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Crise des célibataires : 30 millions de Chinois sans épouse

le Quotidien du Peuple en ligne | 15.02.2017 09h31

Juste après la Fête des Lanternes de la Nouvelle Année lunaire du Coq, à Nanshecun, un village du comté de Chengcheng, dans la ville de Weinan (Province du Shaanxi) Zhang Jinchun, une villageoise, a commencé à s'occuper d'une chose qui lui tient à cœur depuis longtemps : « Cette année, mon fils a 25 ans, il doit se dépêcher de fixer son mariage avec la fille des Li, qui habite dans le Nord du Comté ». Deux jours avant la Saint Valentin -le 12 février donc- Mme Zhang a arrangé ce grand événement avec les Li. Ce jour-là, son mari et elle ont sorti d'une armoire en bois de la chambre arrière de la grotte où ils habitent une carte bancaire contenant 100 000 Yuans, et sorti les cadeaux préparés depuis longtemps, comme de l'alcool et du tabac, qu'ils offriront à la future belle-famille quand ils les rencontreront. Pour celle qui a été agricultrice toute sa vie, cette sensation lui a donné comme l'impression de se retrouver sur un champ de bataille... « dans le village, il y a encore beaucoup de gars de 30 ans qui sont toujours célibataires, cette question doit donc être réglée ».

L'impatience de Mme Zhang à arranger le mariage de son fils est un douloureux problème que connaissent un grand nombre de parents chinois ces dernières années, parce qu'ils sont confrontés à un problème similaire : leur fils cherche en vain une femme à épouser. « Selon des estimations prudentes, dans les 30 prochaines années, il y aura environ 30 millions d'hommes qui ne trouveront pas de femme à épouser en Chine », a ainsi dit Zhai Zhenwu, directeur du Centre de recherche sur la population et le développement de l'Université Renmin de Chine, et président de l'Association chinoise de la population, dans une interview avec les journalistes.

Pourquoi y a-t-il de plus en plus d'hommes et de moins en moins de femmes en Chine ? Le « Plan national de développement de la population (2016- 2030) » publié par le Conseil des affaires de l'Etat le 25 janvier, et le « Plan de développement de la planification familiale nationale pendant le 13e Plan quinquennal » émis le 6 février par la Commission nationale de la santé et de la planification familiale donnent la même réponse : le responsable est le déséquilibre des naissances entre les garçons et les filles en Chine, qui a commencé depuis le milieu des années 1980. Qu'est-ce qui a causé ce déséquilibre des naissances ? Quelles conséquences a-t-il sur la stabilité sociale du pays ? Comment le gouvernement va-t-il aider les 30 millions de célibataires à trouver quelqu'un à épouser ? Notre journaliste a interrogé des experts en sociologie et en démographie.

D'où viennent ces 30 millions d' « hommes abandonnés » ?

« Depuis 30 ans, la Chine connaît une hausse du taux de masculinité à la naissance et ce mouvement se poursuit encore, avec pour résultat que, dans les 30 prochaines années, les hommes entrant progressivement dans l'âge nubile seront plus nombreux que les femmes de près de 30 millions de personnes, ce qui risque de générer des conflits ».

Dans l'esprit de beaucoup de gens, en raison de l'influence des attitudes patriarcales, la situation qui voit plus d'hommes que de femmes persiste. Mais ce à quoi on ne se serait pas attendu, c'est que, ces dernières années, cette tendance est devenue de plus en plus forte.

Les données du Bureau national des statistiques montrent en effet que, à la fin de 2015, la population masculine de Chine continentale se montait à 704,14 millions de personnes, et la population féminine à 670,48 millions de personnes, soit 33,66 millions d'hommes de plus que les femmes, avec un ratio total de la population de 105,02 hommes pour 100 femmes, ce rapport étant même de 113,51 à la naissance. Selon les statistiques, ce ratio au sein de la population célibataire née dans les années 1980 est de 136 contre 100, montant même à 206 contre 100 dans la même population née dans les années 1970, des chiffres qui témoignent d'un grave déséquilibre entre les femmes et les hommes.

Qu'est-ce qui explique ce déséquilibre anormal au sein de la population nubile en Chine ? « La raison fondamentale est le déséquilibre déjà ancien dans le rapport garçons-filles à la naissance, qui est devenu un problème social très grave », a déclaré Zhai Zhenwu, directeur du Centre de recherche sur la population et le développement de l'Université Renmin de Chine, et président de la Société chinoise de la population.

Dans des circonstances normales, le rapport des sexes à la naissance, également appelé rapport des sexes des enfants, est que, pour 100 filles nées, il y a entre 103 et 107 garçons. Du fait d'un taux de décès des enfants de sexe masculin supérieur à ceux du sexe féminin, à l'âge du mariage, le nombre d'hommes et de femmes est en général proche de l'égalité. C'est pourquoi l'Organisation des Nations Unies a fixé la norme à 103-107.

