Dernière mise à jour à 08h29 le 29/06
En quarante ans, Mamat Kasim, âgé de 73 ans, a rédigé 26 volumes de son journal intime. Le premier était consacré à une paire de chaussures.
C'était en 1965. Un orphelin ouïgour, du district de Kuqa, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, a reçu une nouvelle paire de chaussures, offert par un voisin de l'ethnie Han. L'enfant en a été ému aux larmes.
La population de Kuqa, situé dans la préfecture d'Aksou, est d'environ 500.000 personnes, composée majoritairement de Ouïgours, et de 13 autres ethnies.
Mamat a relaté des anecdotes sur l'entraide entre Ouïgours et Hans dans son village.
"En 1976, 16 Ouïgours ont porté le cercueil d'un villageois de l'ethnie Han jusqu'au cimetière situé à cinq kilomètres, car il n'y avait pas assez d'habitants Han", s'est-il rappelé.
"Pour exprimer leur gratitude, la famille du défunt leur a servi un dîner ouïgour", a-t-il raconté.
Il a noté beaucoup d'autres choses : un Ouïgour a offert à une famille migrante de cueilleurs de coton une chambre, gratuitement, pendant trois ans; des habitants Han ont fait des dons pour participer aux frais médicaux d'un enfant du village; Mamat, lui-même, a été sauvé par son voisin Tian Kailin.
En 1997, un tracteur s'est renversé, lui écrasant la poitrine.
"Il était dans un état critique et j'ai fait signe à des voitures de s'arrêter, en vain. Je me suis donc planté au milieu de la route pour arrêter un véhicule, et il a été transporté à l'hôpital ", a confié M. Tian. "Au début, je ne savais même pas que c'était mon voisin Mamat coincé sous le tracteur. Mais j'aurais fait de même si c'était un étranger."
Les derniers volumes du journal de Mamat datent d'il y a six jours : un épicier ouïgour a rendu son portefeuille à un fonctionnaire Han qui l'avait oublié dans l'épicerie.
GRATITUDE
Sur les 314 foyers du village de Mamat, 28 sont de l'ethnie Han. Le premier habitant Han est arrivé il y a une soixantaine d'années, depuis la province du Gansu où sévissait la famine à l'époque.
Wang Shouyi, 66 ans, est arrivé dans le village à l'âge de neuf ans, avec ses parents.
"Nous étions obligés de faire des gestes, car ils ne parlaient pas du tout le mandarin", raconte Wang, qui parle couramment ouïgour maintenant.
Ce sont les habitants ouïgours qui leur ont donné un coup de main.
"Ils partageaient souvent leurs porridges avec nous, ce qui nous a sauvé la vie à l'époque", a-t-il raconté. Les villageois les ont également aidés à construire leur logement. Des Hans, comme Wang, ont apporté de nouvelles techniques agricoles aux locaux, comme l'utilisation d'engrais, de désherbants, de semences de qualité.
"Avec ces techniques, ils ont vu leur production presque doubler", s'est-félicité M. Wang, ajoutant que les villages aux alentours l'ont suivi.
Pour exprimer sa gratitude aux Hans pour leur aide dans la récolte, Mamat a écrit une lettre au président Mao Zedong en 1959, espérant que le gouvernement central enverrait 50 foyers supplémentaires dans son village. Plusieurs jours après, il a reçu la réponse.
La lettre, provenant de la Direction générale du Comité central du Parti communiste chinois , félicitait Mamat pour la récolte et l'encourageait d'en apprendre davantage sur les techniques agricoles.
Mamat a précieusement conservé cette lettre, protégée par une chemise en plastique et placée dans une boîte en fer fermée à clé.
En raison de sa mauvaise vue et de ses mains qui se sont mises à trembler depuis peu, Mamat a demandé à son fils et à sa belle-fille d'écrire son journal pour lui.
Il a également une petite bibliothèque chez lui, qui propose gratuitement des livres aux villageois. Sa bibliothèque accueille chaque jour cinq à six villageois.
Les livres sur les techniques agricoles, les politiques gouvernementales ainsi que les ouvrages juridiques sont les plus populaires.
"C'est seulement si les jeunes générations sont mieux éduquées que leur vie sera meilleure", a-t-il affirmé.