Dernière mise à jour à 09h05 le 04/04
Dans un entretien avec Xinhua, le politologue du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF) Luc Rouban estime que face à la "grève perlée" à la SNCF et aux mouvements sociaux qui se développent dans l'Hexagone, le président français "Emmanuel Macron joue sa crédibilité de réformateur". "Si le débat se généralise à l'avenir de l'ensemble du service public, ce sera un problème pour le gouvernement", pronostique-t-il.
"Nous sommes entrés dans un moment de confrontation assez sérieux. Au-delà du débat sur la SNCF grandit une inquiétude sur le modèle social français, sur la place des services publics dans ce modèle social, sur l'avenir de l'Etat providence, hérité de l'après-guerre, qui est en train de disparaître au profit d'un modèle pas encore vraiment défini", estime Luc Rouban du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF).
"Emmanuel Macron entame une bataille importante qui sera d'une certaine façon une clé de voûte de son quinquennat. Il joue en effet sa crédibilité de réformateur. S'il reculait et était obligé d'annoncer une réforme sur plusieurs années, se développerait le sentiment qu'il ne profite plus de la dynamique de l'élection et ses marges de manœuvre seraient beaucoup plus étroites. Son côté jupitérien ou bonapartiste serait beaucoup moins affirmé, ce serait pour lui un très mauvais coup politique", poursuit-il.
Même s'il affiche la sérénité et la détermination, l'Exécutif commence à s'inquiéter d'un scénario de "convergence des luttes". A la "grève perlée" des cheminots, qui ont débrayé mardi contre la réforme ferroviaire et vont perturber le trafic pendant deux jours par semaine environ jusqu'au 28 juin, s'ajoutent la grogne des retraités, les mobilisations des étudiants, des éboueurs, du personnel d'Air France et du secteur de l'énergie, ainsi que des actions dans le secteur de la grande distribution.
"La coagulation est possible, même si cela reste difficile à dire pour le moment. Les enquêtes d'opinion, qu'il faut certes prendre avec des pincettes, reflètent certaines critiques à l'égard de la grève mais en même temps expriment de larges craintes pour l'avenir des services publics", souligne le politologue.
La colère syndicale ne semble en effet pas impopulaire. Selon un dernier sondage IFOP, 53% des Français jugent "injustifié" le projet de réforme de la SNCF destiné à abroger le statut particulier des cheminots et à ouvrir le rail à la concurrence privée à partir de 2019.
Si sept Français sur dix considèrent "normale" l'abrogation des avantages sociaux dont bénéficie la grande majorité des employés de la SNCF, ils sont tout aussi nombreux à souhaiter que la Société nationale des chemins de fer reste une entreprise publique.
"Derrière la bataille de l'opinion qui s'ouvre, il y a un conflit de fond. Les enjeux de communication sont comme toujours très importants. Il ne faut pas oublier qu'une erreur, une mauvaise chronologie dans la stratégie de communication gouvernementale peut produire des effets inattendus. Mais surtout, une question intrinsèquement politique est en train de percer", considère Luc Rouban.
"Si le débat se généralise à l'avenir de l'ensemble du service public comme s'efforcent de le faire les syndicats, ce sera un problème pour le gouvernement. Il faut bien mesurer que l'on ne parle pas seulement de réformes à portée technique ou juridique. Elles touchent à des structures profondes du système politique en France, l'égalité, l'aménagement du territoire, le système de santé sur lequel plane déjà de lourdes inquiétudes...", explique-t-il.
"Le gouvernement a certes la légitimité pour lancer ce genre de réformes. Il n'a pas pris les électeurs par surprise, contrairement à Jacques Chirac en 1995 qui avait fait campagne sur la fracture sociale avant de confier les rênes d'une politique libérale à Alain Juppé", relève le politologue. "Mais le problème de fond pourrait se résumer ainsi: Pourquoi et pour qui toutes ces réformes ? Leur sens échappe à beaucoup de Français, cela ouvre la porte au soupçon. On revient ainsi sur un terrain très favorable aux syndicats qui fustigent en Macron le président des riches et l'accusent de mener une politique néolibérale sans le dire", développe-t-il.
Interrogé par Xinhua sur la contestation naissante dans plusieurs universités de l'Hexagone, Luc Rouban répond que "même si pour l'instant cela reste très lié à ce qui s'est passé à Montpellier, cela représente une menace pour le pouvoir". Des violences qui se sont produites à la faculté de droit de Montpellier (sud de la France) pourraient catalyser la contestation contre la réforme de l'accès à l'université.
"Les mouvements de jeunes sont les plus imprévisibles et potentiellement un danger pour tous les gouvernements", rappelle-t-il. Avant d'ajouter: "Il ne faut pas oublier que les universités françaises souffrent d'un manque de moyens et que s'y développe le sentiment d'une sorte de relégation".