Dernière mise à jour à 08h43 le 16/05
"Reproduire une élection de Donald Trump avec le système institutionnel français est impossible", a fait savoir Nicolas Lebourg, historien français et spécialiste du parti d'extrême-droite Front National dans une récente interview accordée à Xinhua.
Avec l'élection récente de Donald Trump et le Brexit, de nombreux observateurs redoutaient une percée des courants populistes lors de plusieurs échéances électorales en Europe comme en Autriche et en France. Or, les partis d'extrême-droites ont certes réalisé de hauts scores, mais ont échoué.
Pour Nicolas Lebourg, cette comparaison avec les cas américain et britannique est "une erreur d'optique classique". "La politique est conditionnée par la méthode d'accès au pouvoir. La droite française a raté l'élection de 2012 avec en modèle la droite espagnole, mais l'Espagne est organisée par des élections législatives à un tour".
Reproduire une élection de Donald Trump avec le système institutionnel français est impossible car un système majoritaire à deux tours oblige à tenir un bloc social au premier tour, et à en constituer un nouveau quinze jours après réunissant plus de la moitié des électeurs, donc rassemblant des gens qui ont des intérêts immédiats très différents" a-t-il expliqué.
"Hommes politiques et journalistes français ne comprennent pas ce rapport entre forme obligée de la prise du pouvoir et stratégie électorale : faire Trump dans les institutions françaises de 2017, avec 11 candidats à la présidentielle représentant une grande palette idéologique et non 2 comme aux USA ce qui éclate le vote "anti-système", c'est un peu ce qu'a tenté François Fillon, qui n'était donc pas présent au second tour puisque ça ne pouvait guère marcher" a-t-il souligné.
Avec 33,9% des voix au second tour de l'élection présidentielle française le 7 mai dernier, le Front National a réalisé un score historiquement élevé au second tour mais la défaite de Marine Le Pen n'est pas sans conséquence pour le parti et sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, a annoncé son retrait de la vie politique quelques jours après, invoquant des raisons personnelles mais plusieurs médias français ont évoqué un profond désaccord entre elles.
Pour Nicolas Lebourg, cela n'affectera pas le parti français d'extrême-droite bien que Marion Maréchal-Le Pen ait "un talent politique exceptionnel qui va manquer au parti". Selon l'historien français, le vote pour le Front National repose "plus sur la demande que sur l'offre". "C'est un vote surdéterminé sociologiquement : selon votre niveau de diplôme, de revenu, le lieu où vous habitez etc. vous votez ou non Front National. Donc même si Marine Le Pen a fait une campagne calamiteuse cela ne va pas faire disparaître le vote Front National" a-t-il indiqué.
Le clivage gauche-droite n'est pas non plus prêt de disparaître malgré l'éviction historique des deux partis traditionnels français, Les Républicains et le Parti Socialiste, au premier tour du scrutin présidentiel : "en France les gens commencent à s'identifier par le clivage droite-gauche avant la première guerre mondiale, et on dit que ce clivage est dépassé dès le début des années 1920... Il faut être prudents donc : quand on demande aux électeurs du premier tour de Marine Le Pen de se situer sur l'axe droite-gauche 80% des sondés se placent eux-mêmes à l'extrémité droite. L'identité politique française droite-gauche n'est pas morte : de nouveaux clivages viennent s'y superposer, mais cela ne la fait pas disparaître par magie" a affirmé Nicolas Lebourg.
Dans cette configuration politique française inédite, Emmanuel Macron se place au centre. Pour l'expert français, le nouveau président français a choisi d'investir le mythe de l'autorité :"il assume les fantasmes des français d'avoir un nouveau Bonaparte ou un nouveau de Gaulle. C'est assez étonnant par rapport à sa famille politique, mais c'est ainsi : il a pris acte du tempérament autoritaire et unitariste de la culture française et du fait que lorsque cette incarnation régalienne n'est pas présente le pays est en crise culturelle, ce qui bénéficie à l'extrême droite ensuite" a expliqué Nicolas Lebourg.
Les questions de l'emploi et du pouvoir d'achat seront les principaux défis à relever pour Emmanuel Macron car, selon Nicolas Lebourg, "il y a un épuisement de la population française vis-à-vis d'alternances qui paraissent ne jamais résoudre les problèmes"."Sans résultat sur ce front il ne pourra pas réussir" a-t-il précisé.
Autre défi de taille pour le nouveau chef de l'Etat français est celui "de la méfiance devenue générale quant à l'Union européenne, et là il est très décalé par rapport à l'opinion en étant lui très optimiste" a indiqué Nicolas Lebourg.
"Il lui faudra démontrer qu'il n'est pas un Bonaparte d'un pays en fait dirigé depuis Bruxelles ou Berlin, ce qui hérisse l'électorat de droite qui y voit un abandon de la souveraineté nationale, et celui de gauche qui y voit un abandon de la souveraineté populaire" a-t-il conclu.