Dernière mise à jour à 10h01 le 20/04
Le Japon, un pays connu pour être un pays où on ne compte pas ses heures, a dévoilé sa première intention de limiter les heures supplémentaires, mais les critiques se sont immédiatement manifestées, qualifiant de « scandaleux » le plafond proposé -de 100 heures par mois- disant qu'il ne fait rien pour lutter contre ce que les Japonais appellent le karoshi, ou mort par surmenage. Cette tentative de Tokyo pour trouver une solution à une crise sanitaire nationale intervient après que le patron du géant de la publicité Dentsu ait démissionné l'année dernière en réponse au suicide d'un jeune employé qui avait régulièrement fait plus de 100 heures supplémentaires par mois. La mort de ce jeune homme, Matsuri Takahashi, a fait la une dans tout le pays, incitant le gouvernement à proposer une solution sanctionnant les heures de travail excessives, qui se voient reprocher des centaines de décès par accidents vasculaires cérébraux, crises cardiaques et suicides chaque année.
Un groupe dirigé par le Premier ministre Shinzo Abe a depuis mis au point un plan fixant un maximum de 100 heures supplémentaires par mois. Le dirigeant conservateur a qualifié cette décision d'« étape historique pour changer la façon de travailler au Japon », mais les critiques pensent que ce plan devrait d'abord pouvoir être concrètement mis en œuvre. De son côté, l'Association des avocats du travail du Japon a rejeté le plafond proposé, qu'elle juge « extrêmement inapproprié » et « impossible à soutenir ». « Cela revient à approuver une limite qui pourrait causer des morts par surcharge de travail », a déclaré le responsable de l'association Ichiro Natsume.
D'autres qui ont perdu des êtres chers à cause du karoshi ont approuvé cette position. « Nous ne pouvons accepter cela, c'est scandaleux », a déclaré Emiko Teranishi, qui dirige un groupe pour les proches des victimes de karoshi. « Je pensais que le gouvernement allait enfin aborder la question .... Mais cela s'est avéré être un pas en arrière au lieu d'un pas en avant ». Le mari de Mme Teranishi était gérant d'un restaurant de nouilles soba à Kyoto quand il s'est suicidé dans les années 1990 après avoir souffert de dépression imputée à de longues heures de travail. « Mon mari travaillait au total 4 000 heures par an sans week-ends. Tout au plus, il avait deux jours de congé par mois », dit-elle, ajoutant qu'il a subi des pressions de son employeur pour travailler plus quand la récession a frappé. « Il était déprimé. Il me disait qu'il ne pouvait plus dormir ou manger. Tous les matins, je lui demandais de prendre un jour de congé, mais il continuait à aller travailler ».
La populaire image de l'après-guerre du salarié japonais peinant longues heures, buvant un coup avec son patron, puis prenant le dernier train a évolué au fil des décennies, mais beaucoup passent encore beaucoup plus de temps au travail que leurs homologues d'autres économies modernes. À l'heure actuelle, les entreprises japonaises peuvent faire travailler leurs employés à temps plein bien au-delà des 40 heures habituelles par semaine pendant les périodes de pointe. Dans de nombreuses entreprises, les heures supplémentaires sont considérées comme un signe de dévouement, même si la productivité des employés japonais est en retard sur celle de leurs homologues américains et européens.
Selon une étude gouvernementale publiée en octobre dernier, plus d'une entreprise japonaises sur cinq comptent des employés dont la tendance à la surcharge de travail les expose à un risque sérieux de mourir. Les nouvelles règles limiteront les heures supplémentaires mensuelles et prévoient des amendes pour les entreprises qui ne respectent pas cette règle- une première dans un cas comme dans l'autre dans un pays connu pour ses horaires de travail épuisants.
Le nouveau régime, forgé par le plus grand lobby des affaires Keidanren et la Confédération japonaise des syndicats, connue sous le nom de Rengo, dit officiellement que les heures supplémentaires ne devront pas dépasser 45 heures par mois. Mais les modifications proposées à la législation du travail, qui devraient être soumises au vote cette année, permettra aux employeurs d'imposer jusqu'à 100 heures supplémentaires en cas de nécessité. Rikio Kozu, le président de Rengo a fait l'éloge du système comme étant « le premier pas vers l'élimination du karoshi », tandis que d'autres lui reprochent de ne pas aller assez loin, et que les morts vont continuer à moins que des mesures strictes soient prises. « Combien d'autres salariés devront mourir avant que notre pays se réveille ? », a ainsi souligné Hifumi Okunuki, syndicaliste et professeur à l'Université des femmes de Sagami.