La culture, véhicule de la gastronomie
La cuisine chinoise jouit d'une solide réputation dans le monde entier. Cependant, les difficultés ne manquent pas lorsqu'on cherche à présenter à des étrangers le concentré de culture contenu dans la cuisine chinoise. C'est que les ingrédients, les goûts et les recettes diffèrent sensiblement de ceux de la cuisine occidentale.
« La gastronomie renferme un contenu culturel très riche. D'abord par la très grande variété des ingrédients : plantes, animaux, pratiquement toutes les créatures de la terre, du ciel et de la mer. Ensuite par une technique culinaire elle aussi très diverse. Enfin par la présentation des plats dont les formes sont multiples. Dés, morceaux, lamelles, etc, présentés dans des plats et des récipients eux aussi très variés. » Selon Bian Jiang, faire entrer la cuisine chinoise à l'UNESCO a pour objectif de promouvoir la culture chinoise à l'étranger et ainsi de renforcer le soft power du pays, en plus de contribuer à la protection de la tradition gastronomique et du patrimoine immatériel, sans oublier d'en faire profiter le public.
En 2012, la première partie du documentaire télévisé sur la gastronomie chinoise A Bite of China a connu un grand succès. En tant que consultant principal de ce documentaire, Bian Jiang considère que celui-ci offre aux téléspectateurs de nouvelles connaissances sur la cuisine chinoise. « Ce documentaire a été diffusé à plusieurs reprises et a reçu un accueil favorable des téléspectateurs de différents pays. À ce point-là, c'est inattendu », se félicite-t-il. Et d'ajouter : « Les images poétiques que forment les plats chinois touchent tout le monde. »
Pour Bian Jiang, le succès de ce documentaire et l'inscription du kimchi sud-coréen et de la cuisine japonaise sur la liste du patrimoine de l'UNESCO montrent le chemin à suivre. C'est la sélection des aliments chinois qui sera la clé du succès de la Chine pour entrer dans ce cénacle.
« L'important n'est pas de faire la promotion de tel aliment ou de telle technique culinaire. Ce qu'il faut privilégier, ce sont les sentiments qu'apporte un aliment, son importance dans la tradition et la perpétuation de cet aliment dans le futur. Les différentes cuisines régionales présentent chacune leurs caractéristiques locales bien distinctes, et il serait très réducteur de dire que les Chinois mangent tous la même chose. »
Certains ingrédients utilisés traditionnellement dans la cuisine chinoise s'attirent des critiques à l'international, comme par exemple les ailerons de requin ou les nids d'hirondelles. Bian Jiang s'en explique : « La cuisine chinoise date de plusieurs millénaires, et son approche comporte un volet médicinal. Nos ancêtres ont classé minutieusement tout ce qui se mange, chaque aliment a été enregistré dans des archives historiques médicales comme le Traité de botanique et de pharmacopée, et ces observations se sont perpétuées jusqu'à nos jours. Ce travail ne peut pas être méprisé et jeté aux orties. » Cependant, pour certains ingrédients qui menacent les équilibres écologiques, les habitudes devront être changées.
Suivre les expériences réussies
Depuis l'adoption de la Convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel par la 32e Conférence de l'UNESCO, la cuisine française, la cuisine méditerranéenne, la cuisine turque, la cuisine traditionnelle mexicaine, le kimchi coréen et la cuisine japonaise ont été successivement portés sur la liste des savoir-faire à préserver. Selon Bian Jiang, il faut s'inspirer de ces exemples et étudier les aliments déjà inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Cette analyse a permis de découvrir que le jury est moins sensible aux aliments eux-mêmes ou même aux techniques de préparation qu'à l'aspect culturel qui sous-tend ces aliments. « Prenons l'exemple du kimchi, fait à base de choux chinois et de piments forts fermentés. Dans les documents sur la promotion du kimchi, les informations relatives au plat lui-même ne représentent que 20 % du volume. Le reste du document explique l'importance de cette préparation pour la cuisine coréenne en général, les échanges entre voisins au cours de la préparation du kimchi, et puis aussi les coutumes liées à la consommation du plat. Tout cela illustre une culture de l'harmonie entre voisins, et finalement, des sentiments humains », explique Bian Jiang.
La présentation de la cuisine française pour l'UNESCO met elle aussi en avant la tradition. « La cuisine française accompagne les moments importants de la vie, qu'ils soient individuels ou collectifs. C'est aussi la façon de célébrer toutes sortes d'événements : naissance, mariage, anniversaire, commémoration, félicitations, rencontre. [...] La cuisine française accompagne la confiance et la bonne entente, propose une expérience du goût, et crée un équilibre entre l'homme et la nature. »