Mais depuis le milieu des années 1980, le rapport des sexes à la naissance en Chine reste élevé. Pour Zhai Zhenwu, il y a deux raisons à cela : d'abord, une forte préférence pour les garçons, en particulier dans les zones rurales, où l'idée d'avoir un garçon a toujours existé. Deuxièmement, les conditions de développement des technologies modernes, qui rend la naissance d'un garçon plus facile. Selon M. Zhai, avec la petite technologie de détection moderne à ultrasons, on peut savoir dès 14 à 16 semaines de grossesse si l'enfant est un garçon ou une fille. Cela permet à beaucoup de familles de réaliser leur rêve d'avoir un garçon, car si c'est une fille qui est détectée, de nombreuses familles choisissent de procéder à un avortement chez les femmes enceintes.

C'est précisément à cause du développement de la technologie des ultrasons dans le milieu des années 1980 que cela a, combiné avec le concept de la préférence traditionnelle pour les garçons, conduit à un fort déséquilibre du rapport des sexes à la naissance, qui de plus s'est étendu sur une longue durée, affectant le statu quo ancien au sein de la population. A l'entrée dans le nouveau siècle, le rapport des sexes à la naissance en Chine a culminé à 121,2, et certaines provinces ont même atteint le chiffre de 130.

« L'un des plus grands problèmes sociaux né du ratio élevé de masculinité à la naissance est la '' crise des hommes laissés de côté'' ou ''crise des célibataires'' ». Selon Zhai Zhenwu, à partir de la moitié des années 1980, il y a chaque année plus de naissances de bébés de sexe masculin que de bébés de sexe féminin, et l'accumulation année après année a fait que, selon les estimations, dans les 30 prochaines années, les hommes entrant progressivement dans l'âge nubile seront plus nombreux de 30 millions que les femmes du même âge. En outre, selon les données prévisionnelles du groupe de recherche dirigé par Wang Guangzhou, membre de l'Institut de l'économie de la population et du travail de l'Académie chinoise des sciences sociales, fournies au journaliste, en 2020, il y aura environ 15 millions d'hommes célibataires âgés de 35 ans à 59 ans, et ils seront près de 30 millions d'ici 2050.

En 2010, l'Université Jiaotong de Xi'an et l'Institut pour le développement de la population ont mené une enquête dans un total de 369 villages de 28 provinces du pays, qui a donné lieu à la publication d'un rapport intitulé « Rapport technique sur le sondage concernant le déséquilibre entre les sexes et la stabilité sociale dans les villages ». Le rapport montre que, depuis 2013, l'excédent annuel de la population masculine nubile en Chine a été supérieur à 10%, avec une moyenne annuelle d'environ 1,2 million d'hommes ne trouvant personne pour un premier mariage.

« A moins que ces hommes en âge de se marier ne choisissent d'épouser des femmes plus vieilles qu'eux, s'ils cherchent une femme à marier de leur âge ou même plus jeune, dans l'avenir, la Chine comptera plus près de 30 millions d'"hommes laissés de côté" », a souligné Zhai Zhenwu, qui a précisé que cela suppose comme condition préalable un rapport de masculinité à la naissance normal. Si, dans l'avenir, le rapport de masculinité à la naissance continue à baisser, même lentement, alors le nombre de ces « hommes laissés de côté » continuera à augmenter en Chine.

Où est la « crise » dans la « crise des hommes laissés de côté » ?

« Les "hommes laissés de côté" accumulent les handicaps comme une faible culture et de faibles revenus, ce qui risque d'exacerber les inégalités économiques et sociales en Chine, mais aussi de menacer la sécurité écologique de la population chinoise ».

Selon Wang Peian, directeur adjoint de la Commission nationale de la santé et de la planification familiale, le problème de déséquilibre entre les sexes va constituer un risque majeur affectant le développement équilibré de la structure de la population chinoise ainsi que l'harmonie et la stabilité sociales du pays.

« Les problèmes sociaux déjà anciens causés par le nombre excessif de garçons à la naissance sont déjà passés d'un aspect implicite à un aspect dominant, et l'impact le plus direct en est le phénomène dit de la "pression du mariage" », a dit Wang Guangzhou, responsable des études d'impact de la mission sur les politiques de la Commission nationale de la santé et de la planification familiale sur les politiques du « second enfant sous conditions » et du « second enfant sans conditions ». Selon lui, la compréhension populaire du phénomène de « pression du mariage » est qu'une partie de la population aura du mal à trouver une femme à épouser ou restera célibataire.

