Dernière mise à jour à 13h21 le 03/02
Le Parlement européen (PE), réuni en session plénière à Strasbourg, a tenu pour une énième fois, mardi après-midi, un débat houleux sur la crise migratoire et le contrôle aux frontières alors que la pression s'accentue sur la Grèce, menacée d'une mise au ban de l'espace Schengen.
Les profondes divisions et les atermoiements sur la question des réfugiés résonnent depuis des mois dans l'hémicycle strasbourgeois tandis que le flux de migrants débarquant sur les côtes grecques en provenance de la Turquie voisine ne tarit pas.
Mais le débat est monté d'un cran, mardi, en présence du vice-président de la Commission européenne (CE) Franz Timmermans. Se sont en effet exprimées ouvertement de nombreuses voix, cherchant des coupables, se renvoyant les responsabilités et appelant à une fermeture en bonne et due forme de certaines frontières en Europe.
Même si, dans les rangs de la gauche et des écologistes, des parlementaires se sont élevés contre le "populisme, la stigmatisation et la criminalisation des migrants" et se sont alarmés d'une "Europe qui perd son âme", leurs propos ont été relégués au second plan par des déclarations tonitruantes émanant d'eurodéputés d'extrême droite dénonçant "l'invasion et l'islamisation" de l'Union européenne (UE).
L'idée d'une fermeture de certaines frontières de l'UE semble bien s'être frayée un chemin au PE dans la foulée de la procédure inédite lancée par la CE, le 27 janvier, à l'encontre de la Grèce. En première ligne dans la crise migratoire, Athènes se voit reprocher par Bruxelles de "graves lacunes" de sa gestion de l'afflux de migrants.
Selon un rapport, basé sur une visite de terrain effectuée par Frontex en novembre sur les îles de Chios et de Samos, dont l'évaluation n'a pas été rendue publique, la Grèce aurait "sérieusement négligé ses obligations" dans la gestion de sa frontière extérieure de l'espace Schengen et mettrait en péril le fonctionnement de la zone de libre-circulation.
Certains Etats d'Europe centrale, comme la Hongrie et la Slovénie, militent d'ailleurs ouvertement en faveur d'un "Grexit". Pour la Grèce, qui n'a pas de points de frontière terrestre avec l'espace Schengen, cela entraînerait des contrôles pour les allées et venues par avion ou bateau et porterait un coup au tourisme, l'un de ses rares moteurs économiques.
Soumise à une austérité drastique depuis cinq ans, la Grèce manque de policiers, de gardes-côtes, et d'infrastructures pour faire face à l'afflux des réfugiés. Pour l'instant, un seul hot-spot (centre de tri et d'enregistrement des migrants) prévu par l'UE a été installé sur l'île de Lesbos.
Quant à l'accord conclu entre la Turquie et l'UE, prévoyant une aide de trois milliards d'euros et la relance des discussions sur l'adhésion à l' UE en échange d'une meilleure gestion des migrants par Ankara, nombreux sont ceux qui dénoncent un "marché de dupes".
Les autorités grecques mais aussi les associations humanitaires réfutent les accusations de la Commission. La Grèce dispose de plusieurs centaines de kilomètres de frontière maritime avec la Turquie, rappellent-elles. "La seule façon d'agir à une frontière maritime, c'est de faire des opérations de sauvetage. Sauf à laisser les migrants se noyer", a d'ailleurs interpellé récemment le ministre grec de la Politique migratoire Yannis Mouzalas.
"Rien n'empêchera les migrants de tenter encore de franchir les frontières. Et cette stratégie ne fera que renforcer l'emprise des passeurs et des mafias. On le constate déjà à la frontière macédonienne", assure de son côté le chef de mission de Médecins Sans Frontières à Lesbos, Daniel Huescar. Son homologue à Athènes, Apostolos Veizis, s'emporte contre "l'égoïsme des pays européens, prêts à rejeter la faute sur les voisins, plutôt que d'assumer une solution collective" et juge "catastrophique pour les migrants en Europe" l'éventualité de l'exclusion temporaire de la Grèce de Schengen.
Le géographe, professeur à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense, Guy Burgel, dénonce quant à lui avec la dernière énergie le comportement des Européens. "Qu'attend-on de la Grèce? Qu'elle rejette à la mer ces désespérés de notre inaction coupable en Syrie, en Irak ou en Afghanistan? Qu'elle coule les embarcations de fortune ou s'entassent ces malheureux, avant qu'elles n'atteignent ses côtes? Qu'elle parque les réfugiés dans des camps de concentration où ils pourriront à l'abri des regards de commisération et de remords?", se révolte-t-il.
Selon le journal grec Kathimerini, qui cite des "sources proches d'Alexis Tsipras", la chancelière allemande Angela Merkel aurait indiqué à son homologue grec qu'une acceptation sur la crise des réfugiés des demandes européennes pourrait faciliter la "compréhension" des créanciers dans l'application du mémorandum sur la dette grecque.
Si le Conseil européen valide les "négligences graves"aux obligations de la Grèce, Athènes aura trois mois pour "remédier" au problème. Si les manquements graves persistent, Bruxelles pourra alors décider d'autoriser la prolongation de deux ans des contrôles aux frontières intérieures.
Cela permettrait à l'Allemagne de prolonger les contrôles aux frontières avec l'Autriche, réintroduits en septembre 2015, mais qui devraient être levés, en vertu du code "frontières Schengen", au bout de huit mois maximum.
La manœuvre à l'encontre de la Grèce aurait pour but d'éviter à l'Allemagne, poids lourd de l'UE, de se retrouver elle-même en infraction, un scénario catastrophe pour Schengen, avancent plusieurs experts en politique européenne.