Français sondés déclarent que les élections ne changent rien, près des trois quarts que les élus sont trop souvent corrompus. Et surtout, pour 18% des personnes interrogés, la solution serait un "gouvernement autoritaire" reposant sur un chef élu sur la base de grandes orientations énoncées pendant la campagne électorale. De quoi semer le doute au "pays des droits de l'Homme et de la démocratie" que la France aime à prétendre incarner.

"Nous entrons dans une période d'incertitude. La montée du populisme aux Etats-Unis comme en Europe porte la marque de la montée en puissance des passions politiques que sont la colère et la peur. Les Etats démocratiques sont soumis à cette pression extrêmement vive et ne parviennent pas y faire face. C'est le grand défi contemporain", a estimé Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Jacques Chirac, dans les colonnes du Figaro le 14 novembre dernier.

Si la défiance vis-à-vis de la démocratie ne date pas d'hier, le malaise démocratique semble bien s'aggraver et se généraliser. Il gagne tous les électorats quels que soient l'âge, le milieu social, le niveau d'études ou l'orientation politique et se traduit par une abstention massive et récurrente lors des élections, un rejet des structures partisanes et institutionnelles, une critique féroce des responsables politiques en général et de l'exécutif en particulier. Ainsi, jamais un président de la République n'a connu une popularité aussi faible que l'actuel locataire de l'Elysée François Hollande.

"Notre démocratie souffre de l'absence de dialogue et de véritable débat. Tout est fermé. Deux lois bloquent le débat en France. La première, c'est le jugement moral. La seconde, c'est le soupçon. Il n'y a plus, dans ce cadre, de démocratie possible. Le système politique est totalement vicié", n'hésite pas à déclarer Dominique de Villepin, qui fut aussi ministre de l'Intérieur et Premier ministre pendant le second mandat du président Jacques Chirac.

"Des facteurs très nombreux - sociaux, économiques, culturels - se combinent pour favoriser l'éclosion du populisme avec en arrière-plan une inquiétude générale sur l'avenir de la mondialisation, sur les conséquences de ce processus que personne ne semble pouvoir dominer", analyse M. de Villepin. "L'erreur centrale de nos démocraties, c'est l'abandon du politique. Les élites internationales vivent, en effet, depuis vingt-cinq ans dans l'illusion de la mort du politique. L'économisme a voulu faire croire que l'économie était au-delà du politique. Le juridisme a voulu placer l'Etat de droit au-dessus de l'Etat", poursuit-il.

Le diplomate, chef de file du refus d'une intervention militaire en Irak en 2003, tire la sonnette d'alarme: "Aujourd'hui, un des grands drames du monde, c'est l'affaiblissement des Etats. La fragilisation de l'Etat-nation traduit toujours une 'brutalisation', une 'décivilisation' du monde. On en voit les conséquences tragiques au Moyen-Orient et en Afrique".

A la fin des années 80, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin, le "triomphe" de la démocratie était sur toutes les lèvres en Occident. Aujourd'hui, les discours euphoriques se sont envolés. "Le fait que la démocratie n'a plus d'ennemis déclarés ne l'empêche pas d'être travaillée par une adversité intime, qui s'ignore pour telle, mais qui n'en est pas moins tout aussi redoutable dans ses effets", affirme dans son livre "La Démocratie d'une crise à l'autre" le philosophe et historien Marcel Gauchet, figure de la vie intellectuelle française, qui évoque une "autodestruction douce" de la démocratie.

Selon lui, la crise que les démocraties connaissent aujourd'hui résulte de l'approfondissement du libéralisme, qui s'exprime par un individualisme de masse. La souveraineté de l'individu a supplanté la souveraineté du peuple.

"La démocratie s'en est prise au principe du pouvoir en général et partout. Elle a universellement sapé les bases de l'autorité du collectif au nom de la liberté [...]. Elle a fait passer au premier plan l'exercice des droits individuels, jusqu'au point de confondre l'idée de démocratie avec lui et de faire oublier l'exigence de maîtrise collective qu'elle comporte", explique l'historien. "A court terme, selon toute probabilité, au stade où nous en sommes, la crise ne peut que s'aggraver", écrivait-il déjà en 2007.

Le sociologue et historien Pierre Rosanvallon, autre intellectuel français renommé, est moins pessimiste. Dans son ouvrage "La Contre-démocratie", il refuse l'idée d'une désaffection des citoyens. La démocratie est toujours apparue d'abord comme un problème, comme une réalité qui n'était pas accomplie, rappelle-t-il. Il cite en exemple les pétitions, grèves, manifestations, militantisme de terrain qui illustrent, selon lui, l'implication et l'attachement des Français à la question politique et à la démocratie. Pour lui, il s'agirait moins d'un déclin que d'une mutation de la citoyenneté.

Reste que pour beaucoup de citoyens, en France comme en Europe, les interventions militaires en Afghanistan ou en Irak après le 11 septembre 2001 - que n'ont pas empêchées leur mobilisation en masse dans les rues de Londres, Paris ou Madrid - ont laissé un goût amer et que nombre d'entre eux dénoncent une instrumentalisation de la démocratie au service d'intérêts impérialistes et capitalistiques.

Surtout, les populations européennes sont hantées par le spectre d'une crise économique et financière qui n'en finit pas. Le chômage endémique, l'explosion des dettes publiques et privées, l'austérité généralisée, l'augmentation de la pauvreté et des inégalités sociales, la précarité et l'insalubrité du logement, la pollution et le dérèglement climatique sont autant de facteurs qui alimentent le sentiment d'impuissance et le ressentiment des citoyens à l'égard de leurs dirigeants.

La crise de la démocratie est la "matrice des autres crises, parce que les décisions porteuses de crise sont prises par ou sous l'influence directe de l'oligarchie politique, économique et financière, et non pas au terme de délibérations démocratiques impliquant et informant honnêtement le plus grand nombre de citoyens", analyse dans un article daté d'avril 2016 l'économiste Jean Gadrey sur son blog hébergé par le site d'informations Alternatives économiques, dénonçant la "confiscation du pouvoir par une oligarchie liée au capitalisme financier".

"Rien de sérieux n'a été fait pour reprendre en mains la finance après 2008, et même la séparation promise en France des banques de dépôts et d'affaires a fait chou blanc", argumente-t-il avant de renchérir : "La directive 'secret des affaires' a été votée largement au Parlement européen, majorité des députés socialistes français comprise, alors même que les Panama Papers avaient révélé l'ampleur du scandale lié à ce secret !". Il montre également du doigt le "plus grand déni de démocratie en Europe": "celui qui entoure le projet de Traité transatlantique avec ses procédures tenues secrètes, avec ses réunions réservées à 90% aux lobbies d'affaires".

(Rédacteurs :Qian HE, Guangqi CUI)
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