Les données issues des recensements de 1990, 2000 et 2010 fournis par Wang Guangzhou montrent que la proportion de Chinois de 35 ans à 59 ans non mariés se monte à environ 4%. « Si un homme arrive à l'âge de 59 ans sans être marié, c'est qu'il appartient pour l'essentiel à une catégorie d'hommes qui ne se sont jamais mariés, et c'est un chiffre très élevé, étant donné que la proportion de femmes jamais mariées n'atteint probablement que moins de 3 ‰ ».

Quelles sont les personnes qui se trouvent dans une situation de pression à cause du mariage ? Selon l'analyse de Wang Guangzhou, ce sont les hommes moins instruits qui ont tendance à en supporter le plus le fardeau. En 1990, chez les hommes âgés de 35 à 59 ans, ceux qui avaient un niveau d'enseignement primaire et en-dessous représentaient 12,7% du nombre total des hommes célibataires. En 2010, ce ratio était proche de 15%.

En outre, les hommes avec un statut socio-économique plus bas peuvent aussi devenir des « hommes laissés de côté ». Le « Rapport technique sur le sondage concernant le déséquilibre entre les sexes et la stabilité sociale dans les villages » montre ainsi que les hommes « laissés de côté », appelés aussi « hommes-clous » les plus concernés par le problème de la « pression du mariage » se concentrent parmi les hommes de faible niveau culturel et à faibles revenus des régions de l'Ouest de la Chine.

« L'essence du problème des hommes laissés de côté, ce sont des choses comme les inégalités économiques et sociales. Les zones rurales pauvres, les familles pauvres et les hommes pauvres des zones urbaines et rurales sont ceux qui ont le plus de risques de connaître cette "pression du mariage" ». Lu Yilong, professeur à l'Ecole de sociologie et de la population de l'Université Renmin de Chine, a quant à lui déclaré aux journalistes que la structure démographique des sexes aura une incidence sur le marché du mariage dans une certaine mesure, mais que les facteurs les plus critiques sont les facteurs économiques, sociaux et culturels, « ces facteurs vont stimuler et intensifier les phénomènes de prix astronomique des mariées, de traite des femmes, de commerce des mariages et de crimes sexuels dans les régions arriérées ».

Wang Guangzhou a par ailleurs souligné un problème très inquiétant, celui du « déficit » de femmes et du faible taux de fécondité, qui va réduire davantage encore la population totale et la taille de la population en âge de travailler, et va accélérer le processus de vieillissement de la population chinoise.

Les sociologues craignent aussi que dans les 10 à 20 prochaines années, le problème du surplus de main-d'œuvre masculine et de la « pression sur l'emploi due au sexe » va devenir de plus en plus grave, la pression concurrentielle de l'emploi masculin de plus en plus forte, avec pour conséquence que les femmes auront de plus en plus de mal à trouver un emploi. À long terme même, la pension de retraite de ces hommes non mariés et celle de leurs parents sera également un gros problème. Selon un professeur de l'Institut du développement et de la population à l'Université Nankai, la portée du problème de la « crise des hommes laissés de côté » ne sera pas inférieure à celle de l'explosion de la population chinoise au milieu du 20e siècle.

Soigner les « symptômes » n'est pas facile... peut-on trouver une « solution » définitive ?

« Si la baisse future du ratio des sexes à la naissance en Chine est lente, on ne peut pas exclure un nouvel ajustement de la politique des naissances ; pour inverser les attitudes patriarcales traditionnelles, la clé consiste à améliorer l'urbanisation et de l'industrialisation, le niveau d'éducation ».

Afin de lutter contre la situation actuelle du taux toujours élevé de masculinité à la naissance, des « Dispositions sur l'interdiction de l'identification du sexe du fœtus pour des besoins non médicaux et de la cessation artificielle de la grossesse pour la sélection du sexe » ont été promulguées en novembre 2002, spécifiant clairement que la détermination du sexe du fœtus est interdite. Depuis 2009, le taux de masculinité à la naissance en Chine présente une tendance générale à la baisse. Et depuis 2011, la Commission nationale de la planification familiale, le Ministère de la sécurité publique, le Ministère de la santé s'efforcent conjointement de procéder à la rectification des « deux interdictions » (c'est à dire l'interdiction de la détermination du sexe du fœtus et l'interdiction de l'interruption de grossesse pour des raisons liées au sexe), avec pour conséquence que la situation de forte dynamique initiale a été freinée.

Pour Zhai Zhenwu, du fait de l'imperfection du système actuel et du développement des technologies de détection, il est de plus en plus facile d'identifier le sexe du fœtus, avec pour conséquence la mise à l'épreuve par les deux côtés de la position dite « vous souhaitez, j'approuve », a également augmenté la difficulté pour les services compétents d'assurer une bonne mise en œuvre de la politique des « deux interdictions ».

