Dernière mise à jour à 08h29 le 15/06
Le ministre français de la Justice, François Bayrou, a présenté mercredi en conseil des ministres son projet de loi sur la moralisation de la vie publique dans un contexte de suspicion qui entoure son parti le MoDem suite à des révélations dans la presse. La création d'une "banque de la démocratie" a par ailleurs été rejetée par le Conseil d'Etat. De quoi brouiller le message de cette loi à forte portée symbolique, promesse phare du président Macron, et provoquer des dissensions au sein du gouvernement.
Alors que le nouveau Garde des Sceaux planchait devant les ministres, mercredi, sur le texte intitulé "pour la confiance dans notre vie démocratique", la question bruissait sur toutes les lèvres dans l'Hexagone: François Bayrou est-il le mieux placé pour défendre ce texte - le premier sous la Présidence Macron - alors que des affaires menacent son parti?
Après des mois d'une campagne présidentielle polluée par le PenelopeGate avec les soupçons d'emploi fictif de l'épouse du candidat de la droite François Fillon, tous deux mis en examen, les Français pourraient en effet faire des amalgames et en tirer des conclusions hâtives. Un scénario qui mettrait à rude épreuve la crédibilité du nouveau pouvoir alors que ce grand chantier législatif se veut l'un des symboles du nouveau quinquennat.
Le parquet de Paris a en effet ouvert vendredi une enquête préliminaire pour "abus de confiance et recel" afin de déterminer si le MoDem (centre) - dont François Bayrou est président - a salarié des employés en les faisant passer pour des assistants parlementaires européens. Mercredi, le journal Le Canard enchaîné a d'autre part affirmé que l'ex secrétaire particulière du ministre de la Justice a été rémunérée en partie par le Parlement européen, sans n'avoir "jamais travaillé pour l'Europe".
Si François Bayrou affiche la sérénité, il n'en demeure pas moins que ces informations jettent la suspicion sur le nouveau ministre et embarrasse le gouvernement, dans un climat de grande défiance de l'opinion française face à sa classe politique à laquelle ce projet de loi est justement censé remédier.
La tension monte. Certains chefs de file de la République En Marche (LREM) ont laissé entendre qu'il ne faudrait pas que l'allié centriste du MoDem - dont le mouvement d'Emmanuel Macron n'aura très vraisemblablement plus besoin pour obtenir une majorité à l'Assemblée nationale - devienne un boulet.
D'autre part, le Conseil d'Etat a rendu un avis défavorable sur un volet du texte concernant la création d'une "banque de la démocratie". Avec cette annonce, le 1er juin, François Bayrou, en dévoilant les grandes lignes de sa loi de moralisation de la vie politique, avait pris tout le monde de court. Cette "banque de la démocratie" aura pour mission de prêter de l'argent aux partis politiques et leur permettre ainsi "de se soustraire aux intérêts particuliers de manière à ce que l'indépendance des formations politiques soit garantie", plaide le Garde des Sceaux.
"Pour la rénovation de la démocratie que nous allons porter, rien n'est plus important que de garantir l'équité, l'égalité devant le crédit. Parce que ce n'est pas normal que ce soit des banques privées qui décident de la vie ou de la mort de mouvements politiques ou de la possibilité de faire campagne", a argumenté François Bayrou, mercredi, au micro de RTL.
Le Conseil d'Etat s'interroge au contraire sur l'intérêt d'une telle mesure et estime que l'étude d'impact est "beaucoup trop sommaire". Un avis que le gouvernement n'est pas obligé de suivre mais il prendrait ainsi un risque juridique, le texte pouvant par la suite être invalidé par le Conseil constitutionnel.
Les autres dispositions du texte de moralisation de la vie publique ont quasi toutes été validées par le Conseil d'Etat. Parallèlement à la refonte du financement des partis, le texte prévoit notamment l'interdiction des emplois familiaux, la suppression de la réserve parlementaire (enveloppe dont disposent les députés pour distribuer des subventions) au profit d'un "fonds d'action pour les territoires et les projets d'intérêt général", une peine d'inéligibilité pouvant aller jusqu'à dix ans pour les individus convaincus de corruption, un encadrement des activités de conseil, un contrôle accru de l'usage de l'indemnité représentative de frais de mandat, la limitation à trois du nombre de mandats successifs, l'interdiction faite aux anciens présidents de siéger au Conseil constitutionnel ou encore la suppression de la Cour de justice de la République.
Les réformes s'articuleront en trois textes: une loi ordinaire, une loi "organique", c'est-à-dire modifiant l'organisation des pouvoirs publics, et une loi constitutionnelle.
Ces réformes institutionnelles devront attendre une réforme constitutionnelle plus vaste, prévue à la rentrée, et qui portera aussi sur l'indépendance des magistrats.
L'exécutif devrait disposer à l'Assemblée nationale d'une majorité écrasante pour faire passer ces lois, mais réformer la Constitution demeure politiquement délicat: il faut en effet obtenir une majorité des deux tiers de l'ensemble du Parlement, réuni en congrès à Versailles. À moins de passer par un référendum, ce que François Bayrou n'a pas exclu.