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Au Japon, l'île-cuirassé de Gunkanjima reste hantée par les fantômes de son passé

le Quotidien du Peuple en ligne | 15.02.2017 14h50

Une vue de l'« île-cuirassé ». Photo: CFP.

Au large du Japon, la silhouette fantomatique de l'« île-cuirassé » s'élève de la mer, comme un testament abandonné à ce qui fut autrefois la ville la plus densément peuplée sur Terre.

Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont vécu et travaillé ici, travaillant dans des mines de charbon sous-marines qui ont alimenté l'essor industriel rapide du Japon à la fin du XIXe siècle.

Mais au fil des ans, cette île a eu de moins en moins de sens économique et, en 1974, son exploitant, Mitsubishi Mining, a abandonné le site, qui se trouve juste au large des côtes de Nagasaki.

Connue en japonais sous le nom de « Gunkanjima », elle fut aussi le repaire du méchant dans le film de James Bond de 2012 « Skyfall », et elle a obtenu le statut de patrimoine de l'UNESCO trois ans plus tard, en 2015.

Pourtant, tout le monde ne se réjouit pas de l'attention accordée à cette île entourée de digues la protégeant de la mer, qui est aussi une destination touristique populaire dont la forme ressemble à un destroyer.

Un endroit funeste

Les murs en béton de l'ancienne ville, les fenêtres brisées et les barres de fer rouillées cachent un sombre secret : celui des travailleurs chinois et coréens forcés de travailler ici comme esclaves au Japon.

« Gunkanjima est un endroit funeste », a ainsi déclaré Zhang Shan, vice-président de l'Association chinoise des travailleurs forcés. « Le statut accordé par l'UNESCO a été une profanation et un choc pour les victimes ».

Mais pour des gens comme Minoru Kinoshita, 63 ans, qui est né sur l'île, les souvenirs sont différents.

« Je suis venu ici souvent et chaque fois que je vois que ma ville natale décline et se trouve dans un état croissant de décomposition », a-t-il dit.

Jusqu'à l'âge de 13 ans, l'île de 6,3 hectares, où on trouvait une école, une piscine, un marché en plein air, un hôpital, une petite prison et même des jardins potagers, était la seule maison que Kinoshita ait jamais connue.

Kinoshita, dont le père était le cinéaste local, « projectionniste », « se souvient d'un lieu magique pour les enfants, d'un labyrinthe dense de bâtiments » parfait pour jouer à cache-cache.

A l'intérieur, quatre personnes ou plus vivaient ensemble dans de minuscules pièces recouvertes de tatamis. Les habitants claquemuraient les fenêtres quand des typhons violents balayaient l'île.

La population de l'« île-cuirassé » a culminé à près de 5 300 personnes vers 1960. C'était une version offshore des villes minières européennes en plein essor. Et comme ses homologues d'outre-mer, le travail y était tout sauf plaisant.

Les mines fonctionnaient 24 heures sur 24 grâce des quarts de travail de huit heures.

Jusqu'à 1 000 mètres en-dessous du niveau de la mer, les hommes travaillaient dans des espaces étroits et étouffants où ils devaient faire leurs besoins dans de petits trous qu'ils creusaient eux-mêmes.

Tomoji Kobata, un homme de 79 ans qui a travaillé sur l'île pendant environ un an et demi au début des années 1960, se souvient que « L'air était épais, l'humidité était collante et la poussière de charbon se mêlait à notre sueur, alors nous étions noirs de la tête aux pieds ».

Plus de 200 travailleurs sont morts au fil des années. D'autres souffraient de silicose, une maladie pulmonaire liée au travail.

Mais certains n'étaient pas là de leur propre volonté.

Minoru Kinoshita, 63 ans, à côté des bâtiments abandonnés sur l'« île-cuirassé » dans la préfecture de Nagasaki, au Japon. Photo : CFP.

Le travail forcé

Le Japon a brutalement occupé la péninsule coréenne et certaines parties de la Chine à différentes époques de la première moitié du XXe siècle et a parfois utilisé ses ouvriers comme main d’œuvre esclave dans les années précédant et pendant la Seconde Guerre mondiale. L'association chinoise du travail forcé a protesté auprès de l'UNESCO au sujet du statut de patrimoine mondial, mais n'a obtenu aucune réponse, a dit M. Zhang.

Il est difficile de trouver des chiffres fiables sur le nombre de travailleurs forcés.

Mitsubishi Materials, un descendant de l'exploitant initial, a annoncé qu'il allait installer un mémorial dans certains de ses anciens sites miniers pour rendre hommage aux travailleurs forcés.

La compagnie a par ailleurs accordé à neuf anciens ouvriers chinois, forcés de travailler dans d'autres endroits, environ 100 000 yuans (14 500 Dollars US) chacun. Quelques autres procédures d'indemnisation sont en cours.

En 2015, Tokyo a déclaré qu'il prendrait des mesures pour s'assurer que les visiteurs comprennent que de nombreux Coréens et d'autres ont été amenés sur l'île et forcés d'y travailler dans « des conditions très dures ».

Les brochures touristiques mentionnent leur situation et les guides rappellent aux visiteurs que ce n'était pas seulement des Japonais qui travaillaient sous terre et parfois y mouraient.

Minoru Kinoshita espère que le statut de l'UNESCO signifiera que davantage de fonds seront alloués pour restaurer les bâtiments délabrés, et conserver des souvenirs vivants de cette journée de 1966, lorsque sa famille a dit un dernier adieu à l'île.

« Quand nous sommes montés sur le bateau pour partir, j'ai vu mes amis brandir une bannière avec mon nom dessus », se souvient-il.

« Il y avait aussi un message : "N'oubliez jamais notre île !" ».

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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