France : le duel inattendu de la primaire de la droite bouleverse le paysage politique

A l'issue du premier tour de la primaire de droite et du centre, qui a provoqué dimanche l'élimination directe de l'ancien président Nicolas Sarkozy, l'ancien Premier ministre François Fillon, arrivé loin devant le maire de Bordeaux Alain Juppé, a été consacré à la surprise générale nouveau champion d'une droite française qui va devoir choisir le 27 novembre l'homme qui mènera la bataille de la présidentielle l'an prochain.

Le paysage politique de l'Hexagone est bousculé au lendemain du premier tour du scrutin inédit de la primaire de la droite et du centre. Les cartes sont rebattues. Contre toute attente, l'ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy semble bien en passe d'être investi par sa famille politique en vue du combat pour la charge suprême de la République en mai 2017.

Certes, il ne sera adoubé par sa famille politique qu'à la condition de remporter l'ultime duel contre son rival Alain Juppé lors du second tour de scrutin qui doit se dérouler dimanche. Mais sa nette avance sur l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac, pourtant favori des sondages pendant de longs mois, le place dans une position confortable. D'autant qu'il reçoit des soutiens toujours plus nombreux de la part de personnalités politiques.

Les résultats presque définitifs de la primaire ont défié les pronostics. Avec plus de 44% des suffrages, François Fillon, député de Paris, domine en effet largement le premier tour. Alain Juppé, qui avait adopté un positionnement centriste, se trouve relégué dans la position de challenger. En ne recueillant que 28,5% des voix, ce fidèle de l'ancien président Jacques Chirac réalise une contre-performance.

Mais la principale victime de ce premier tour est incontestablement l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy, qui termine en troisième place avec 20,6% des suffrages. "Plus qu'une élimination, une humiliation", "une claque magistrale", n'hésite pas à commenter la presse française.

Pour l'ancien président, revenu en politique en 2014 (alors qu'il avait annoncé son retrait définitif après sa défaite à la présidentielle de 2012), une page semble bien se tourner. Dès dimanche soir, il a annoncé qu'il se ralliait à son ancien Premier ministre et comptait se consacrer à d'autres activités.

Quant aux autres prétendants à la primaire, la députée de l'Essonne Nathalie Kosciusko-Morizet, seule femme en lice, le député de l'Eure Bruno Le Maire, Jean-Frédéric Poisson, successeur de Christine Boutin à la tête du Parti chrétien-démocrate, et le maire de Meaux Jean-François Copé ne totalisent à eux quatre que moins de 7% des suffrages et sont cantonnés, comme attendu, au rôle de figurants.

L'entre-deux-tours bat d'ores et déjà son plein. Nathalie Kosciusko-Morizet a apporté son soutien à Alain Juppé. Jean-Frédéric Poisson et Jean-François Copé laissaient quant à eux encore planer le suspense lundi.

Lors d'un ultime débat télévisé jeudi soir, les deux qualifiés pour le second tour s'affronteront. Le maire de Bordeaux tiendra au moins deux meetings, mardi à Toulouse et vendredi à Nancy. Son rival avait prévu, avant le premier tour, deux meetings, dont un à Paris.

Malgré les nombreuses inconnues qui persistent quant à son épilogue, on peut tirer un enseignement de cette primaire, scrutin inédit voulu par la droite pour mettre fin aux querelles intestines qui sévissaient en son sein: avec plus de 4,1 millions de votants, la large participation des électeurs en fait un succès populaire. La primaire socialiste de l'automne 2011, qui avait consacré François Hollande, en avait rassemblé 2,7 millions au premier tour et près de 2,9 millions au second.

Le score surprise de François Fillon fait l'objet de nombreuses analyses et interprétations à chaud dans les rangs des éditorialistes politiques français. Les commentaires sont légion, même s'il est bien difficile pour l'heure d'avancer des explications définitives. Sans compter que des électeurs de gauche et d'extrême droite ont participé à cette primaire. A qui ira leur vote au second tour ? Bien malin qui peut l'affirmer aujourd'hui.

La crédibilité des instituts de sondages et des médias est mise en cause. Comme pour le Brexit et l'élection américaine, ils se sont largement trompés dans leurs pronostics. Certains observateurs avertis n'hésitent pas à évoquer une "trumpisation" de la vie politique française. D'autres insistent sur les effets du vote "tout sauf Sarkozy" qui a manifestement joué un rôle dans les résultats.

Mais, au-delà de ces polémiques, pour tenter de comprendre le succès de François Fillon au premier tour, il convient de relever son choix du terrain. Pendant toute la campagne, l'ancien Premier ministre parti très tôt en campagne, a cultivé une image de sérieux et écumé la France d'un bout à l'autre pour aller à la rencontre des électeurs en égrenant ce que ses partisans qualifient de programme "choc".

Il pourrait bien avoir réussi à rassembler autour de sa personne les désabusés du système, la France rurale et l'électorat catholique traditionnel. Maint fois moqué ces derniers années, "Mister Nobody" (Monsieur Personne), "Droopy" (du nom du personnage de dessin animé), le "collaborateur", l'ancien Premier ministre pourrait bien tenir sa revanche, après la guerre fratricide qui l'a opposée à Jean-François Copé en 2012, lors de la bataille pour la présidence de l'UMP devenue depuis LR (Les Républicains).

Son programme, axé sur une cure d'austérité, annonce clairement la couleur: suppression de la durée légale du temps de travail, recul de l'âge de la retraite à 65 ans, refonte du Code du travail, suppression de 500.000 emplois dans la fonction publique, 40 milliards d'allégements de charges pour les entreprises, disparition de l'impôt sur la fortune, allocations chômage dégressives (...) M. Fillon a par ailleurs un positionnement très traditionaliste sur les questions sociétales.

Que François Fillon soit victorieux ou non dimanche prochain de la primaire de la droite et du centre, le reste de l'échiquier politique de l'Hexagone va devoir lui aussi se repositionner. De là à penser que ce scrutin interne pourrait relancer la gauche, il n'y a qu'un pas que certains n'hésitent pas à franchir, affirmant même que cela pourrait remettre en selle le président Hollande dont on ne sait toujours pas s'il sera candidat à sa réélection à la tête de la République.