L'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), réunie en session plénière d'été à Strasbourg, en France, a voté mardi une résolution appelant les Etats-Unis à "autoriser M. Edward Snowden à rentrer sans craindre d'être poursuivi dans des conditions qui ne lui permettraient pas d'invoquer la défense de l'intérêt public".
La résolution, "Améliorer la défense des lanceurs d'alerte", qui a recueilli 88 voix pour, 7 contre et 10 absentions, demande aux membres du Conseil de l'Europe et aux observateurs, dont font partie les Etats-Unis, de créer un cadre légal pour la protection des donneurs d'alerte au nom de la défense de l'intérêt public.
Un tel cadre juridique permettrait aux défendeurs de plaider que les lois ont été violées afin de protéger le bien public. La résolution met particulièrement en avant la nécessité de défendre l'intérêt public dans les secteurs du renseignement et de la sécurité nationale; secteurs dans lesquels les travailleurs sont souvent beaucoup moins protégés.
M. Snowden, s'exprimant par vidéoconférence peu de temps après le vote de la résolution, a déclaré qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un procès équitable s'il retournait aux Etats-Unis. L'ancien analyste des services secrets américains se trouverait encore en Russie, toujours à la recherche d'un pays lui accordant l'asile politique.
Lors de cet événement en marge de la session de l'APCE, organisé par le réseau international des lanceurs d'alerte (WIN), il a ajouté: "Quiconque dans ma situation, poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage de 1917, retournant aux Etats-Unis, renoncerait tout bonnement à son droit à un procès équitable".
C'est en 2013 qu'Edward Snowden a été connu du grand public lorsqu'il a révélé les techniques de surveillance de masse mises en œuvre aux Etats-Unis par l'Agence de Sécurité Nationale (NSA) afin de collecter des données concernant des politiciens, des hommes d'affaire et des citoyens de plusieurs pays.
Les procureurs américains ont accusé Edward Snowden d'avoir violé la Loi sur l'espionnage de 1917 et l'ont poursuivi en justice pour avoir divulgué "délibérément à des personnes non autorisées des informations relatives à la défense nationale ainsi que des informations classifiées par les services de renseignement". Cette loi sur l'espionnage ne permet pas d'invoquer la moindre exception relative à l'intérêt général.
"Comme il n'y a pas de défense de l'intérêt public aux Etats-Unis, on ne bénéficie d'aucune protection juridique", a expliqué pendant la vidéoconférence Morton Halperin, ancien conseiller de la Maison Blanche devenu consultant senior pour les fondations "Open Society".
Morton Halperin a également souligné que, selon la loi américaine, dans des cas comme celui de Snowden, seul compte le degré d'habilitation à donner ou recevoir des informations. La question de savoir si leur divulgation sert l'intérêt public n'est pas pris en considération. Pas plus que la nature des faits révélés : un lanceur d'alerte dénonçant des crimes graves peut néanmoins être poursuivi pour le simple fait de les avoir révélés.
"Dans plusieurs cas à notre connaissance, des lanceurs d'alerte, bien qu'ils aient apporté des preuves manifestes de faits criminels, ont été tenus pour responsables par leur gouvernement pour toute sorte d'infraction technique", a ajouté Edward Snowden.
Les parlementaires du Conseil de l'Europe ont d'ailleurs affirmé dans leur résolution votée mardi que les donneurs d'alerte "menacés de mesures de rétorsion dans leur pays d'origine devraient bénéficier de l'asile dans les Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe ainsi que dans l'Union européenne, sous réserve que leurs révélations réunissent une série de conditions garantissant un exercice éthique de l'activité de donneur d'alerte".
Ils ont rendu hommage au courage d'Edward Snowden à l'instar de Pieter Omtzigt (Pays-Bas/PPE-DC), le rapporteur de la résolution qui l'a qualifié de "grand patriote" pour avoir renoncé à une "bonne planque pour nous faire connaître la vérité".
Edward Snowden a qualifié cette résolution de "grand pas en avant" pour tous les lanceurs d'alerte en Europe et dans le monde.
D'autres parlementaires ont cependant souligné qu'il ne s'agit pas uniquement du cas Snowden et que dans ce genre d'affaires les gouvernements doivent faire face à une problématique extrêmement complexe.
"Edward Snowden est devenu un symbole international mais les simples employés qui révèlent des activités illégales sur leur lieu de travail sont tout aussi importants", a insisté Lise Christoffersen (Norvège, Groupe socialiste).
"Quand vous êtes un lanceur d'alerte, vous êtes objectivement un traître mais vous l'êtes parce que vous avez le sens du devoir", a renchéri le socialiste suisse Luc Recordon.
Lors d'un événement organisé lundi en marge de la session, le réseau WIN a donné la parole à des lanceurs d'alerte des secteurs de la santé, de la banque et de la sécurité alimentaire: le Britannique Martin Woods qui a révélé des activités de blanchiment d'argent à la banque américaine Wachovia, la Suissesse Yasmine Motarjemi qui a mis à jour des problèmes de sécurité alimentaire chez Nestlé, ou encore l'ex-fonctionnaire française Nicole-Marie Meyer qui a mis en lumière des irrégularités notamment financières au sein du Ministère français des Affaires étrangères.
Tous les trois ont fait part des obstacles qu'ils ont rencontrés. D'abord en tentant de faire connaître ces problèmes au sein de leurs organisations où ils sont restés lettre morte pour finalement décider d'alerter l'opinion publique. Ensuite pour continuer à vivre une vie normale et à retrouver un emploi. Ils ont appelé à la mise en place de mesures protégeant les "lanceurs d'alerte ordinaires" qui ne bénéficient pas comme Snowden d'une attention mondiale.
Le rapporteur Omtzigt a insisté mardi sur l'immense stress auquel doivent faire face ces lanceurs d'alerte "ordinaires". "Leur taux de suicide est nettement supérieur à la normale en raison des pressions auxquelles ils sont soumis", a assuré le rapporteur qui a remercié l'APCE pour son soutien.
L'APCE avait déjà voté en avril dernier une résolution appelant à limiter l'usage de la surveillance de masse dénoncée en 2013 par Edward Snowden.