Face à ce problème, Wang Guangzhou a fait trois suggestions : premièrement, renforcer la législation nationale et locale, enquêter sur la mise en œuvre de la politique des « deux interdictions » afin de construire une base juridique pour la protection des droits des femmes. Deuxièmement, mettre en place un mécanisme de liaison et de contrôle du rapport des sexes à la naissance, renforcer la coopération entre les services chargés de la planification et de la santé, des produits pharmaceutiques et de la sécurité publique, et assurer une gestion globale par le biais de groupes de gestion commune dans « l'ensemble du pays ». Troisièmement, construire une plate-forme de partage de données, mettre en place un mécanisme d'alerte précoce du rapport des sexes à la naissance. En particulier, il a souligné la nécessité de renforcer le rôle de la base de suivi statistique dans l'ensemble des travaux de gestion, établir clairement les responsabilités des services des statistiques, de la planification sanitaire, de la sécurité publique, de l'éducation, des affaires civiles, et, finalement, réaliser un partage intersectoriel et d'alerte précoce et un suivi des données démographiques.

À la fin de 2013, le gouvernement central a mis en œuvre la politique du « second enfant sous conditions », et en 2015 celle du « second enfant sans conditions », qui devraient jouer un rôle pour favoriser une baisse du rapport de masculinité à la naissance. Selon Wang Guangzhou, dans une partie des familles où le premier enfant est un garçon, on préfère que le second enfant soit une fille, et parfois même le sexe de l'enfant n'a guère d'importance, ce qui, relativement parlant, pourrait avoir pour conséquence la naissance de davantage de filles.

Cependant, les démographes ont également dit que si dans l'avenir le ratio des sexes à la naissance en Chine décline lentement, d'autres ajustements à la politique des naissances ne sont pas à exclure.

« Du point de vue du droit du développement de la population, le ratio des sexes à la naissance a chuté dans une certaine mesure, et la poursuite de la baisse semble plus difficile », a déclaré Zhai Zhenwu. Selon les objectifs fixés par le « Plan de développement national de la population (2016- 2030), d'ici 2020, le ratio des sexes à la naissance devrait être inférieur ou égal à 112, et se stabiliser à 107 en 2030. Autrement dit, même si tout va bien, il faudra attendre encore 13 ans avant que le taux de masculinité à la naissance redevienne normal. Ensuite, la communauté chinoise, non seulement va devoir « digérer » les 30 premières années de ratio des sexes élevé à la naissance et l'accumulation du nombre d'hommes « laissés de côté » devenus âgés, mais en plus, dans les 13 prochaines années pourraient surgir de nouveaux problèmes d'hommes « laissés de côté ».

Les experts ont souligné que, pour atteindre cet objectif, l'éducation est importante pour inverser l'esprit « patriarcal » de la tradition chinoise, qui dure depuis des milliers d'années, et que si l'on veut améliorer véritablement le statut social des femmes, l'égalité des sexes est une stratégie fondamentale.

Ainsi, en avril 2003, a été lancé le mouvement « Aimons les filles », et en 2013, a débuté l'« Action volontaire pour les rêves des filles »... ces activités sont destinées à aider les jeunes filles des régions rurales pauvres grâce à une aide sociale globale à long terme, et à éveiller l'attention de toute la société envers les filles.

« Le concept actuel de l'égalité des sexes est encore très faible, on dit que les hommes prennent femme et les femmes deviennent épouses, il y a aussi le fait d'habiter chez son mari, la nécessité de poursuivre le nom de la famille, etc. Avec l'urbanisation, l'industrialisation, l'augmentation des niveaux d'éducation, ces concepts traditionnels vont changer progressivement », a déclaré Zhai Zhenwu, qui a ajouté que les gouvernements à tous les niveaux des zones rurales les plus durement touchées par le déséquilibre entre les sexes devraient accélérer l'amélioration du niveau de la productivité dans les zones rurales, la mécanisation, la voie vers une agriculture moderne, et réduire l'intensité du travail manuel, qui génère une préférence pour les fils. Dans le même temps, il faut également améliorer divers systèmes comme celui des contrats sur les terres rurales, construire un système de retraites, et créer un système assurant l'égalité de l'emploi féminin.

« Nous voulons éduquer la prochaine génération, cultiver le nouveau terreau de l'égalité entre les sexes. Quand les concepts des jeunes concernant le sexe à la naissance aura changé, le ratio des sexes à la naissance en Chine reviendra progressivement à la normale, et la crise des "hommes laissés de côté" pourra être résolue », a conclu Zhai Zhenwu.

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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