Dernière mise à jour à 14h07 le 23/09
Alors que sont publiées vendredi les ordonnances réformant le Code du travail, le politologue Dominique Andolfatto estime qu'au regard de l'échec des précédents cycles de manifestations, de la désunion, de l'absence de ligne cohérente et de la faible représentativité des syndicats français, le mouvement social contre cette réforme n'a que peu de chances d'aboutir.
"Bien qu'en France l'issue d'un mouvement social soit très aléatoire et qu'il est très difficile de faire de la 'météo sociale', il est probable que le dénouement de la pièce en train de se jouer sera comparable à ceux des mouvements sociaux de 2010 et 2016", déclare dans une interview à Xinhua ce professeur de science politique à la faculté de droit et de science politique de Dijon.
"Beaucoup d'ingrédients dans la situation actuelle de l'Hexagone laissent entendre que les manifestations contre la réforme du Code du travail ne vont pas déboucher sur un succès", pronostique-t-il.
"Le mouvement syndical est désuni. Il n'a pas de projet commun, sauf ne rien changer. Il est minoritaire. Par ailleurs, il n'existe pas de véritables caisses d'entraide et les syndicats conçoivent toujours la grève comme une sorte de sacrifice auquel doivent consentir les salariés", dit-il.
"Les défilés et les 'journées d'action' masquent mal cette impuissance fondamentale des syndicats français. Dans ces conditions, le gouvernement et le patronat peuvent envisager l'avenir avec sérénité", résume le politologue, auteur de "L'état du syndicalisme en France" (La Documentation française, juin 2016).
En France, observe-t-il, "chaque réforme, quelle que soit sa méthode - à la hussarde ou négociée - conduit irrémédiablement à des cortèges battant le pavé et se répétant jusqu'à épuisement. Cette séquence est elle-même marquée par une montée en tension, qui culmine habituellement avec un blocage de dépôts de carburant ou autres actions 'coup de poing'. Puis la réforme entre en application...".
"Concernant la réforme des retraites de 2010 ou, plus proche encore, la loi El Khomri de 2016, malgré la pléthore de journées de manifestation qui se sont succédé, les gouvernements, contrairement à leurs prédécesseurs de la fin du XXe siècle, n'ont que peu, sinon rien cédé", relève l'universitaire.
"Plusieurs organisations syndicales affirment qu'elles ne sont "pas demandeuses d'une modification du Code du travail" et la défense du statu quo semble leur tenir lieu de stratégie", souligne Dominique Andolfatto. "Je ne veux pas être négatif vis-à-vis des syndicats, mais je constate que leur seul dénominateur commun jusqu'ici est de manifester dans la rue. C'est une stratégie qui ne marche plus", ajoute-t-il.
"L'échec des précédents cycles de manifestations en 2010 et en 2016 questionne cette forme d'action collective que privilégient les syndicats français. Si cette succession discontinue de 'journées de grève' ou de 'journées de mobilisation' peut rassembler beaucoup de monde (les chiffres des participants divergeant toutefois entre syndicats, services de police et chercheurs), leur objectif n'est évidemment pas seulement celui-ci. Sauf à penser que les syndicats ne poursuivent une forme de rédemption au travers de mobilisations populaires compte tenu d'une incapacité à peser sur la réforme", avance le politologue qui a publié "Un printemps social français" (Le débat) en octobre 2016.
"Le 12 septembre dernier, le mouvement a semblé commencer, comme en 2016, avec un peu plus de 200.000 manifestants (selon les chiffres de la police) et, déjà, se profile le blocage de dépôts de carburant. Le chiffre de 200.000 manifestants, sans être négligeable, est assez faible comparé au nombre de salariés (23,4 millions de personnes) ou à celui des actifs ayant un emploi (26,2 millions). Cela reste également modeste par rapport au nombre de syndiqués revendiqués par les organisations syndicales - 2,8 millions - même si la réalité se rapproche plutôt de la moitié de ce chiffre", développe le politologue.
"La mobilisation relativement faible peut s'expliquer aussi par le caractère très technique donné à la réforme du Code du travail - le plafonnement des indemnités prud'hommales ou la fusion des institutions représentatives du personnel ne parlent pas à tous - même si les motifs de mécontentement ne manquent pas dans toutes les catégories qui composent la population française", relativise-t-il.
Mais, considère l'universitaire, "le choix d'actions 'coup de poing', à la forte capacité de nuisance, tel que le blocage des dépôts pétroliers, traduit aussi l'impasse dans laquelle se trouvent les syndicats français. Beaucoup de salariés ne votent pas ou plus aux élections professionnelles qui sont censées fonder la légitimité des organisations syndicales. Seuls 43% des salariés inscrits ont participé à ces élections lors de la période 2012-2016 et même simplement 27% si l'on prend en compte l'ensemble du salariat hors fonction publique".
Enfin, "l'opinion publique est elle-même partagée face aux ordonnances : elle se répartit en trois sous-ensembles indiquait une étude Viavoice du 18 septembre 2017: un tiers des personnes interviewées soutient les manifestations, un autre tiers s'y oppose, un dernier tiers s'en désintéresse. Quelque 63% estiment également que 'les forces syndicales et politiques opposées aux ordonnances ne sont pas suffisamment unies'", souligne le professeur de science politique.